Notre ami Serge Perrault nous a quittés en mars dans sa 94ème année. Avec lui disparaît l’un des derniers témoins de Céline. La première fois que je le vis, c’était en 1969 devant le petit écran ¹. Il avait alors cinquante ans. Michel Polac le « cuisinait » sur l’attitude de Céline sous l’Occupation dont il avait précisément fait la connaissance à cette époque. De manière maladroite et touchante, il s’efforça de minimiser l’engagement de l’écrivain, ainsi que son antisémitisme : « Il était anti-tout finalement. C’était une espèce d’anarchiste avec des accès de fièvre, de lyrisme. C’était pas sérieux. ». Là où il était davantage pertinent, c’est lorsqu’il évoquait la compassion du médecin envers les démunis. Et sa pudeur lorsqu’on le surprenait à faire le bien. C’est qu’il avait perçu la personnalité profonde de Céline, très éloignée des jugements sommaires portés après guerre. De 1941 à sa mort, Serge Perrault eut l’occasion de nuancer son appréciation de l’homme qu’il avait bien connu, d’abord à Montmartre, puis à son retour d’exil, à Meudon.
Tous ceux qui ont connu Serge garderont de lui l’image d’un homme attachant. Après la mort de Céline, il fut d’une fidélité exemplaire envers Lucette, demeurant un familier de la villa « Maïtou ». À la façon dont il en parlait, je le soupçonnais même d’avoir été secrètement amoureux d’elle. En 1991, il accepta de participer à une table ronde sur Céline que j’organisai à Paris avec Boudard, Bastier, Chambrillon et Monnier. L’année suivante, il vint présenter son livre à Bruxelles lors de la deuxième « Journée Céline » qui réunit plusieurs amis céliniens. Éric Mazet, qui avait également fait le déplacement, lui a rendu un bel hommage, soulignant sa modestie, son humour, sa distinction et sa droiture, parmi d’autres qualités ². Il faudrait également saluer le courage qui fut le sien lorsque, après une longue interruption, il reprit la danse à l’âge de vingt ans. Et c’est précisément grâce à la danse qu’il fit la connaissance de Céline et de Lucette, au cours de Blanche d’Alessandri. De 1943 à 1947, il fut danseur à l’Opéra de Paris, puis intégra la Compagnie de Roland Petit, avant de commencer l’enseignement de la danse, à la fin des années cinquante. Malicieusement, Serge Perrault disait que, dans son livre, il avait « fait son Lenotre », voulant dire que, rassemblant quelques anecdotes vécues, il avait voulu restituer l’authentique Céline ³. Il y a quelques années, il nous avait accordé un entretien dont nous reproduisons quelques extraits dans ce numéro.
Nous avons également appris le décès de Vera Maurice survenu dans sa 78ème année. Née Vera Maria de Castilho Cintra, cette céliniste d’origine brésilienne était l’auteur d’une imposante thèse de doctorat, Dialogue des écrits médicaux de Louis Destouches et de l’imaginaire romanesque célinien (L.-F. Céline, parole et ordonnances), soutenue en 1995 à l’Université Paris VII. Auteur d’études originales, elle avait également consacré son mémoire de maîtrise et de DEA à l’œuvre de Céline 4. Elle présenta plusieurs communications aux colloques de la Société d’Études céliniennes et signa divers articles dans le Bulletin. C’était une céliniste à la fois intuitive et rigoureuse.
- Émission de Michel Polac, « Bibliothèque de poche. D’un Céline l’autre », O.R.T.F., mai 1969.
- Le Petit Célinien, 19 mars 2014 [http://www.lepetitcelinien.com]
- Serge Perrault, Céline de mes souvenirs, Du Lérot, 1992.
- Jules Larpente ou les couleurs de l’Apocalypse. Étude d’un personnage célinien à travers Maudits soupirs pour une autre fois, Féerie pour une autre fois I et Normance(mémoire de maîtrise, Université de Paris VII, 1988) ; La tapisserie de l’Enfant prodigue. Les résonances du séjour à Puteaux dans l’écriture célinienne (mémoire de DEA, Université de Paris VII, 1991). Références extraites de Tout Céline, bibliographie à paraître.