Vient de paraître

 2018-07-BC-Cover

Sommaire : Une biographie qui divise – Entretien avec Philippe Alméras – Céline et le/la politique ou Le reste est littérature – Alméras, de Céline à Pétain et retour – « Fichu maladroit » et « faux diable » – Itinéraire d’un céliniste.

Philippe Alméras

Philippe Alméras n’est pas bien vu par les céliniens. Les raisons selon lui ? « Je ne maquille ni son antisémitisme ni sa collaboration. Je récuse l’alibi de la folie. Surtout je me refuse à la récupération sociale-démocrate du “Céline au langage révolutionnaire malgré lui”. Je reste surtout celui qui a fait l’inventaire des “idées de Céline”. Voici donc toutes mes médailles. ¹ » Il est vrai que les admirateurs de l’écrivain ont tendance à évacuer ses choix partisans en les réduisant à des élucubrations mentales à ne pas prendre au sérieux. Tendance naturelle à défendre un écrivain que l’on aime. À l’autre bout de la chaîne, Alméras force le trait : « Pas très médecin, pas tellement compatissant, pas mal pleutre ² ». Et escamote l’artiste. Or Céline fut davantage obnubilé par sa création littéraire que par le reste. Durant l’Occupation, il consacre bien plus de temps à rédiger Guignol’s band (dont il entame la rédaction à l’automne 1940) qu’à fréquenter le petit milieu de la collaboration et à réagir aux articles des journaux. Certes l’idéologie n’est absente ni de ce troisième roman ni surtout de ceux d’après-guerre mais celle-ci y apparaît par la force des choses et non de manière délibérée. À lire Alméras, on a, au contraire, l’impression d’un idéologue constamment mû par son obsession racialiste. Laquelle n’est pas contestable mais ce constat doit-il nécessairement conduire à la partialité ? « Testis unus, testis nullus »  s’exclame Alméras pour récuser un témoignage attestant l’indépendance de Céline (Benoist-Méchin) alors que, dans le même temps, il en avalise un autre sans barguigner mais à charge celui-là (Jünger).  Détail qui atteste d’une volonté démonstrative ne s’embarrassant guère de méthodologie. L’idéologie célinienne vue par Alméras ? Une vision Nord-Sud impliquant une polarisation ethnique antérieure à Voyage, ce qui est discutable, et un racisme biologique plus prégnant que son antisémitisme, ce qui est avéré. Un pionnier du célinisme est monté au créneau pour fustiger « la tribu querelleuse des céliniens qui, dans son ésotérisme acariâtre, lui a parfois cherché des crosses ³ ». De quoi panser quelques plaies… Lesquelles sont parfois ravivées. Ainsi, le projet de communication qu’Alméras destinait au colloque « Céline et le politique », s’est vu refuser par le bureau de la Société d’Études céliniennes 4. Si ce refus se justifie par le fait que cette contribution n’apporte strictement rien de neuf à ses précédentes études sur le sujet – c’en est même la synthèse parfaite –,  davantage d’égards eussent pu être pris envers ce quasi nonagénaire qui fut l’un des co-fondateurs de la S.E.C. et son premier président. Raison suffisante pour accueillir ici cette communication. Le lecteur jugera ainsi sur pièce.

Philippe Muray força jadis son talent en traitant Alméras de « doyen de la Confrérie des célinophobes » car son admiration pour l’écrivain n’est pas feinte même si, dans sa logique apodictique, il donne l’impression d’admirer essentiellement en lui le génie verbal alors que la poétique célinienne dépasse de beaucoup cette dimension.

Au moins s’accordera-t-on à reconnaître les mérites de l’auteur décapant de De Gaulle à Londres et de Vichy-Londres-Paris 5. Sa volonté opiniâtre de basculer les légendes ne s’arrêtant évidemment pas à Céline.

  1. Propos recueillis par Pierre Chalmin in Éléments, hiver 2004-2005.
  2. Philippe Alméras, « Cent ans après » in Sur Céline, Éditions de Paris, 2008, p. 250.
  3. Pol Vandromme, « Promenade en terres céliniennes », Valeurs actuelles, 21 janvier 2005.
  4. Ce colloque aura lieu du 4 au 6 juillet à Sciences-Po (Paris). Voir : https://celine-etudes.org.
  5. Tous deux parus aux éditions Dualpha.

Vient de paraître

2018-06-BC

Sommaire : En marge des “Lettres familières” – Céline, le négatif et le trait d’union – Enquête sur le procès Céline [1950] – Lettres d’Alphonse Juilland à Éric Mazet (2) – Antoine Gallimard et Pierre Assouline parlent.

Réprouvés, bannis, infréquentables

Sous le titre Réprouvés, bannis, infréquentables, Angie David publie un recueil de portraits d’écrivains, morts ou vivants, qui ont eu maille à partir avec la censure ou les tribunaux. Des auteurs aussi différents que Boutang, Debord, Handke, Millet, Houellebecq, Nabe ou Camus (Renaud). « Ce n’est plus un rassemblement : c’est une rafle. Céline y a échappé par miracle et on ne peut que s’en féliciter », a raillé Pierre Assouline dans une chronique intitulée « Il n’y a pas d’écrivains maudits » ¹. Cela suscite deux observations.  La première,  c’est  que cet adjectif-là ne figure précisément pas dans le titre du livre. Mais on peut difficilement contester qu’à un moment de leur carrière, ces écrivains ont bien été soit réprouvés (par leurs confrères), soit bannis (par leur maison d’édition), soit jugés infréquentables (par la société). Ce qui ne signifie pas qu’ils l’aient toujours été ni qu’ils le soient encore, la récupération faisant son œuvre. Quant à Céline, il est loin, en effet, d’être un écrivain maudit puisque tous ses romans sont disponibles en collection de poche ainsi que dans la Pléiade. Il est, par ailleurs, reconnu comme l’un des écrivains majeurs du XXe siècle sur plus d’un continent. En revanche, une part de son œuvre est assurément maudite au point qu’un projet de réédition a suscité de vives réactions que la plus haute autorité de l’État a estimé légitimes. La plupart des célinistes, eux, ressassent la même antienne : certes ces écrits sont intolérables mais certains passages peuvent en être sauvés. Et de citer invariablement la description de Leningrad dans Bagatelles et l’épilogue des Beaux draps. C’est perdre de vue que Céline ne perd nullement son talent dans l’invective même lorsqu’il est outrancier. Si l’on se reporte au dossier de presse de Bagatelles, on voit, au-delà des clivages idéologiques, à quel point les critiques littéraires pouvaient alors le reconnaître. « La frénésie, l’éloquence, les trouvailles de mots, le lyrisme enfin sont très souvent étonnants », relevait Marcel Arland dans La Nouvelle Revue Française. Charles Plisnier, peu suspect de complaisance envers l’antisémitisme, évoquait « un chef-d’œuvre de la plus haute classe » ². Dans une récente émission télévisée, un célinien en lut plusieurs extraits qu’il jugeait littérairement réussis, notamment l’un daubant la Russie soviétique. Passage coupé au montage. Seule la description  de Leningrad  a  précisément  été retenue.

Autre réflexion: si Céline est reconnu comme un écrivain important, il n’en demeure pas moins qu’il est tenu à l’écart par l’école et l’université. Hormis Voyage au bout de la nuit et, dans une moindre mesure Mort à crédit, ses romans sont absents des programmes scolaires. Quant à l’université, on doit bien constater qu’elle organise très peu de séminaires sur son œuvre et que, parmi les universitaires habilités à diriger des recherches, rares sont ceux qui acceptent de diriger un travail sur Céline. Conséquence : le nombre de thèses à lui consacrées est en nette baisse par rapport au siècle précédent. On se croirait revenu aux années où Frédéric Vitoux puis Henri Godard rencontrèrent tous deux des difficultés à trouver un directeur de thèse.  Et cela ne risque pas de s’arranger dans les années à venir.

• Angie DAVID (éd.), Réprouvés, bannis, infréquentables, Éditions Léo Scheer, 2018, 275 p. (20 €).

  1. Pierre Assouline, « Il n’y a pas d’écrivains maudits », La République des livres, 25 mars 2018 [http://larepubliquedeslivres.com/il-ny-pas-decrivains-maudits]
  2. Le dossier de presse a été procuré par André Derval in L’accueil critique de Bagatelles pour un massacre, Écriture, 2010.

Vient de paraître

2018-05-BC-Cover

Sommaire : Entretien avec Henri Godard – Éditeur de Céline – L’intercesseur – Quarante années de recherches céliniennes.

Henri Godard

La dette que les céliniens ont contractée envers Henri Godard est considérable. On songe évidemment en premier lieu à cette magistrale édition critique de l’œuvre romanesque dans la Pléiade.  Que  ce  soit sur la génétique des textes,  l’établissement des variantes, les liens entre  création et  expérience vécue, l’étude narrative et stylistique, il a accompli un travail à la fois rigoureux et éclairant. De sa thèse de doctorat sur la poétique de Céline soutenue il y a plus de trente ans à sa biographie qui vient d’être rééditée en collection de poche ¹, il aura sans nul doute été l’exégète le plus pénétrant de Céline. Et il a constamment mis l’accent sur l’unité d’une œuvre qui « contrairement à l’impression générale, demeure assez mal connue dans son ensemble comme dans sa distribution ² ».

« Nous avons en commun de travailler à donner à Céline, en dépit des handicaps, toute la place qui est la sienne », m’a-t-il écrit un jour. C’était aussi reconnaître implicitement tout ce qui nous sépare. L’un des mérites d’Henri Godard aura été de surmonter ce qui aurait pu l’empêcher de vouer une grande partie de sa carrière à l’œuvre d’un homme dont il est si éloigné. Dans son dernier livre sur Céline, il ne dissimule pas les tourments que cela a pu susciter sur le plan personnel : « Autour de moi, dans mon entourage proche, même si on a depuis longtemps cessé de me le dire, pour certains – mes amis juifs naturellement en particulier –, ce choix n’en continue pas moins à faire problème. Ils auraient préféré que je m’attache à un autre auteur. Entre eux et moi, par intermittence, à l’occasion d’une nouvelle publication par exemple, je sens passer une onde à peine perceptible de gêne. »  Et  les choses vont parfois plus loin comme lorsque l’un de ses pairs l’accuse de complaisance envers l’écrivain ³.

Henri Godard n’écrira plus sur Céline. Il considère qu’il a dit sur le sujet tout ce qu’il avait à dire. Il n’était que temps de lui rendre hommage et de lui exprimer notre gratitude. En publiant la transcription d’un des plus intéressants entretiens qu’il ait donnés à la presse radiophonique. Plus loin, deux céliniens de la nouvelle génération saluent avec reconnaissance leur aîné tandis que Jean-Paul Louis, avec lequel il fonda la revue L’Année Céline, explique pertinemment en quoi son travail d’éditeur dans la Pléiade est digne de tous les éloges.

Ce passionné de littérature n’a jamais méconnu le pamphlétaire intraitable que fut Céline. En revanche il s’est toujours insurgé lorsque certains voulaient le repeindre en « un second Drumont », c’est-à-dire « un individu qui n’[aurait] jamais pensé qu’à propager son credo raciste, utilisant  à l’occasion  pour cela la voie indirecte  ou  camouflée du roman 4. » C’est tout l’honneur d’Henri Godard d’avoir défendu l’écrivain malgré les préventions, les embûches et les dénigreurs de tout acabit.

  1. Henri Godard, Céline, Gallimard, coll. « Folio », 2018, 820 p.
  2. La formule, hélas toujours actuelle, est de Jean-Pierre Dauphin (†), fondateur avec Henri Godard, des Cahiers Céline (Les critiques de notre temps et Céline, Garnier, 1976).
  3. Jérôme Meizoz, « Richard Millet : le scénario Céline » in Pascal Durand & Sarah Sindaco (dir.), Le Discours « néo-réactionnaire », CNRS Éditions, 2015. Le tandem Taguieff-Duraffour, lui, ne craint pas d’écrire à son propos que « dans le célinologue perce le célinophile, voir le célinolâtre», ce qui est, concernant Godard, tout à fait grotesque.
  4. Note critique de Henri Godard relative à la biographie de Philippe Alméras, Céline : entre haines et passion in L’Année Céline 1994, Du Lérot – Imec Éditions, 1995, p. 141.