Il y a trente-quatre ans, je publiais dans La Revue célinienne un article d’un jeune chercheur, Daniel Bordet (qu’est-il devenu ?) : « Fin d’une autre légende. Céline n’a jamais fait la une de L’Illustré national. » ¹. À l’époque, aucun célinien n’avait eu en mains le numéro aujourd’hui centenaire de cette revue éditée par Tallandier. Certains furent abusés par le montage réalisé par le père de Louis Destouches ². Dans la première édition de sa bibliographie célinienne, parue quelques années auparavant, Jean-Pierre Dauphin indiquait que ce dessin avait paru en première page et le datait de décembre 1914 alors qu’il parut près d’un an plus tard, en novembre 1915 ³. C’est que la collection de cette revue n’était alors consultable ni à la Bibliothèque nationale, ni à la Bibliothèque de l’Arsenal, ni même chez l’éditeur.
Odile Roynette, spécialiste de la Grande Guerre, revient dans un livre savant sur cet épisode glorieux de la vie de Céline et les répercussions qu’il eut dans la formation de sa personnalité. Il y est question de L’Illustré National (voir pp. 7-12) mais aussi de son engagement dans l’armée, de sa convalescence, du séjour en Afrique, et de l’impact de la guerre dans les pamphlets, puis dans sa défense lorsqu’il sera mis en accusation par la justice de son pays.
À la suite de Gaël Richard 4, mais à la différence des biographes même récents, elle précise que Louis Destouches n’a pas été blessé le 27 octobre 1914 mais deux jours plus tôt, le (dimanche) 25. Et cela se serait passé « sur le champ de bataille d’Ypres, à une dizaine de kilomètres au nord-est de cette ville, à proximité de la commune de Poelkapelle. » En mai 1915, il est affecté, comme on sait, au consulat général de France à Londres : « Une année a suffi pour que le jeune cavalier blessé dans les Flandres retrouvât non seulement l’usage de son bras, mais sa pleine et entière liberté. Au plus fort de la tourmente, (…) Destouches, venu s’embusquer [sic] au Consulat français de Londres, parvenait à sortir de la nuit. »
Odile Roynette l’assure : Destouches, « opportuniste et adroit tacticien » [resic], eut bien de la veine. Vivant d’abord de manière très atténuée les brutalités de la vie de caserne, il subit, durant les premiers mois de la guerre, une blessure qui, pour être sérieuse, n’est pas grave. Ensuite il bénéficie de protections efficaces grâce auxquelles il quitte la zone de front pour le Val-de-Grâce et des hôpitaux annexes de Paris et sa banlieue. L’année suivante, à Londres, on lui accorde une réforme, dite n° 2, qui le dégage définitivement de toute obligation militaire. Décision médicale jugée « plus que complaisante » par l’auteur.
Cerise sur le gâteau : en 1939, il devint « réformé n° 1 », ce qui lui procure, outre quelques menus avantages matériels, le statut de mutilé ayant acquitté pour la nation l’impôt du sang. Honneur dont il se prévaut avec succès pour sa candidature à un humble poste de médecin dans la banlieue rouge. … Fortuné Ferdine !
• Odile ROYNETTE, Un long tourment. Louis-Ferdinand Céline entre deux guerres (1914-1945), Les Belles lettres, 2015.
- On l’aura compris : ce titre, choisi par la rédaction, était un clin d’œil à l’article de Jean A. Ducourneau, « C’est la fin d’une légende. Céline n’a jamais été trépané » paru le 17 octobre 1966 dans le Figaro littéraire.
- Fernand Destouches avait ajouté par collage le titre du journal (pris à la première page du numéro) ainsi qu’une photographie du cuirassier Destouches en médaillon.
- Jean-Pierre Dauphin, Essai de bibliographie des études en langue française consacrées à Louis-Ferdinand Céline, tome I : 1914-1944, Lettres Modernes-Minard, coll. « Calepins de bibliographie », n° 6, 1977, p. [10]. Il indiquait, par ailleurs, « n° 16 » alors qu’il s’agit, en réalité, de la page 16 du n° 52.
- Gaël Richard, « Le cuirassier blessé et ses médecins », L’Année Céline 2009, p. 190.