Almanzor

Serai-je le premier à vous l’apprendre ?   Il paraît que ce sera l’un des événements culturels de l’été prochain : le metteur en scène Frank Castorf proposera une adaptation de Nord au Festival d’Avignon. Né en 1951, Castorf est le directeur de la Volksbühne de Berlin. Il s’agira d’une création mondiale.

Il y a quelques années,  Alain Robbe-Grillet avait  révélé,  sur le plateau d’Apostrophes, que ses parents furent pétainistes. Il y revient dans un livre de souvenirs à propos de Céline ¹. La citation est un peu longue mais mérite d’être reproduite intégralement : « Céline est ce qu’on devrait appeler un écrivain de gauche, bien qu’il ait été d’extrême droite. Il portait en tout cas l’esprit d’une révolution, on ne peut pas en dire autant de beaucoup de bons esprits de gauche de la même époque qui, au contraire, faisaient de la littérature qu’on peut appeler “de droite”. Ces mots de “droite” et “gauche”, je les mets entre guillemets parce qu’aujourd’hui ils commencent à disparaître, mais pendant toute mon enfance et mon adolescence, ils ont vraiment joué un rôle. J’ai connu Céline très tôt, alors que je lisais encore peu, parce qu’il était d’extrême droite. Mes parents étaient d’extrême droite, alors on lisait les chroniques de Brasillach  dans L’Action française,  où  l’on parlait de Céline. On n’y parlait jamais d’André Breton. Céline avait la chance d’être antisémite, donc on pouvait en parler à la maison. Et il se trouve que c’est quand même le grand écrivain révolutionnaire. ».

Toujours à propos d’antisémitisme, dans un récent numéro, j’ai cité cette note d’Émile Brami puisée dans son livre sur Céline : « Alors qu’il traque les patronymes à consonance sémite, Céline, qui n’en est pas à une contradiction près, vit avec une Lucette Almanzor (une rue de la Judéria, l’ancien ghetto de Grenade, porte ce nom) qu’il finira par épouser ». ²  À ce propos, un lecteur m’écrit : « “Almanzor”, c’est “El-Mansour”, le Victorieux en arabe, surnom de nombreux chefs arabes dont un gouverneur de Cordoue. C’est un patronyme très répandu en Espagne… et pas seulement dans le quartier juif de Grenade. » Ainsi naissent les légendes…

S’il y a bien un domaine où la morale civique ne trouve vraiment pas son compte, c’est la postérité littéraire. Ainsi un récent article ³ évoque les fameux 150 écrivains et journalistes qu’en 1944 le Comité National des Écrivains ne voulut plus jamais avoir à côtoyer et dont il publia la liste. Elle laisse rêveur aujourd’hui. Y figuraient notamment  Drieu La Rochelle, Rebatet, Giono, Fraigneau, Chardonne, Montherlant, Guitry, Béraud, Morand et… Céline, bien entendu. Dans cet article très documenté, l’auteur explique en quoi l’initiative du C.N.E. était à la fois vaine, odieuse et grotesque.

  1. Alain Robbe-Grillet, Préface à une vie d’écrivain, France-Culture – Le Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2005, 232 p. (CD inclus).
  2. Émile Brami, Céline. « Je ne suis pas assez méchant pour me donner en exemple… », Éd. Écriture, 2003, p. 246.
  3. Christophe Dolbeau, « 1944 : les proscrits du CNE », Écrits de Paris, n° 694, janvier 2007, pp. 29-40. Sur ce sujet, voir aussi le dernier livre de Philippe Bourdrel, La Grande débâcle de la collaboration, 1944-1948 (éd. Le Cherche-Midi, 2007), qui traite notamment des procès de l’après-guerre et des figures de ceux qui y furent condamnés, dont Céline.