La guerre que les « collabos » ont perdue en 1945 la gagnent-ils aujourd’hui en librairie ? Les biographies foisonnent et les livres sur la collaboration continuent à s’amonceler. Après Jean Fontenoy, voici une biographie de Jean Luchaire — celui que Galtier-Boissière appelait le « louche Herr ». On annonce, par ailleurs, la réédition des Décombres dans la collection « Bouquins » (Éd. Robert Laffont) et l’édition de la correspondance Chardonne-Morand en trois épais volumes chez Gallimard. Le premier est prévu pour l’automne prochain.
Sous le titre Céline en fuite paraît le récit d’une « errance hallucinée dans une Europe à feu et à sang ». Il révèle, nous assure l’éditeur, un « Céline intime, jusqu’ici ignoré ». Pas des céliniens qui n’apprendront rien en lisant cet ouvrage qui a néanmoins le mérite d’être bien documenté. Il y est largement question de Sigmaringen et des « 1142 condamnés à mort ».
Si l’on veut lire une bonne synthèse sur le sujet, il faut se reporter au livre de Christine Sautermeister, Céline à Sigmaringen, sous-titré Réalité et fiction dans D’un château l’autre. L’objet de cette étude est, en effet, de confronter le récit célinien à la réalité historique. Travail intéressant car il repose, non seulement sur le corpus (littéraire et historique) connu, mais aussi sur des archives peu exploitées (dont la collection du quotidien La France), parfois même inédites (des journaux intimes de témoins). L’auteur a naturellement observé avec toute l’attention requise la topographie. Dont le fameux château, situé, ainsi qu’elle le rappelle, dans le Bade-Wurtemberg — et non en Bavière comme l’indique erronément l’éditeur de Céline dans La Pléiade, et bien des spécialistes après lui. Dans le même ordre d’idées, elle révèle que plusieurs historiens se sont laissé abuser par les exagérations du romancier au point de les répercuter dans leur propre ouvrage sur le sujet !
Pour sa biographie, François Gibault avait rencontré plusieurs témoins ayant partagé le sort de l’écrivain outre-Rhin. Unanimes, ils lui confièrent que seul Céline a su restituer la vérité de cet exil basculant entre tragique et grotesque. Cette vérité du roman est rappelé par Vargas Llosa que cite opportunément l’auteur : « Bien que remplie de mensonges – ou plutôt par cela même – la littérature raconte l’histoire que l’histoire des historiens ne sait ni ne peut raconter. ».
Avec perspicacité Christine Sautermeister analyse la stratégie romanesque mise en œuvre par Céline dans D’un château l’autre. Étape décisive dans la carrière de l’écrivain puisque c’est avec ce livre qu’il retrouvera, comme on le sait, la faveur du public et de la critique. Rien de ce qui compose le roman n’est négligé par l’auteur : lieux, personnages, figure du médecin, idéologie implicite, etc. J’ajoute que le style limpide de cette étude en rend sa lecture agréable. Ce n’est pas si fréquent chez les universitaires. Autre point positif : l’ouvrage suscite l’envie de relire cette fresque de Sigmaringen (à laquelle ce numéro est largement consacré).
- Cédric Meletta, Jean Luchaire, 1901-1946. L’enfant perdu des années sombres, Perrin, 2013 (voir pp. 14-18). C’est la première biographie le concernant. Le livre de Claude Lévy consiste en une étude du journal que Luchaire dirigeait : « Les Nouveaux Temps » et l’idéologie de la Collaboration (1974).
- Didier Marinesque, Céline en fuite, Éd. Jourdan, coll. « 39-45. Carnets de guerre », 2013.
- Christine Sautermeister, Louis-Ferdinand Céline à Sigmaringen. Réalité et fiction dans D’un château l’autre, Éd. Écriture, coll. « Céline & Cie », 2013, avec un supplément iconographique de 8 pages.