Opprobres

Le savez-vous ? Il existe une « rue Staline » dans l’Aisne et plusieurs « rues Lénine » un peu partout en France. Quant aux « rues Louis Aragon », qui chantait  dans les années trente  “ le Guépéou  nécessaire de France ”,  elles sont légion. Mais ce n’est assurément pas demain la veille qu’il y aura une rue Céline…

En octobre dernier, le maire de Camaret-sur-Mer (Finistère) eut l’idée de dénommer un modeste chemin communal « rue Louis-Ferdinand Céline ».  L’adjoint au maire a aussitôt annoncé qu’il voterait contre cette proposition. Le maire s’est incliné et une autre dénomination a été choisie. Coïncidence : c’est à Camaret que se trouvait jusqu’il y a peu une plaque apposée sur une maison où se rendait fréquemment Céline avant l’exil. Elle appartenait à la mère de l’épouse de Henri Mahé. C’est à la demande du peintre que la décision d’apposer cette plaque fut votée en 1968 par la municipalité (de gauche). Afin de ne pas être importunés (?) par des céliniens, les nouveaux propriétaires ont décidé de l’enlever. De telle sorte qu’à notre connaissance il n’existe en France aucune rue ni plaque rappelant le souvenir de l’auteur du Voyage au bout de la nuit. Exception faite naturellement de routes ou chemins privés. Ce qui s’est passé à Camaret rappelle les remous suscités il y a trente ans par l’initiative du conseil municipal de Montpon-Ménestrol (Dordogne) qui avait également pris la décision de donner le nom de Céline à une rue de la commune. Là, ce sont les protestations d’un comité d’anciens combattants qui firent capoter le projet. En 1985, la Préfecture de Paris  retira sans aucune explication l’autorisation qu’elle m’avait accordée pour l’apposition d’une plaque commémorative rue Girardon. Rebelote sept ans plus tard  lors d’une nouvelle tentative, cette fois en collaboration avec l’association « La Mémoire des lieux » dirigée par Roger Gouze, beau-frère du Président de la République d’alors. En raison de pressions diverses, cette association me communiqua de manière lapidaire que l’apposition de la plaque était remise sine die. La tentative de faire apposer une plaque sur le domicile qu’occupa, au mitan des années vingt, le docteur Louis Destouches à Champel dans la banlieue de Genève se heurta cette fois au refus du propriétaire suite aux échos parus dans la presse. Au début des années 90, la décision de classer la maison de Meudon comme « lieu de mémoire » fut prise par le ministre de la Culture avec l’appui de plusieurs écrivains dont Sollers, Rinaldi et Gracq. Suite aux protestations du CRIF, ce fut, cette fois, le préfet de la région d’Île-de-France qui décida de ne pas donner son aval au projet. Plus récemment, un autre Ministre de la Culture décida, suite aux protestations d’une association analogue, de retirer Céline des « Célébrations nationales ». Il y avait été inscrit pour le 50e anniversaire de sa mort. Heureusement le ridicule ne tue pas : à la même époque, le maire de Strasbourg décida, suite aux protestations d’un administré, de retirer une citation de Céline (extraite de Rigodon) qui avait été apposée sur la porte des toilettes de la nouvelle médiathèque. Il existe paradoxalement des céliniens qui se réjouissent de cette série de rebuffades, estimant que cela montre à l’envi que Céline est un écrivain vivant. Quant à la villa « Maïtou », on sait qu’avant d’être vendue à terme (à l’un des voisins) avec droit d’usage d’habitation (pour Lucette), le Ministère de la Culture, pressenti, fit savoir qu’il ne souhaitait pas l’acquérir. La “Direction des Patrimoines” renchérit en soulignant que « Céline n’y a vécu qu’une dizaine d’années ». Stéphane Bern, chargé de mission dans ce domaine, estime, lui, qu’il faut éviter que cette maison devienne « un lieu de pèlerinage ». Et c’est ainsi que rien ne se fera…