Céline au cinéma ? Bien des réalisateurs, qui rêvaient d’adapter Voyage au bout de la nuit, s’y sont cassé les dents. De Michel Audiard à Sergio Leone en passant par Claude Autant-Lara, Milos Forman, François Dupeyron et tant d’autres ¹. Et c’est sans doute mieux ainsi car on peut raisonnablement penser qu’une adaptation cinématographique serait très en deçà du roman.
Restent des projets moins téméraires. Jean-François Stévenin a longtemps rêvé d’adapter Nord, avant de se rabattre sur un projet qui s’appellerait La Lucie, rencontre entre un personnage improbable et la veuve de Céline. Emmanuel Finkiel, lui, caresse le projet d’une adaptation d’Un Château l’autre. Son parcours n’est pas insignifiant puisqu’il fut l’assistant réalisateur de Kieślowski pour la trilogie Bleu, Blanc, et Rouge. Et l’on connaît l’ardent désir de Christophe Malavoy de réaliser un film (qui mêlerait fiction et animation) sur la vie de Céline entre juin 1944 et la fin de la guerre.
En attendant l’aboutissement (ou pas) de ces différents projets, on pourra voir sur le petit écran La Fête est finie, adaptation du témoignage de Milton Hindus, avec comme distribution Denis Lavant (Céline), Philip Desmeules (Hindus) et Géraldine Pailhas (Lucette). Ce film est actuellement tourné par Emmanuel Bourdieu, fils cadet du fameux sociologue, qui est notamment l’auteur d’un film sur (ou plutôt contre) Édouard Drumont (2013).
Le pire est à craindre si l’on en juge par le synopsis : « Au contact de l’incroyable sauvagerie [sic] intellectuelle et humaine de Céline, la belle aventure spirituelle que Hindus avait rêvée va très vite tourner au cauchemar : il ne ramènera pas en Amérique le beau livre sublime et lumineux qu’il avait conçu dans l’abstrait, mais, après de longues hésitations, un livre tourmenté, fragmentaire, moins beau que douloureusement vrai. Et, tandis qu’il renoncera pour toujours à la littérature au profit de l’enseignement, Céline, sauvé par lui, rentrera en France, pour y retrouver sa place de grand écrivain provocateur. »
Céline sauvé par Hindus ? L’assertion ne manque pas de sel : faire paraître un livre vengeur un mois avant le procès était tout sauf un acte salvateur. « Je publie ce livre parce qu’il constitue, après dix ans, une réponse à la polémique que Céline a livrée à ma race », écrit-il de manière explicite. Mais il ne s’agissait alors que de la version anglaise publiée à New York. Le pire fut évité : la traduction de son témoignage à charge (« Trois semaines avec Céline ») parut… 48 heures après le jugement en Cour de justice. Un céliniste, qui a bien étudié le dossier, le synthétisait en une phrase : « Sous le masque faussement amical de l’intellectuel épris de tolérance, le jeune Hindus se comportait en délateur animé par des intérêts personnels ³. » Soixante-cinq ans plus tard, il a le beau rôle dans un film tourné (pitié !) en Belgique.
Produit par Jacques Kirsner, ce film a d’ores et déjà été acheté par la chaîne publique française, ainsi que par Canal Plus.
- Sur ce thème, il faut se reporter à l’article d’Émile Brami, « Céline et le cinéma. Première partie : Les tentatives d’adaptation » & Deuxième partie : L’adaptation impossible » in Études céliniennes, n° 4, hiver 2008, pp. 41-53 & n° 6, hiver 2010-2011, pp. 73-84. Plus spécifiquement, sur le projet de Michel Audiard, voir Sylvain Perret, « Voyage au bout de la nuit : le tournage impossible » in Schnock, n° 13, hiver 2014.
- Milton Hindus, The Crippled Giant. A Bizarre Adventure in Contemporary Letters (« Le géant mutilé. Une étrange aventure des lettres contemporaines »), Boar’s Head Books [New York], 1950. Traduit l’année suivante en français.
- [Éric Mazet], « L’affaire Hindus » in Éric Mazet & Pierre Pécastaing, Images d’exil. Louis-Ferdinand Céline, 1945-1951 (Copenhague-Korsør), Du Lérot & La Sirène, 2004, pp. 318-330.