Céline était, comme on le sait, très attaché à la Bretagne. « Cette Bretagne est pays divin. Je veux finir là auprès de mes dernières artères, après avoir soufflé dans tous les binious du monde ¹. » Belle idée dès lors que d’organiser dans cette région un colloque de la Société des Études céliniennes ². Cerise sur le gâteau : il se trouve que l’actuel maire de Dinard, Mme Sylvie Mallet, est une fervente lectrice de Céline. Las ! Alors que l’importance de l’écrivain n’est contestée par personne de sérieux, il a fallu qu’une conseillère municipale de l’opposition reproche au maire de la ville d’accueillir le colloque dans ses murs ³. Pour justifier sa position hostile à cette initiative, tout y passe : l’antisémitisme et la collaboration bien entendu mais aussi (on se croirait revenu aux heures de l’épuration !), le fait que Céline se soit rendu à Sigmaringen, qu’il ait eu Tixier-Vignancour comme défenseur et, horresco referens, qu’il « plaît particulièrement aux extrémistes de droite ». Cette conseillère municipale ignore-t-elle que Céline plaît tout autant aux extrémistes de gauche, comme le dessinateur Siné ou le journaliste Delfeil de Ton, pour ne citer qu’eux ? Ou à d’anciens maoïstes comme Philippe Sollers ? Face à un autre ancien mao, farouchement anti-célinien celui-là 4, Sollers s’est plu à établir « la liste des proscrits qui pourrait servir de support au programme moral de la purification du passé telle qu’elle pourrait être aujourd’hui promulguée ». En clair, s’il fallait bannir des lieux officiels, les écrivains qui pensaient (ou agissaient) mal, voici ceux qui pourraient être exclus à Dinard et ailleurs : « Gide, le pédophile Nobel ; Genet, le pédé ami des terroristes ; Henry Miller, le misogyne sénile ; Georges Bataille, l’extatique à tendance fasciste ; Antonin Artaud, l’antisocial frénétique ; Jean-Paul Sartre, le bénisseur des goulags ; Louis Aragon, le faux hétérosexuel chantre du KGB ; Ezra Pound, le traître à sa patrie mussolinien chinois ; Hemingway, le machiste tueur d’animaux ; William Faulkner, le négrier alcoolique ; Nabokov, l’aristocrate papillonaire pédophile ; Voltaire, le hideux sourire de la raison dénigreur de la Bible et du Coran, totalitaire en puissance ; le marquis de Sade, le nazi primordial ; Dostoïevski, l’épileptique nationaliste ; Flaubert, le vieux garçon haïssant le peuple ; Baudelaire, le syphilitique lesbien ; Marcel Proust, l’inverti juif intégré ; Drieu La Rochelle, le dandy hitlérien ; Morand, l’ambassadeur collabo ; Shakespeare, l’antisémite de Venise ; Balzac, enfin, le réactionnaire fanatique du trône et de l’autel » 5.
Autant dire que si les municipalités souhaitent n’ouvrir leurs portes qu’aux seuls écrivains irréprochables à tous égards, il faudra désormais veiller à leur fournir cette liste. Et à la compléter car elle est loin d’être exhaustive.
Ajoutons pour conclure que pour débattre d’un sujet, il y a intérêt à bien le connaître. Tout indique que cette conseillère municipale en a une connaissance approximative et que, par conséquent, il eût mieux valu qu’elle se tût.
- Lettre à Henri Mahé, 10 janvier 1933 in Lettres, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade», 2009.
- Le colloque de la SEC s’est tenu du 2 au 4 juillet à la villa « Les Roches brunes » de Dinard. Thème : « Images de la France chez Céline ». En marge du colloque, des textes de Céline, mis en lecture par Mathis Bois, furent proposés par la Compagnie Alaporte.
- On lira en pages 4 et 5 la lettre ouverte de cette dame au Maire de Dinard et la réponse de celle-ci.
- On aura reconnu Jean-Pierre Martin, ancien militant très actif de la « Gauche prolétarienne » et auteur d’un immortel Contre Céline (José Corti, 1995).
- « Céline l’infréquentable », entretien avec Jean-Pierre Martin et Philippe Sollers in Alain Finkielkraut (sous la direction de), Ce que peut la littérature, Gallimard, coll. « Folio », 2008.