Il fit des débuts fracassants en 1985 et n’a pas cessé de susciter des controverses depuis. Seule sa détestation de ce qu’il nomme « l’occidentalisme américano-francaoui » peut expliquer sa justification du terrorisme islamiste. Au point d’avoir dédié son livre précédent aux dix-neuf kamikazes du 11 Septembre dont il cite les noms avec révérence. Le deuxième volet de ce qui se veut une trilogie contre le mouvement conspirationniste est paru il y a quelques mois. Ouvrage mirobolant de plus d’un millier de pages qui se lit aisément à condition d’en sauter plusieurs passages, notamment les développements sur l’idéologie salafiste ou les multiples commentaires le concernant que Nabe recueille méticuleusement sur Internet. Après la lecture de ce pavé, on ne peut s’empêcher de faire sienne la définition qu’en donne un personnage du livre : « Un feuilleton avec des personnages, au fond, sans intérêt qui appartiennent à la même famille, à la même niche, et qui s’entre-tuent… ». Ces guéguerres picrocholines méritaient-elles tant d’analyses ? Sur le plan littéraire, ce n’est pas dans ce domaine que Nabe est à son meilleur. Trop de détails inutiles, trop de digressions répétitives, trop de dialogues oiseux qui n’ajoutent rien à ce que l’auteur entend démontrer. Il aurait plutôt dû vérifier certaines de ses allégations, par exemple lorsqu’il écrit que Brasillach s’est « engagé pragmatiquement dans le camp allemand jusqu’à porter l’uniforme nazi ». En fait, Nabe n’est jamais aussi bon que dans le libelle ou le tract. Au moins cet épais volume offre-t-il l’intérêt d’éclairer la déconcertante personnalité de l’auteur qui ressent depuis des années l’irrésistible besoin de se brouiller avec tous ceux qu’il fréquente. « Cette flaque baveuse et glougloutante que j’abhorre depuis toujours : l’amitié ! ». Cet aveu éclaire bien des comportements… Si son dernier livre est signalé ici, c’est qu’il y est souvent question de Céline. Le célinien pointu que Nabe se targue d’être commet l’étonnante bourde de dater l’interview de L’Express de 1956 alors qu’elle fit partie de la campagne de presse orchestrée par Nimier pour la sortie d’Un château l’autre. Les amis de Céline ne lui sont apparemment pas davantage familiers puisqu’il évoque un « docteur Mahé » (!), le confondant sans doute avec Clément Camus. Quant à l’expression fort ancienne dont se serait inspirée Céline – « Crédit est mort » [pas et, p. 338] –, Pierre Monnier racontait l’avoir souvent vue affichée dans les bistrots avant-guerre. Ce n’est donc pas une révélation, contrairement à ce que Nabe prétend. Enfin, la « fameuse phrase tant travaillée avec Audrey [Vernon] » pour une émission télévisée (« Un génie ne peut pas être un salaud »), elle n’est qu’une reprise de Sollers qui l’assénait à la fin du siècle précédent¹. Pure spéculation enfin que ces commentaires sur un projet de pamphlet (visant les retournements de veste) que Céline aurait entrepris (dixit Tinou Le Vigan) après Les Beaux draps. Gageons que lorsque des manuscrits inédits verront le jour, ce Drapeau à coulisse (c’est son titre) ne fera pas partie du lot. Péremptoire et sûr d’avoir toujours raison, Nabe ne connaît pas le doute. Que ce soit à propos de Céline ou d’autres sujets.
• Marc-Édouard NABE, Les Porcs, 2, 2020, 1104 p. Ouvrage autoédité tiré à 1.500 exemplaires. Prix : 65 € + port
- « Je ne comprends rien au raisonnement selon lequel Céline serait à la fois un salaud et un génie. Une vraie ordure ne peut être un immense écrivain. J’entends bien qu’on se préoccupe de l’antisémitisme, mais j’entends aussi que c’est un pur prétexte pour se débarrasser en premier lieu de l’écrivain ! » (Propos de Philippe Sollers recueillis par L’Evènement du jeudi, 19 décembre 1991).