Il fallait bien qu’un jour, Le Bulletin célinien consacre un numéro à Gen Paul. Cela se justifiait d’autant plus qu’il est sans conteste le meilleur illustrateur de Céline.
L’occasion m’en est donnée par la parution de l’excellente biographie de Jacques Lambert ¹.
C’est peu dire que les « céliniens historiques », tels André Pulicani ou Pierre Monnier, ne portaient guère l’artiste dans leur cœur depuis qu’il s’était répandu en propos peu amènes sur Céline. Mieux : Gen Paul ne craignit pas de faire accroire à l’un de ses premiers biographes qu’il rompit avec Céline à la parution de Bagatelles pour un massacre (!). C’était tenter de faire oublier qu’il l’accompagna à Berlin en 1942, ainsi qu’à deux dîners à l’ambassade d’Allemagne. Et qu’il ne se fit pas davantage prier pour illustrer une édition de Voyage et de Mort à crédit durant cette même année 1942.
Un des mérites du livre de Jacques Lambert est de montrer que la personnalité de l’artiste est plus complexe que l’image sommaire qu’il donnait de lui-même. Sensible et généreux : c’est bien ainsi qu’il apparaît dans cette biographie qui ne dissimule pas pour autant les travers du personnage. À ce propos, Céline n’était d’ailleurs pas le seul à le voir en « gologolo ». Ainsi, Robert Le Vigan n’y allait pas avec le dos de la cuiller : « Le monstre de méchanceté laborieuse que ce Paul ! c’est ça qui l’empêche de crever : il le sait et en remet de plus belle. Sorcier maître des ruines, alambiqueur de soupente. J’ai eu la plus grande révélation de sa vacherie à longue portée pour sa sauvegarde personnelle de tartuffe à la quille de bois, peu après ma sortie de tôle… »
L’amitié qui lia Gen Paul et Céline ne fut pas, on le sait, exempte de brouilles ni d’éclats. Ces deux fortes personnalités, qui avaient pourtant bien des choses en commun, ne pouvaient avoir que des relations mouvementées. Et c’est peut-être Céline qui fut le plus affligé face au naufrage de cette amitié de vingt ans. Durant l’été 1951, alors que Pascaline et Paul Marteau hébergeaient Lucette et Céline à leur retour du Danemark, celui-ci dépêcha Pascaline auprès de Gen Paul pour l’inviter à dîner chez ses hôtes. Elle se heurta à une fin de non recevoir peu diplomatique, Gen Paul rendant Céline responsable de tous ses malheurs d’après-guerre. Citons son biographe : « Le soir, quand elle raconta tout cela à Céline, il ne fit aucun commentaire, mais il monta aussitôt dans sa chambre et ne redescendit pas pour dîner » ². Anecdote plus éclairante qu’une longue analyse.
Gen Paul s’est imposé comme une figure marquante de l’expressionnisme contemporain. Mais il appartient aussi à la légende célinienne. D’autant que Céline l’a gratifié d’une forme d’immortalité dont il se serait bien passé.
- Jacques Lambert, Gen Paul, un peintre maudit parmi les siens, La Table ronde, 2007.
- François Gibault, Céline. Cavalier de l’Apocalypse (1944-1961), Mercure de France, 1981, p. 264.