Réécoutant une émission sur Prague ¹, je suis frappé par le commentaire d’Alice Stašková qui précise que Mort à crédit, traduit dès 1936 dans son pays, y fut mieux accueilli qu’en France. Cette traduction était d’ailleurs accompagnée d’une préface enthousiaste. Il y est relevé que Céline montre au lecteur « combien les critères de la morale commune deviennent lamentablement ridicules face à un certain degré de misère humaine, de dégradation et de douleur, lorsque la vie ne se vit plus et ne devient qu’une fuite pénible vers la mort, où la terreur impuissante devant une telle mort lente ne permet à l’homme que d’exprimer par convulsions ses instincts les plus primitifs ». Aujourd’hui, les Tchèques disposent, non seulement d’une nouvelle édition des deux premiers romans de Céline, mais aussi de la trilogie allemande dans une traduction – excellente, nous dit-on – d’Anna Kareninová.
David Alliot me signale la réédition d’Écrits (1926-1971) de Jean Renoir ². En janvier 1938, il commente l’attaque de Céline, dans Bagatelles, contre La Grande illusion : « Au service de la juiverie, il y aurait, paraît-il, aussi des gens comme Cézanne, Racine et bien d’autres. Nous sommes donc en bonne compagnie… » On observe que le cinéaste n’utilise pas de guillemets pour désigner la « juiverie ». Faut-il rapprocher ce fait d’une interview donnée en 1940 à un journaliste portugais alors qu’il attendait à Lisbonne le bateau qui devait l’exiler aux USA ? « Je me suis stupidement compromis avec le Parti communiste et les gens de gauche. Mais le temps travaille pour moi. Je reviendrai en France. Hitler est un homme à ma main, je suis sûr que nous nous entendrons très bien tous les deux, car, comme tous mes confrères, j’ai été victime des Juifs qui nous empêchaient de travailler et qui nous exploitaient. Quand je reviendrai, je serai dans une France désenjuivée, où l’homme aura retrouvé sa noblesse et sa raison de vivre. » ³ Propos authentiques ? Le 5 novembre 1968, Henri Jeanson n’avait pas craint de les exhumer dans le quotidien L’Aurore… Toujours est-il qu’en dépit des vives critiques que Céline avait formulées à son égard, Jean Renoir, lui, a toujours manifesté une vive admiration pour l’écrivain : « Chaque fois que nous nous sommes rencontrés, nous nous sommes disputés comme des chiens. Il n’aimait pas du tout mes films ni ce que je faisais. Ça lui déplaisait beaucoup et il me considérait comme un personnage dangereux. Moi, je l’admire beaucoup, alors je lui répondais : « Je vous admire, je vous admire » 4 . Ce qui apparaît paradoxal aujourd’hui l’était sans doute moins à l’époque.
- « Le roman de Prague : sur les traces de Kafka », émission Carnet nomade de Colette Fellous, France-Culture, 3 mars 2006. Voyage au bout de la nuit – traduit, comme Mort à crédit, par Jaroslav Zaorálek – fut publié à Prague en 1934. C’est dans cette ville qu’eut lieu en 2000 le treizième colloque de la Société d’études céliniennes.
- Jean Renoir, Écrits (1926-1971), édition établie par Claude Gauteur, Éd. Ramsay, coll. « Ramsay Poche Cinéma », 2006, 422 pages. La première édition date de 1974 (éd. Pierre Belfond).
- Cité par Alain Soral in Jusqu’où va-t-on descendre ? (Abécédaire de la bêtise ambiante), Éditions Blanche, 2002, p. 209.
- Propos recueillis par Michel Polac in « D’un Céline l’autre », émission Bibliothèque de poche, O.R.T.F., 8 mai 1969 (1ère partie).