Il est sans doute vain d’épingler ici toutes les erreurs dont est truffé le texte d’Eugène Saccomano dans l’album Céline, paria et génie qui retrace la vie de l’écrivain ¹. Scorie déjà présente dans ses deux livres précédents sur Céline. Mais l’auteur prétextait alors avoir « pratiquement tout inventé » [sic] ², ce qui justifiait des erreurs qui n’en étaient pas à ses yeux. Prétexte inutilisable ici puisqu’il ne s’agit pas, cette fois, d’un roman. Cela étant, reconnaissons qu’il ne s’y trouve pas de bourde majeure. De toute façon, Saccomano n’aurait pu faire pire qu’en l’an 2000. Sur un plateau de télévision, il ne craignit pas alors d’affirmer ceci : « Ce qui est terrible, épouvantable et prémonitoire, c’est qu’il y a le mot “charnier” dans Bagatelles pour un massacre. » Quand on lui demanda de préciser ce que voulait signifier Céline, il enfonça le clou :« Tous les juifs doivent être jetés dans des charniers (!) » ³. C’était prendre à contresens une phrase dans laquelle le pamphlétaire évoquait le charnier des combattants français, conséquence d’une guerre qu’il voyait venir 4.
Plus léger : l’auteur se plaît à multiplier les passages lestes, allant même jusqu’à inventer des séquences de Mort à crédit qui n’y figurent pas (p. 10) 5 ou à faire dire à Évelyne Pollet des propos graveleux qu’elle n’a jamais tenus (p. 13).
En fait, cet album vaut surtout pour le travail de Philippe Lorin qui a su diversifier les approches graphiques grâce à une technique éprouvée. Cela nous vaut des aquarelles de toute beauté (la Medway, la forêt équatoriale, Central Park). La rigueur de certaines compositions (passage Choiseul, rue Lepic, route des Gardes), réalisées à partir de croquis faits sur place, nous rappelle que Lorin entreprit d’abord des études d’architecture. Et s’il n’égale pas le réalisme d’un José Correa dans ce domaine, ses portraits de Céline, faits eux aussi à partir de photographies, sont évocateurs. Images superbes enfin que le château de Sigmaringen sous la neige ou, dans un autre genre, le bombardement de Montmartre dessiné à l’encre de chine et rehaussé d’un pastel rouge sang. L’iconographie célinienne se trouve ainsi enrichie de belle façon.
• Eugène SACCOMANO et Philippe LORIN, Céline, paria et génie, Les Éditions de Paris / Max Chaleil, coll. « Beaux livres », 2016, 124 p.
- Relevons en tout de même quelques unes : Louis Destouches ne rencontra pas Joseph Garcin alors qu’il était à Londres pendant la première guerre mondiale mais vers 1929 à Paris (p. 20) ; le haut de la rue Lepic, où Céline emménagea la même année, n’est pas situé « à deux pas de Montmartre » [sic] : c’est l’artère la plus célèbre de la Butte (p. 38) ; il ne fit pas la connaissance d’Arletty au Conservatoire mais dans le salon de Josée Laval (p. 76) ; l’édition illustrée de Voyage par Gen Paul ne date pas de 1932 mais de 1942 (p. 48) ; Mort à crédit (35.000 exemplaires vendus dans un contexte économique difficile) ne fut pas un échec « retentissant » sur le plan commercial (p. 53) ; « Mlle de Chamarande » (personnage inspiré par Maud de Belleroche dans Nord), n’y est pas prénommée « Régine » (p. 92) ; etc. Plus irritant : Saccomano commet les mêmes erreurs dans les patronymes (Sheleman, La Roque, [Fondation] Rockfeller,…) que celles qui lui avaient été signalées à la parution de son Céline coupé en deux (cf. Le Bulletin célinien, n° 349, février 2013, p. 3).
- « Eugène Saccomano nous écrit », Le Bulletin célinien, n° 350, mars 2013, p. 23.
- Émission « La Culture aussi » animée par Daniela Lumbroso : « Céline et l’antisémitisme ». Avec Fr. Gibault, É. Saccomano et Ph. Alméras, LCI, 28 septembre 2000. [https://www.youtube.com/watch?v=06xvZwkHhp0&t=950s]
- Ce passage se trouve à la page 65 de l’édition « canadienne » des pamphlets, Écrits polémiques, Éditions Huit, 2012.
- Par exemple, ceci, pure invention de l’auteur : « “Avec les belles jambes musclées que tu as, tu devrais t’inscrire dans notre équipe de foot“, lui dit-elle [Nora Merrywin, ndlr] en laissant sa main s’égarer sous son short… ».