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La faute de Céline

La droite conservatrice n’a jamais aimé Céline. Léon Daudet fut un cas particulier. Encore cana-t-il dès Mort à crédit. C’est que cette droite apprécie essentiellement les écritures classiques, de Giraudoux à Montherlant en passant par Chardonne ou Mauriac. L’incompréhension provient aussi d’un malentendu : cette droite s’indigne que Céline écrive comme il parle alors qu’il s’agit, au contraire, d’une prose très travaillée utilisant les ressources du langage populaire pour élaborer un style lyrique et baroque à la fois. C’est ce qu’avait perçu Roger Nimier : « Céline est de la famille des grands orateurs sacrés, des prophètes, des poètes épiques. » Un autre « hussard », Jacques Laurent, lui, ne l’appréciait guère : « Céline ne parle pas français. C’est comme une autre langue. »

C’est ce que pense également notre ami Philippe d’Hugues, cinéphile averti et critique littéraire de talent. À deux reprises, il a récemment exprimé le peu d’estime (littéraire) qu’il a pour Céline. « Trop de lettres de Céline pour mon goût  ¹ », a-t-il dit en commentant le film de Patrick Buisson sur la  Grande Guerre  et les écrivains ².  Et d’ajouter : « Céline détonne, fait de la littérature au sens péjoratif du terme. ». Quelques semaines plus tard, il remit le couvert, affirmant que « Céline est une catastrophe considérable [sic] ³. » Que justifiait cette fois une telle attaque ? C’est qu’il le rend responsable de ses épigones et de tous ceux qui s’autorisent à utiliser un langage relâché en se réclamant du précédent célinien : « Tout ça, c’est la faute de Céline ! Il autorise maintenant tous les pâles imitateurs et tous les gougnafiers qui ne savent pas tenir une plume, à écrire n’importe comment en disant : “ Mais Céline en a écrit bien d’autres ”. Et du coup, on parle comme Céline écrit ! » Le hic, c’est que Céline n’écrit pas du tout tel le commun peuple parle. Il suffit de le lire ou de comparer, dans la Pléiade, les premières versions de ses manuscrits  avec le texte définitif pour se rendre compte du travail stylistique accompli.

Est-ce affaire de génération ? Nullement. Un jeune publiciste, Adrien Abauzit, qui se fait connaître en réhabilitant Pétain, ne dit pas autre chose 4. Le parallèle entre ce que lui et son aîné disent de Céline est frappant : « …Génie, je veux bien, tout le monde le dit, donc c’est sûrement vrai, mais pour moi, Voyage au bout de la nuit est un chef-d’œuvre néfaste. » (Ph. d’Hugues) ; « Tout le monde trouve que Céline est génial. Peut-être l’est-il. Moi, ce n’est pas la littérature que j’aime. » (A. Abauzit).

« De gustibus non est disputandum » ?  Certes. Mais s’imaginer que l’écriture célinienne est relâchée, voire improvisée, c’est se leurrer complètement, comme le savent les lecteurs du BC. La querelle n’est pas neuve. Durant l’Occupation, les Allemands le tenaient en piètre estime, Karl Epting étant l’exception qui confirme la règle. Son compatriote Bernhard Payr, qui dirigeait l’Amt Schrifftum dépendant de l’Office Rosenberg, portait un jugement sans appel : « Langue négligée sans exemple dans la littérature française moderne ». Ce style, dont on peut trouver un équivalent dans la peinture expressionniste, est sans doute trop radical pour être apprécié de tous. De là à rendre Céline responsable de toutes les dérives langagières contemporaines, il y a un pas qu’il est abusif de franchir.

 

  1. « Le Libre Journal de Paul-Marie Coûteaux », Radio Courtoisie, 29 octobre 2014.
  2. “Si je mourais là-bas”. La guerre des écrivains, 1914-1918, film de Patrick Buisson réalisé par Guillaume Laidet et diffusé le 10 novembre sur la chaîne Histoire. Durée : 80’
  3. « Le Libre Journal de Henry de Lesquen », Radio Courtoisie, 24 novembre 2014.
  4. Entretien avec Adrien Abauzit, « Contre-histoire du général de Gaulle (la suite) », Meta TV, 24 novembre 2014.

Un pur salaud

On se souvient qu’en 2011 l’Agence France-Presse rapporta un propos de Henri Godard selon lequel Céline était « un pur salaud ¹ ».  Cette déclaration n’était pas passée inaperçue,  Godard n’ayant jamais  jusque là  qualifié ainsi l’écrivain auquel il a consacré sa thèse de doctorat avant d’écrire plusieurs livres le concernant (dont une biographie) et de devenir son éditeur dans la Pléiade. M’étant fait l’écho de cette dépêche de l’AFP, puis de réactions de lecteurs, Henri Godard avait tenu à insérer dans le Bulletin ce démenti dénué d’ambiguïté : « Je n’ai jamais prononcé pour mon compte la phrase “Céline est un pur salaud” qui m’est prêtée par l’AFP. Tout au plus ai-je pu la citer pour m’en dissocier, et le journaliste aura fait la confusion. J’avais négligé jusqu’à présent de faire la rectification, mais je vois que certains de vos lecteurs s’émeuvent de trouver cette phrase dans ma bouche, je les comprends, c’est pourquoi je vous serais reconnaissant de signaler ce démenti. » Godard, peu suspect d’empathie pour l’individu-Céline, avait tenu à mettre les pendules à l’heure. Dont acte ².

Christian Millau, lui, rapporte cette opinion qu’il prête apparemment à ses contemporains : « Céline  est un pur salaud, une  ordure  antisémite, un  crachat sur la société. » Se dissocie-t-il franchement de ce point de vue ? Cela n’apparaît pas clairement. Si tel n’est pas le cas, on peut rétrospectivement s’étonner qu’il ait accepté de rencontrer Céline à Meudon, de lui serrer la main et de converser cordialement avec lui, en compagnie de Roger Nimier. Lequel écrivait ceci : « On ne prétend pas que [Céline] soit responsable des camps. Il n’a rien inventé. Il a exprimé des passions qui menaient aux camps. On aurait voulu qu’il oubliât moins ses prédécesseurs dans la misère et qu’il reconnût comment la hargne antisémite des petits bourgeois devint monstrueuse entre des mains allemandes – parfois entre des mains françaises. Il ne l’a pas fait et il est possible que ce soit par fierté plutôt que par inconscience. Il n’a pas cherché à obtenir sa grâce en confessant ses erreurs ³. » Jugement assurément plus nuancé.

De Millau, j’avais bien aimé son Galop des hussards qui fut d’ailleurs salué dans le BC 4. Mais n’est-ce pas cette fois le livre de trop ? À 85 ans, Christian Millau n’en finit pas de ressasser les mêmes anecdotes dans des livres mal dégrossis et finalement peu fiables. Les trois pages qu’il consacre à Céline dans son dernier bouquin témoignent d’une mémoire qui s’effiloche. Ainsi rapporte-t-il ce prétendu propos de Céline à Antoine Blondin : « Je ne me réjouis que dans le grotesque. » On aura reconnu la lettre de Céline à Léon Daudet : « Je ne me réjouis que dans le grotesque aux confins de la Mort. » Millau ne se souvient pas davantage que c’est Malraux qui comparait (sommairement) la verve de Céline à celle d’un chauffeur de taxi.  Mais le pire est pour la fin :  Millau  attribue  à  Céline l’imitation d’Hitler à l’ambassade d’Allemagne alors qu’elle est due, comme chacun sait, à Gen Paul. De quoi mettre en doute l’authenticité des autres anecdotes collationnées dans son livre.

  • Christian MILLAU, Ravi de vous avoir rencontré, Éditions de Fallois, 2014, 360 pages (22 €)
  1. « “ C’est un immense écrivain français, le plus traduit et le plus diffusé dans le monde après Proust. (…) En dehors de ça, c’est un pur salaud ”, résumait hier auprès de l’AFP Henri Godard, l’un des grands spécialistes de Céline » (AFP, dépêche du 20 janvier 2011).
  2. « Henri Godard nous écrit », Le Bulletin célinien, n° 329, avril 2011, p. 23b.
  3. Roger Nimier, Journées de lecture, Gallimard, 1965, pp. 199-200.
  4. Pol Vandromme, « Au galop des hussards », Le Bulletin célinien, n° 196, mars 1999, p. 4.

Paul Morand

Il faut savoir gré aux éditions Montparnasse d’exhumer de précieux documents audiovisuels. Après Céline vivant (avec les trois entretiens filmés)  et Paris Céline (film de Patrick Buisson augmenté de témoignages inédits), cet éditeur nous propose les entretiens que Paul Morand accorda, quelques années avant sa mort, à la télévision française pour la série « Archives du XXe siècle ». Propos passionnants sur les années 1900, les influences qui furent les siennes (Sorel, Schopenhauer, Nietzsche), la Révolution de 1917 (« On eut, à la place d’une Russie européenne, une Russie asiatique »), etc.

Céline, qui n’appréciait guère ses contemporains, avait, on le sait, une vive estime pour l’auteur d’Ouvert la nuit  : « Paul Morand est le premier de nos écrivains qui ait jazzé la langue française – Ce n’est pas un émotif comme moi mais c’est un sacré authentique orfèvre de la langue. Je le reconnais pour un maître ¹» Lors du récent colloque de la Société d’études céliniennes, François Gibault prononça, à partir de la correspondance Chardonne-Morand, une plaisante communication où Céline avait naturellement sa place ². Il y cita cette lettre (encore inédite) de Morand : « [Céline] a été tué par son séjour en prison en ce Danemark qui avait déjà tué, ou presque, Léon Bloy et Hamlet, et enlevé par un Vichyssois à mauvaise conscience, notre ambassadeur Charbonnière, sorte de lapin à guêtres, de petit Norpois qui avait au dernier moment accroché son wagon à la Résistance. (6 juillet 1961) » Lapin à guêtres, et non à grisettes (!), comme le transcrit erronément l’éditeur de cette correspondance. La même formule se trouve dans la belle lettre que Morand écrivit à Céline après la lecture d’Un château l’autre.  Les deux écrivains se virent en 1943 lors d’un déjeuner réunissant aussi Gerhardt Heller, Jean Jardin et Josée Laval (qui l’évoque dans son journal). Un an avant qu’il ne soit élu à l’Académie française, Paul Morand ne craignit pas de dire sa dette envers Pierre Laval, « espèce de gitan prodigieux qui [l’] a beaucoup influencé » ³. Propos assez rare pour être relevé. Son loyalisme envers l’État français et son attachement à Laval lui valut, on le sait, beaucoup d’opprobres. Turpitudes humaines qu’un peu de sable efface ?… Aujourd’hui Morand est définitivement sorti du purgatoire (littéraire), même si on lui reproche son antisémitisme (qu’il qualifia de « fièvre obsidionale » au début des années 30) et son « homophobie » (qui ne l’empêchait pas d’entretenir les meilleures relations du monde avec Marcel Schneider, Jean-Louis Bory, Jacques Brenner ou Matthieu Galey, pour ne citer qu’eux).

Morand occupe trois volumes dans la Pléiade : un pour les romans et deux pour les nouvelles où il est passé maître. Son don pour l’instantané, ses raccourcis fulgurants dans les portraits, son sens du tragique, tout cela fait de lui un grand écrivain. Certaines de ses œuvres atteignent une perfection rare sur des thèmes qui n’ont pas vieilli et qui frôlent parfois le « politiquement incorrect ». Comme dans ces entretiens où, rejoignant Céline, il évoque cette « immense tragédie qu’est la disparition de la race blanche. » Que diraient-ils aujourd’hui où le métissage est considéré comme une valeur en soi ?

  • Paul MORAND. Entretiens. Juillet/août 1970 et janvier 1971, Éditions Montparnasse [12 Villa Cœur de Vey, 75014 Paris], coll. « Regards », 2014, double DVD [3 h 34 au total] (25 €).
    1. Lettre à Milton Hindus, 11 juin 1947.
    2. François Gibault, « Céline dans la correspondance Morand – Chardonne » [http://www.singer-polignac.org/fr]
    3. Émission « Une heure avec… » de Pierre Lhoste, France-Culture, 16 janvier 1967

La République des censeurs

Sous le titre La République des censeurs, Jean Bricmont, professeur de physique théorique à l’Université de Louvain,  publie un essai sur ce qui entrave la liberté d’expression en France. Pourfendeur d’un système judiciaire dévoyé par des lois liberticides, ce scientifique plaide pour une société où les notions de tolérance, de pluralisme et de liberté d’expression seraient admises par tous. « Tout le monde défend la liberté d’expression pour son camp. Mais le test de la sincérité, c’est quand on défend la liberté pour les opinions avec lesquelles on n’est pas d’accord. Le plus comique c’est qu’en France, on vous suspectera de partager les opinions dont vous défendez la libre expression ¹ », observe-t-il avec acuité. Ainsi de certains céliniens qui n’ont pas tous la même conception de cette liberté. Philippe Alméras, qui fut le premier président de la Société d’études céliniennes, rappelle volontiers que son successeur, prestigieux prix Nobel de médecine, se disait volontiers « libertaire ». Or, lors de la première assemblée générale qu’il présida, son premier souci fut d’exclure un membre aux conceptions historiques ouvertement révisionnistes. Alméras s’y opposa avec fermeté : « …Tant qu’il n’utilisait pas l’organisation pour faire avancer sa thèse, il n’y avait rien à lui reprocher, et donc aucun motif pour l’expulser. Si sa radiation était votée,  je démissionnais ². » À sa suite, François Gibault, libéral patenté, s’y opposa également. Défendre la liberté d’exprimer des vues controversées, voire scandaleuses, ne signifiant pas pour autant, rappelons-le, qu’on les fasse siennes. Lors du colloque Céline, réprouvé et classique, qui se tint à Beaubourg en 2011, le public fut autorisé à prendre la parole. L’historien contesté se vit brutalement retirer la parole alors qu’il se proposait d’expliquer le sens du titre d’un des pamphlets. Le censeur était, cette fois, un célinien qui se défend d’être un militant mais qui agit comme tel. Il a confié que, dans sa jeunesse, il « aurai[t]  aimé  être  un  révolutionnaire mao ³ » [sic].  S’il a abandonné  ce rêve, il en a manifestement gardé certains réflexes totalitaires.

On peut déplorer qu’aujourd’hui le libéralisme évoqué plus haut ne soit pas communément partagé si l’on en juge par  les  récentes  velléités de  certains au sein de l’association célinienne. N’ont-ils pas benoîtement envisagé, lors de la dernière assemblée générale, d’exclure un adhérent coupable d’avoir trop vivement ferraillé dans la presse avec l’un  de ses pairs 4 ?  Paradoxe : les ciseaux d’Anastasie font rêver ceux-là même qui réprouvent avec force les idées non démocratiques de Céline. En 2004 un contributeur au XVème colloque de la SEC se permit d’évoquer les bombardements alliés sur les populations civiles en Allemagne à la fin de la guerre. Mal lui en prit : une minorité agissante exigea qu’il revoie sa copie 5.  Devant son refus, c’est toute sa communication qui fut caviardée et donc  absente des actes du colloque. Nos censeurs, qui professent par ailleurs des opinions progressistes, pourraient s’inspirer de  la gauche américaine délibérément hostile aux lois liberticides sachant que celles-ci pourraient être utilisées contre elle.

  • Jean BRICMONT. La République des censeurs, L’Herne, coll. « Cave canem », 2014 (15 €).

 

  1. Noam Chomsky, fondateur de la linguistique générative, va encore plus loin : « Si vous ne défendez pas la liberté d’expression pour les gens que vous méprisez, vous ne la défendez pas du tout.»
  2. Philippe Alméras, Voyager avec Céline, Dualpha, coll. « Politiquement incorrect », 2003.
  3. Propos recueillis par David Caviglioli, « Rencontre avec Yves Pagès », Le Nouvel Observateur, 7 mars 2013.
  4. Le président de la SEC dut rappeler que les statuts de la SEC ne prévoient aucune procédure d’exclusion.
  5. Procès-verbal du conseil d’administration de la Société d’études céliniennes. Réunion du 23 novembre 2004.

Dénigrement

Il ne faut pas s’y tromper. Nonobstant sa consécration dans La Pléiade et la multiplication de « hors-série » à lui consacrés ¹, une hostilité latente envers Céline se profile dans le milieu universitaire. Les étudiants qui souhaitent entreprendre une thèse sur l’écrivain rencontrent de plus en plus de difficultés à trouver un professeur qui accepte de patronner et diriger leur travail. Récemment, un professeur de faculté n’a-t-il pas répondu à une étudiante qui le sollicitait : « Si vous vous intéressez à Céline, c’est que vous êtes antisémite. » [sic] ?  Le cas n’est pas isolé et atteste d’une régression manifeste.

Il ne s’agit pas seulement de condamner l’individu-Céline mais aussi de contester sa valeur d’écrivain. Ainsi, dans un dossier consacré à la droite radicale, une journaliste du Monde diplomatique s’en prend à tous ceux qui, de Kundera à Sollers en passant par Godard ou Zagdanski, défendent l’écrivain au-delà des positions idéologiques qu’il a prises dans les années trente et quarante ². Il y a bien ici une volonté affirmée de contester l’importance de l’œuvre, allant même, dans sa conclusion, jusqu’à faire sienne l’appréciation d’un Houellebecq : « Je ne tiens pas Céline pour un génie, mais pour un bon auteur un peu surfait, assez péniblement maniériste sur la fin. » Il faut noter que Céline n’est pas le seul objet de l’aversion de cette journaliste : dans le même article, elle s’étonne de l’entrée dans La Pléiade de Drieu La Rochelle, qualifié d’écrivain « fluet » et « ressasseur » (?) et n’a que mépris pour « les petits Jacques Chardonne et Paul Morand ». Où l’on voit que les convictions militantes entravent un jugement littéraire serein.

Paradoxalement, cette dépréciation n’échappe pas aux cénacles céliniens. Lors du dernier colloque de la Société d’études céliniennes, une doctoresse bardée de diplômes n’a-t-elle pas qualifié Céline de « bateleur » ?  Ce terme, un tantinet péjoratif, est-il le plus adéquat pour définir l’auteur de Nord ?  Là, où c’est plus tendancieux, c’est lorsqu’elle affirme de manière péremptoire que Céline « tapa dans la caisse de la S.D.N. » [sic].  Les reproches qui peuvent légitimement être adressés au citoyen Destouches ne sont-ils pas assez graves qu’il faille en ajouter d’autres, non étayés ? À la suite de François Gibault et d’Éric Mazet ³, rappelons que la S.D.N. se borna à lui demander de justifier des comptes au retour d’Amérique et d’Afrique (1925), suite à la défection d’un confrère sud-américain. Si Destouches avait commis une malversation, la S.D.N.  lui aurait-elle  par la suite  confié d’autres missions ?  Poser la question c’est y répondre 4.

Une  lecture singulière du corpus litigieux amène par ailleurs cette céliniste à considérer que Céline fit preuve d’« opportunisme » en écrivant Les Beaux draps. Dès le prologue, dauber sur Vichy – et donc Pétain alors au faîte de sa popularité –, était-ce vraiment faire preuve d’opportunisme ? Cela se discute…

Ce qui est plus complexe à appréhender, ce sont  les ressorts du dénigrement systématique de Céline dans toutes les étapes de sa vie d’homme.

  1. Le dernier en date : « Céline. Entre génie et provocation » (Le Monde, « Une vie, une œuvre ») [sous la direction d’Émile Brami], juillet-août 2014, 122 p., ill. Prix : 7,90 €
  2. Évelyne Pieiller, « Céline mis à nu par ses admirateurs, même » in Agone [Histoire, politique, sociologie], n° 54 (« Les beaux quartiers de l’extrême droite »), 2014, pp. 147-159. Prix : 20 €.
  3. Cf. Éric Mazet, « Voyages », BC n° 364 (juin 2014), pp. 10-23 & n° 365 (juillet-août 2014), pp. 11-23.
  4. Par ailleurs, si le capitaine Johnston-Watson, gestionnaire de la Section d’Hygiène de la SDN, avait constaté des malversations, aurait-il conservé de confiantes relations avec Louis Destouches, allant même jusqu’à permettre le financement, en 1930, de voyages de celui-ci en Scandinavie alors qu’il avait quitté la SDN ?

Céliniens historiques

Au moment où ce Bulletin vous parvient, le colloque Louis-Ferdinand Céline se tient à Paris. Cette 20ème édition m’offre l’occasion de saluer, une fois encore, ces céliniens émérites qui, à la suite d’un colloque oxfordien (1975), décidèrent de créer, l’année suivante, une Société d’études céliniennes. Son but ? « Réunir, en dehors de toutes passions politiques ou partisanes, tous ceux qui, lecteurs, collectionneurs ou chercheurs, s’intéressent à l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline et de favoriser par tous moyens la connaissance de l’œuvre de l’écrivain ».

Outre Antoine Gallimard, quatre personnalités (qualifiées depuis  « céliniens historiques ») en furent les fondateurs : Philippe Alméras ¹, Jean-Pierre Dauphin (†), François Gibault et Henri Godard. Étonnamment, celui-ci, dans un livre qui évoque précisément ces années ²,  n’en fait pas état alors même qu’il mentionne Dauphin ³, à la base, dès le début des années 70, du renouveau des études céliniennes.

S’il convient de se méfier des inconditionnels de Céline (qui ont tendance à l’exonérer en tout), il faut tout autant se garder de ceux qui versent dans un « militantisme citoyen ». Lequel ne fait pas toujours bon ménage avec l’approche littéraire. Ainsi, une nouvelle génération de célinistes s’est levée pour dénoncer ceux qui cèdent « à la fascination que peuvent susciter Céline et son œuvre » 4. Fasciné, le lecteur de Céline devient rapidement suspect. On s’éloigne ainsi d’une certaine sérénité qui présidait aux premiers âges de la société. François Gibault, lui, s’est toujours placé au-dessus de la mêlée,  entretenant les meilleures relations avec les uns et les autres 5.

Le thème du dernier colloque, Céline et l’enfance, est assurément prometteur si l’on en juge par quelques intitulés de communications : « Lire Shakespeare dans Guignol’s band » ; « L’enfant comme enjeu politique dans Les Beaux draps de L.-F. Céline » ; « Les utopies contre-éducatives céliniennes » ; « Entre apocalypse et utopie : les scènes d’enfant dans la trilogie allemande » ; « Céline – Fellini : l’enfance des visionnaires » ; etc.

Ce colloque sera pour moi l’occasion de renouer des liens avec les membres de cette confrérie singulière que l’on nomme les céliniens. Il en existe autant de sortes que de variétés de plantes d’appartement. Au moins s’accordent-ils tous sur un point : l’attachement à une œuvre qui n’a pas fini de susciter commentaires et exégèses — phénomène qui contredit ceux qui, tel Montherlant, lui prédisaient un retentissement éphémère.

  1. Il en fut le premier président. Il signe dans ce numéro un point de vue qui lui est propre. Les deuxième et troisième furent André Lwoff (†) et Gérald Antoine (†). Depuis 1987, le quatrième président est François Gibault qui est aussi le conseil de Lucette Destouches.
  2. Henri Godard, À travers Céline, la littérature, Gallimard, 2014.
  3. Dès 1974, Jean-Pierre Dauphin confia un important fonds documentaire à l’Université Paris VII (Jussieu), à charge pour elle de créer et d’ouvrir au public une « Bibliothèque L.-F. Céline ». En avril 1977, sa rencontre avec Pascal Fouché aboutit à la création d’une nouvelle association, la « Bibliothèque de littérature française contemporaine» (BLFC), tandis que la « Bibliothèque Louis-Ferdinand Céline » était placée sous la direction de Henri Godard.
  4. Isabelle Blondiaux, « Pourquoi lire Céline ? » in Céline et l’Allemagne (Actes du Dix-neuvième colloque international Louis-Ferdinand Céline), Société d’études céliniennes, 2013, p. 60.
  5. Dans son dernier livre, Libera me (Gallimard, 2014), conçu comme un abécédaire, il évoque la SEC dans un article consacré à André Lwoff : « Il nous fallait un porte-drapeau, surtout qu’à l’époque s’intéresser à Céline était encore suspect. (…) Un Nobel à notre tête, membre de l’Académie des sciences et de la Française, grand-croix de la Légion d’honneur, nous avions de quoi clouer quelques becs. ».