Sous l’Occupation, Céline se comporta tel un électron libre. C’est la raison pour laquelle le terme de « collaborateur » lui sied si mal. Membre d’aucun parti ni d’aucun groupuscule, rebelle à toute censure, rétribué par aucune ambassade ou officine, il n’en fréquenta pas moins certaines assemblées, marquant ainsi sa connivence avec ceux qui souhaitaient la victoire des forces de l’Axe. Aussi, le critique suédois Ernst Bendz se fourvoie lorsque, manifestement inspiré par le mémoire en défense de l’écrivain, il écrit que « [Céline] se tint à l’écart, évitant tout contact avec les Allemands et les éléments collaborationnistes » (voir pp. 9-12 dans ce numéro). Les historiens et biographes nous montrent, au contraire, que Céline ne dédaignait pas d’assister à certaines réunions, même s’il s’y comporta parfois en trublion. Une récente biographie de Louis Darquier de Pellepoix ¹ nous apprend ainsi que, le 29 mai 1943, un grand banquet fut donné au restaurant « L’Écu de France », rue d’Alsace, pour célébrer le vingtième anniversaire de la fondation du journal Le Pilori (rebaptisé Au pilori). Outre les autorités allemandes, des personnalités comme Brasillach, Cousteau, Laubreaux, Rebatet et… Céline y assistaient également.
À propos du DVD Céline vivant, un lecteur m’écrit avoir remarqué des coupures dans l’entretien de Céline avec Louis Pauwels. Il me demande s’il s’agit bien d’un dialogue « caviardé » et, le cas échéant, s’il existe une version écrite intégrale. La réponse est simple : cet entretien fit naturellement l’objet d’un montage et seule la version diffusée fut transcrite, d’abord en 1962, puis, plus tard, dans les Cahiers Céline ². Dans sa biographie, François Gibault révèle que « les parties non utilisées ont été volées à l’époque par des inconnus ».
Nous avons déjà signalé l’engouement déclaré de l’actuel président de la République française pour Céline. Relevons que cette admiration ne date pas d’hier. Il y a plus de dix ans, il déclarait ceci à propos de son écrivain de prédilection : « Voilà un homme qui n’était qu’un médiocre médecin de banlieue. Un jour, il écrit Voyage au bout de la nuit. Quatre [sic] éditeurs refusent son manuscrit, un cinquième l’accepte. Le voilà devenir autre chose. Cela me fascine ! Cette action qui consiste à donner plus, ce ressort qui vous pousse à vous surpasser, à aller plus loin, à créer et agir par passion ³ ». Céline jugé tonique, dispensateur d’énergie par la plus haute autorité de l’État — qui l’eût cru ?… Cette passion est partagée par celle qui est devenue l’épouse du chef de l’État en février dernier. Dans un livre consacré au couple présidentiel, on découvre qu’il y a quelques années, « [Carla Bruni] rendit visite à Meudon chez Lucette Destouches en compagnie de son ami d’alors, Patrick Besson, et de François Gibault » 4. Céline persona grata à l’Élysée… Il est décidément loin le temps où la speakerine Jacqueline Caurat recevait un « blâme de principe » pour avoir prononcé son nom sur l’antenne de l’ORTF.
- Carmen Callil, Darquier de Pellepoix ou la France trahie, Buchet-Chastel, 2007.
- Louis Pauwels, Jacques Mousseau et Jacques Feller, En français dans le texte, France-Empire, 1962. Repris dans Cahiers Céline, 2 (« Céline et l’actualité littéraire, 1957-1961 »), Gallimard, 1976, pp. 119-129.
- Propos recueillis par L’Officiel homme, septembre 1996.
- Paul-Éric Blanrue et Chris Laffaille, Carla et Nicolas. Chronique d’une liaison dangereuse, Éd. Scali, 2008.