En couverture d’un récent numéro, j’ai placé ce propos de Céline : « J’ai été tellement trahi, bafoué, injurié, recouvert de toutes les ordures et les merdes que cent mille tonnes de parfums d’Arabie ne me feraient pas encore sentir bon ! ». Pour certains, Céline pue toujours, et il convient de s’en éloigner au risque d’être soi même empuanti.
Dans les Cahiers d’Histoire du Temps présent, édités à Bruxelles, un bas-bleu, « chercheuse et docteure en histoire », avait signé un compte rendu franchement tendancieux de la biographie de Robert Poulet par Jean-Marie Delaunois. La dernière livraison de cette revue (n° 13/14, 2004) reprend cette critique, le droit de réponse de l’auteur, ainsi que – excusez du peu ! – la réplique de l’historienne qui tient à avoir le dernier mot.
Que Robert Poulet ait été un critique littéraire de talent n’est contesté par aucun esprit libre. Dans son livre, Delaunois reproduit plusieurs commentaires élogieux de personnalités très diverses. Objection, rétorque la chercheuse : les auteurs cités « appartiennent tous au milieu de Poulet » [sic]. Dans sa réponse, Delaunois peut aisément montrer qu’il n’en est rien, les auteurs étant Michel Tournier, Jean Paulhan, Dominique Rolin, Alain Bosquet et Alphonse Boudard, pour ne nommer que ceux-ci. Notre historienne persiste et récuse ces témoins pour des raisons aussi farfelues les unes que les autres : Tournier parce qu’il a travaillé dans la même maison d’édition que Poulet ; Bosquet parce qu’il écrivait dans Le Figaro « alors fort marqué à droite » ; Dominique Rolin parce qu’elle signa des nouvelles dans l’hebdomadaire Cassandre (qui évolua mal par la suite) et… Boudard parce qu’il fut « un grand admirateur de Céline ». On l’aura compris : le fait d’admirer Céline est éminemment suspect et déconsidère ipso facto tout jugement critique que l’on peut avoir, par ailleurs. C’est l’ère du soupçon généralisé. Cela relève surtout d’un sectarisme qu’on croyait révolu. Qu’une revue, émanation d’un centre d’histoire financé par l’État, imprime de telles sottises laisse perplexe. Notez que la dame se garde bien de chercher des crosses (posthumes) à Jean Paulhan, lui aussi admirateur de Poulet. Et pour cause : résistant dès 1941 et fondateur, avec Jacques Decour, des Lettres françaises clandestines, il échappe forcément à la suspicion générale.
Un mot d’hommage à Colette Romain, fidèle abonnée, qui nous a quittés le mois passé. C’est son père, invalide de guerre, qui lui fit découvrir Céline dont elle devint une lectrice passionnée. Elle était une amie proche de Marina Alberghini, biographe italienne de Céline, qu’elle aida considérablement dans ses recherches et dont elle partageait l’amour pour les chats. Nous l’avions rencontrée à plusieurs reprises, lors des réunions annuelles que le BC organisait autrefois à Paris. Elle avait une grande admiration pour cette œuvre qu’elle défendait avec conviction. Nous n’oublierons pas Colette Romain.