Delgado

Les seuls inédits de Céline que l’on puisse encore trouver, c’est dans sa correspondance. Telles ces deux lettres, apparues récemment dans une vente publique, adressées au journaliste et écrivain Rafael Delgado dont nous ignorons tout ou presque ¹. La première date du 15 juillet et constitue une réponse à l’envoi d’un livre de Delgado à Céline : « …Du maupassant bien tropical, guignolesque et méchant et racial… oh très bien venu ! méticuleux, dentellé comme je le suis, j’aurais aimé que vous fignolassiez émotivement tous les chapitres ainsi que le “premier” véritable grand chef-d’œuvre ! tout un continent dans un lit ! ». Le catalogue date cette lettre de 1957. Ne serait-ce pas plutôt 1955 ? C’est cette année-là que paraît chez Robert Laffont le livre de Delgado intitulé À Tikipan coule le Rio Chongo. La seconde lettre est envoyée dix jours plus tard, le 25 juillet : « Cette organisation pour la culture doit être ravissante ! tous ces hominiens en plein rendement culturel ! diable ! je vois qu’au Venezuela, ils sont plus nature ! ils savent ce que veulent leurs instincts, du sang, toujours plus de sang, d’or et de pétrole,  les mêmes instincts ici ! bigre mais tous tartufes culturels. Bien affectueusement à vous.  Ferdinand Céline. »

François Marchetti me signale un autre ouvrage adressé à Céline. Celui-ci date de 1948 et fut donc envoyé au Danemark, adorné de cette belle dédicace : « À Bardamu qui pensera peut-être que tout espoir  n’est pas perdu puisqu’un jeune a écrit ce petit bouquin — incomplet, hélas ! — Avec le cordial hommage d’un éditeur (un tout petit éditeur) qui s’efforce de ne pas publier trop d’âneries… et qui paie régulièrement les droits d’auteurs ». Ce petit éditeur était J.R. Baüer.  L’auteur était un  certain  René Nif  (pseudonyme  de René Ferrey) qui signe cet « essai critique » intitulé Tout un monde. Les cons. Il passe en revue toutes les catégories du genre : « le con inoffensif, le con méchant, le con superbe, le con superbe rutilant, le sombre con », etc. Mais l’ouvrage n’eut pas l’heur de plaire à Céline qui nota au crayon sur la page de garde : « Le livre est aussi con que le titre ». Sans appel ! ².

Rendant compte de l’édition en fac-similé de deux cahiers de prison, Philippe Sollers signe un article dans lequel il met l’accent sur le comique célinien. Certes, l’ex-maoïste éperdu que fut le fondateur de Tel quel  n’a pas toujours été  aussi bien inspiré. Mais il faut lui reconnaître une antériorité certaine : dès le début des années 60 (il avait alors une vingtaine d’années), il défendait l’écrivain Céline face à ceux qui le mésestimaient pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec la littérature : « On oublie trop vite que Céline est un grand écrivain comique, parfois terrifiant, certes, mais profondément comique. (…) Le rire de Céline est aussi pointu et énorme que son expérience du délire et sa conviction du néant. (…) C’est là qu’il rejoint Voltaire, rieur endiablé, que les dévots ne pourront jamais supporter. »

  1. 1. À ne pas confondre avec l’écrivain mexicain homonyme (1853-1914). La vente publique est celle organisée le 24 novembre par Artcurial (expert Olivier Devers, commissaire-priseur François Tajan).
  2. René Nif, Tout un monde. Les cons (essai critique), La Nouvelle Époque, 1948.
  3. Philippe Sollers, « Céline en enfer », Le Nouvel Observateur, 16-22 octobre 2008. Dans notre précédent numéro, nous avons reproduit un texte de Henri Godard inclus dans cette édition parue sous le titre Un autre Céline, Textuel, 2008, 288 pages, 250 illustrations (59 €).