Dans le précédent numéro, j’évoquais le souvenir de Pierre Monnier mort à Nice le 27 mars 2006. Par une douloureuse coïncidence, peu de temps après avoir bouclé ce numéro, j’apprenais le décès de Jacques d’Arribehaude survenu le… 27 mars dans cette même ville où il s’était retiré depuis quelques années. Encore un témoin qui s’en va – et non des moindres. Au début des années soixante, il avait – lui et son complice Jean Guenot – rencontré Céline à Meudon. Ils lui posèrent des questions auxquelles les journalistes ne l’avaient guère habitué. Témoignage d’autant plus précieux qu’il fit l’objet d’un enregistrement ¹.
Mais la figure de Jacques d’Arribehaude ne se limite pas, loin s’en faut, à cela. Il nous laisse, en outre, un récit de qualité (Adieu Néri, Prix Cazes 1978) et surtout un journal dont je ne suis pas le seul à penser qu’il restera. La dernière lettre que j’ai reçue de lui date de décembre dernier. Il me remerciait précisément pour le compte rendu du dernier opus de son journal ² : « Je suis très touché par ce magnifique et généreux article. Votre mise en parallèle avec Léautaud est un superbe hommage, non seulement à S’en fout, mais à la poignée de lecteurs pour lesquels j’existe et qui me sont attachés. Et c’est très justement que vous rappelez l’importance capitale que n’a jamais cessé d’avoir Céline dans les méandres de l’existence. J’aimerais bien connaître avant de disparaître la reconnaissance qu’a connu Léautaud in extremis, et qui en fait une captivante Mémoire littéraire du siècle dernier, mais je n’y compte guère. Si la planète tourne encore, peut-être dans un siècle ou deux, pour peu qu’il existe encore quelques chercheurs et lecteurs. Comme disait Balzac, notre Shakespeare, “ Tout a toujours été de mal en pire” »
Pessimiste gai, Jacques m’a toujours frappé par son élégance morale. Jamais je ne l’ai entendu se plaindre, même lorsqu’il fut hospitalisé pour une grave opération au Val de Grâce où nous allâmes, Éric Mazet et moi, lui rendre visite. Au contraire : c’est là qu’il nous lut des pages extraites de son journal, pleines de cette roborative alacrité qui était la sienne. Si ses livres ne connurent jamais le succès public, au moins son talent fut-il reconnu par ses pairs : Pol Vandromme, Christian Dedet, Philippe Sénart ou Jean-Louis Curtis. Engagé dans les Forces françaises libres à dix-huit ans, décoré comme il se doit de ce qu’il appelait comiquement des « bananes patriotiques » ³, Jacques d’Arribehaude estimait que son passé l’autorisait à commenter librement les aléas de l’histoire et de la politique. Et il ne s’en privait pas, ni dans son journal, ni dans les articles qu’il a écrit ici et là. C’était un homme d’une liberté sans faille qui ne craignait pas de tout dire, au risque de voir ses livres ne recevoir quasi aucun écho dans la grande presse, ce qui fut effectivement le cas.
Ce numéro entend rendre l’hommage qui lui est dû ; j’ai bien conscience qu’il est utopique d’évoquer ici toutes les facettes de cette riche personnalité. Grand diariste certes mais aussi voyageur-ethnologue, amoureux de peinture (il avait lui-même un joli talent d’aquarelliste), polémiste, fou de littérature et surtout homme attachant, fidèle en amitié et au jeune homme intrépide qu’il fut.
- Céline à Meudon, 4 cassettes disponibles auprès de Jean Guenot, B.P. 40101, 92216 Saint-Cloud (90 € franco).
- Marc Laudelout, « Le retour de Jacques d’Arribehaude », Le Bulletin célinien, n° 302, novembre 2008.
- Médaille des Évadés, Croix du combattant volontaire de la Résistance, Croix des services volontaires dans la France libre, Croix du combattant 39-45, Chevalier de la Légion d’honneur.