Céline n’a donc ni menti ni affabulé lorsque, dans sa correspondance et plusieurs de ces romans, il évoque ses manuscrits volés à la Libération. Extraordinaire affaire que ces trésors retrouvés près de 80 ans plus tard ! On la traite en détail dans ce numéro. L’écrivain revient ainsi à l’avant-plan de la scène littéraire, comme ce fut le cas lors de son éviction des “Commémorations nationales” ou de la réédition impossible des pamphlets par Gallimard. Cette découverte miraculeuse à suscité un important dossier de presse (écrite et audio-visuelle) nourri à la fois par l’importance de ces manuscrits et la controverse judiciaire. Cela a été aussi l’occasion pour les célinistes de disserter sur le sujet. Avec plus ou moins de perspicacité. La palme revient à Philippe Roussin qui s’était déjà distingué, il y a deux ans, en s’opposant de manière radicale à une édition scientifique des textes polémiques. Dans une interview à Libération, il assène plusieurs affirmations qui laissent pantois¹. À propos de la correspondance Céline/Brasillach, il affirme que le premier avait injurié le second dans la presse collaborationniste. C’est ignorer que l’accrochage eut lieu avant-guerre : Je suis partout avait publié un écho ironique lorsque les pamphlets furent retirés de la vente suite au décret Marchandeau. Mais Roussin sait-il que Céline fut très touché par la relecture de Voyage par Brasillach en 1943 et, plus encore, par le chapitre des Quatre Jeudis l’année suivante, où pour la première fois un critique reconnu lui donnait une place d’envergure dans une sorte d’histoire de la littérature française du XXe siècle ? Céline concluait son remerciement hâtif par un « Bien affectueusement », formule peu fréquente sous sa plume lorsqu’il s’adressait à un critique. À l’été 1943, il le pressa de demander comme lui un permis de port d’arme : « Si la plèbe se soulève un peu, ce ne sera sûrement pas pour assassiner les Allemands, le risque est trop grand ! mais pour nous assassiner, vous et moi et quelques autres ». À l’automne de cette année, il lui écrivit une lettre où il définit pour la première fois son style « tel le métro », « d’émotion en émotion » et en « transposition ». À propos des années londoniennes, Roussin écrit qu’il se pourrait que Céline s’y soit marié. A-t-il entendu parler de Suzanne Nebout et connaît-il les découvertes publiées il y a quinze ans sur le sujet ?² Pour parachever le tout, il se demande si la légende du Roi Krogold est une légende celte. Sait-il enfin que Céline la qualifiait lui-même de « légende gaélique » ? Tant de méconnaissance confond…
Parallèlement les jugements moraux n’ont pas été absents tant il apparaît impossible de parler de cette découverte sans rouvrir le procès Céline. À la télévision, David Alliot n’a pas craint de le qualifier d’« ordure humaine »³. On est loin de la position de Henri Godard dont je citai ici une déclaration qui lui avait été erronément attribuée. Il m’avait alors adressé ce rectificatif : « Je n’ai jamais prononcé pour mon compte la phrase “Céline est un pur salaud” qui m’est prêtée par l’AFP. Tout au plus ai-je pu la citer pour m’en dissocier, et le journaliste aura fait la confusion. J’avais négligé jusqu’à présent de faire la rectification, mais je vois que certains de vos lecteurs s’émeuvent de trouver cette phrase dans ma bouche, je les comprends, c’est pourquoi je vous serais reconnaissant de signaler ce démenti. »4
- Libération, 11 août 2011 (propos recueillis par Nicolas Celnik).
- Gaël Richard, « Janine & Louis. Nouveaux documents sur Londres et Suzanne Nebout », L’Année Céline 2006, pp. 104-126.
- Émission « Grand angle », TV5 Monde, 10 août 2021.
- « Henri Godard nous écrit », Le Bulletin célinien, n° 329, avril 2011.