Vient de paraître


Sommaire : Rencontre avec Denis Podalydès – Colloque pour une autre fois – Céline dans Paris-Midi (2e partie) – Portrait de Céline dans le Patmos de sa banlieue [1971]

Marc-Édouard Nabe

Il fit des débuts fracassants en 1985 et n’a pas cessé de susciter des controverses depuis. Seule sa détestation de ce qu’il nomme « l’occidentalisme américano-francaoui » peut expliquer sa justification du terrorisme islamiste. Au point d’avoir dédié son livre précédent aux dix-neuf kamikazes du 11 Septembre dont il cite les noms avec révérence. Le deuxième volet de ce qui se veut une trilogie contre le mouvement conspirationniste est paru il y a quelques mois. Ouvrage mirobolant de plus d’un millier de pages qui se lit aisément à condition d’en sauter plusieurs passages, notamment les développements sur l’idéologie salafiste ou les multiples commentaires le concernant que Nabe recueille méticuleusement sur Internet. Après la lecture de ce pavé, on ne peut s’empêcher de faire sienne la définition qu’en donne un personnage du livre : « Un feuilleton avec des personnages, au fond, sans intérêt qui appartiennent à la même famille, à la même niche, et qui s’entre-tuent… ». Ces guéguerres picrocholines méritaient-elles tant d’analyses ? Sur le plan littéraire, ce n’est pas dans ce domaine que Nabe est à son meilleur. Trop de détails inutiles, trop de digressions répétitives, trop de dialogues oiseux qui n’ajoutent rien à ce que l’auteur entend démontrer. Il aurait plutôt dû vérifier certaines de ses allégations, par exemple lorsqu’il écrit que Brasillach s’est « engagé pragmatiquement dans le camp allemand jusqu’à porter l’uniforme nazi ». En fait, Nabe n’est jamais aussi bon que dans le libelle ou le tract.  Au moins cet épais volume offre-t-il l’intérêt d’éclairer la déconcertante personnalité de l’auteur qui ressent depuis des années l’irrésistible besoin de se brouiller avec tous ceux qu’il fréquente. « Cette flaque baveuse et glougloutante que j’abhorre depuis toujours : l’amitié ! ». Cet aveu éclaire bien des comportements… Si son dernier livre est signalé ici, c’est qu’il y est souvent  question de Céline. Le célinien pointu que Nabe se targue d’être commet l’étonnante bourde de dater l’interview de L’Express de 1956 alors qu’elle fit partie de la campagne de presse orchestrée par Nimier pour la sortie d’Un château l’autre. Les amis de Céline ne lui sont apparemment pas davantage familiers puisqu’il évoque un « docteur Mahé » (!), le confondant sans doute avec Clément Camus. Quant à l’expression fort ancienne dont se serait inspirée Céline – « Crédit est mort » [pas et,  p. 338] –, Pierre Monnier racontait l’avoir souvent vue affichée dans les bistrots avant-guerre. Ce n’est donc pas une révélation, contrairement à ce que Nabe prétend. Enfin, la « fameuse phrase tant travaillée avec Audrey [Vernon] » pour une émission télévisée (« Un génie ne peut pas être un salaud »), elle n’est qu’une reprise de Sollers qui l’assénait à la fin du siècle précédent¹. Pure spéculation enfin que ces commentaires sur un projet de pamphlet (visant les retournements de veste) que Céline aurait entrepris (dixit Tinou Le Vigan) après Les Beaux draps. Gageons que lorsque des manuscrits inédits verront le jour, ce Drapeau à coulisse (c’est son titre) ne fera pas partie du lot. Péremptoire et sûr d’avoir toujours raison, Nabe ne connaît pas le doute. Que ce soit à propos de Céline ou d’autres sujets.

• Marc-Édouard NABE, Les Porcs, 2, 2020, 1104 p. Ouvrage autoédité tiré à 1.500 exemplaires. Prix : 65 € + port

  1. « Je ne comprends rien au raisonnement selon lequel Céline serait à la fois un salaud et un génie. Une vraie ordure ne peut être un immense écrivain. J’entends bien qu’on se préoccupe de l’antisémitisme, mais j’entends aussi que c’est un pur prétexte pour se débarrasser en premier lieu de l’écrivain ! » (Propos de Philippe Sollers recueillis par L’Evènement du jeudi, 19 décembre 1991).

Vient de paraître

Sommaire : François Marchetti nous a quittés – Céline dans Paris-Midi (1ère partie) – Actualité célinienne

Mertens contre Céline

Comme l’écrivait Roger Nimier, il est très naturel de ne pas aimer Céline. Et, encore plus si, comme c’est le cas pour l’écrivain belge Pierre Mertens (1939), on est né de père résistant et de mère juive. Mais faut-il pour autant déconsidérer Céline en tant qu’écrivain ? Dans un récent entretien, ce romancier ne fait pas dans la dentelle : « Relisez un peu le Voyage au bout de la nuit aujourd’hui. Cela a pris un formidable coup de vieux. C’est pas aussi beau que ce qu’on croyait quand on avait 18 ans. Bagatelles et tout ça sont venus rejeter le grand Céline du début dans le purgatoire, dans les égouts d’où il n’a jamais vraiment émergé. » Avoir recours aux pamphlets pour déprécier les romans, c’est assurément une trouvaille. Il faut ajouter que Mertens englobe Drieu la Rochelle et Morand dans la même détestation. Même rhétorique : « Relisez un peu ça attentivement aujourd’hui. Ça a pu paraître un moment donné étincelant. Faites l’expérience : ça s’est écroulé. La merde [sic] a déferlé sur tout ça. » Autant dire que, si cela dépendait de Mertens, aucun de ces trois écrivains ne serait aujourd’hui dans la Pléiade. Ni réédité constamment en collections de poche. Je crains fort pour lui que, dans cent ans, on lira encore Voyage au bout de la nuit alors que ses romans ne seront ni lus ni réédités (sauf peut-être celui inspiré par la vie de Gottfried Benn). S’il s’attaque à Voyage, c’est de toute évidence parce que c’est le roman le plus glorieux de Céline. Mais il ne dit rien de Mort à crédit, ni de la trilogie allemande qui, pour lui, n’existent tout simplement pas.  Les a-t-il seulement lus ? Or, il se trouve que Mertens est aussi critique littéraire. Peut-on raisonnablement se targuer d’en être un dès lors qu’on décrète que Céline ne compte pas ? Mais quels sont alors les auteurs contemporains qui ont de la valeur à ses yeux ?  La liste fournie est fort orientée vers l’Amérique latine : Garcia Márquez, Sábato, Cortázar, Fuentes, Scorza,  pour ne citer qu’eux. On ratifie car ce sont sans conteste des auteurs de grand format mais on a envie de demander benoîtement à Mertens s’il apprécie aussi des écrivains du bord opposé. C’est, en fait, poser une question dont on connaît la réponse. Dans un autre entretien, on tombe sur cette forte affirmation : « Je ne conçois, et cela est absolument pour moi définitif, de critiques que militantes¹. » Tout est dit. Feu François Nourissier déplorait qu’en France, la critique littéraire soit profondément contaminée par le poison idéologique. En Belgique aussi, de toute évidence.  À tout prendre, je préfère la position d’un Charles Dantzig qui, lui, attaque Céline littérairement ². Mertens se dit l’ami de Kundera. Sait-il que celui-ci a renoncé à ses droits d’auteur en Tchéquie afin qu’ils servent à financer une nouvelle traduction de Voyage au bout de la nuit ? Voilà de quoi alimenter leur prochaine conversation… Le sectarisme imbécile a encore de beaux jours devant lui. Dès lors qu’il s’agit de littérature, seule devrait compter la valeur de l’œuvre. Si Voyage est encore fort lu aujourd’hui, notamment par la nouvelle génération, c’est notamment parce que cette écriture baroque séduit. Seuls les butors voient en lui un écrivain populiste ou réaliste. Ce qui est aussi étonnant, c’est que l’auteur de cet entretien laissa passer ces énormités sans réagir ou émettre la moindre réserve. Il est vrai que, face à Mertens, il fait preuve d’une révérence godiche.

• Antoine LABYE, « Une heure avec Pierre Mertens », RCF [Liège], 8 mars 2021.

  1. Marcel Voisin, « Pierre Mertens, l’humaniste », Québec français, n° 78, été 1990, pp. 78-80.
  2. Charles Dantzig, « Ma république idéale » in Les écrivains et leurs mondes, Robert Laffont, coll. “Bouquins”, 2016.

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Sommaire : Quand Chateaubriand prédisait la venue de Céline… – Le Journal de Rebatet – Céline dans Juvénal – Quand le fantôme de Céline met la Préfecture de police en émoi [archive]

Lectures de Céline

Il est périlleux pour un comédien de lire Céline. Le risque est d’en faire trop, de souligner les effets, bref de surcharger. Voilà un écueil qu’évite sans conteste Denis Podalydès. Après nous avoir donné une lecture intégrale de Voyage au bout de la nuit ¹, il nous gratifie, cette fois, de celle de Mort à crédit, sous la forme de deux disques compacts (format mp3). Autant le dire d’emblée : il ne fait pas l’unanimité auprès des céliniens si l’on en juge par les avis propagés sur les réseaux sociaux de l’Internet. Les uns goûtent peu sa lecture jugée monocorde même si elle est motivée par le souci de ne pas verser dans l’expressionnisme facile et vulgaire de certains interprètes. Les autres, la trouvent très fine, à l’opposé des lectures outrées qui abondent. En atteste ce commentaire : « Pas le plus musical, pas le plus jazzy, mais une véritable fragilité qui révèle de très belles nuances dans le texte… J’ai longtemps préféré Luchini pour son interprétation très “dansante” ; celle de Podalydès me paraît aujourd’hui tellement plus subtile, moins caricaturale. » À propos de sa lecture de Voyage, l’écrivain Thomas Compère-Morel estime qu’il a trouvé « la respiration parfaite de l’écriture célinienne pour nous en restituer la force brute ». Le critique littéraire Grégoire Leménager renchérit : « Loin de la gouaille de Michel Simon comme des éruptions jubilatoires de Luchini, ce sociétaire de la Comédie-Française lit Céline comme il lirait du La Bruyère. Soudain très grand siècle, avec une sobriété qui confine à la pureté, le saisissant bavardage de Bardamu y devient ce qu’il est aussi : un immense texte classique, qui oppose la beauté d’une langue à la trivialité du monde. » Il faut dire que Podalydès a l’intelligence de s’adapter au canal de diffusion : il ne s’adresse pas ici au public d’une salle de théâtre mais à une seule personne écoutant le texte dans l’intimité.

On ne compte plus les grands comédiens qui ont lu Céline : de Michel Simon à Pierre Brasseur en passant par Arletty, Le Vigan, Georges Wilson et bien entendu Luchini. Ce qui n’est guère connu, ce sont les lectures qui n’ont pas fait l’objet de disques. Ces trésors figurent dans les archives de l’Institut national de l’audiovisuel, ayant été diffusés jadis sur les ondes des radios publiques, particulièrement France-Culture. Plusieurs comédiens de grand talent ont, en effet, prêté leur voix à des émissions consacrées à Céline. Citons en vrac Jean-Louis Barrault, Michel Bouquet, Marcel Bozzuffi, Alain Cuny, André Dussolier, Julien Guiomar, Jean Négroni, Michel Piccoli, pour n’en citer que quelques-uns. Celui qui se dégage du lot, à mon sens, est Michel Vitold, excellent dans deux registres différents : un extrait éruptif de Bagatelles et un passage déchirant de Féerie où l’écrivain évoque sa mère décédée alors qu’il était en exil ². Une idée que je soumets à Laurent Vallet, président de l’I.N.A. (nommé en 2015 et renommé à ce poste en 2020) :  éditer un disque consacré à Céline reprenant quelques unes de ses lectures d’anthologie.

Louis-Ferdinand Céline. Mort à crédit. Lecture intégrale par Denis Podalydès. Gallimard, coll. “Écoutez lire”, 2021. Deux disques compacts. Durée : 23 heures. (26,90 €)

  1. Voyage au bout de la nuit. Louis-Ferdinand Céline. Texte intégral lu par Denis Podalydès. Seize disques compacts sous coffret, Frémeaux & Associés, 2003.
  2. « D’un Céline l’autre : à Paris et à Copenhague », émission réalisée en trois parties par Jean Montalbetti dans la série « Un homme, une ville ». France Culture, 4, 11 et 18 juillet 1980. Durée : 3 h.