Dominique de Roux

C’est en 1961 que Dominique de Roux fonda les Cahiers de l’Herne. Ceux-ci s’imposeront, en 1963, grâce au troisième numéro consacré à Céline. Avec cette contribution de plus de trois cents pages (format in-quarto) – dont le succès entraînera,  deux ans plus tard, un second cahier de la même importance –, Dominique de Roux a véritablement fait œuvre de pionnier, et ce à une époque où Céline n’avait pas acquis la stature qu’il a aujourd’hui ¹.  Rassemblant  les témoignages décisifs de Marcel Brochard, Robert Champfleury, Karl Epting et tant d’autres, ces cahiers proposaient, également pour la première fois, plusieurs correspondances de l’écrivain, des textes inédits  ou peu connus,  des appréciations diverses – de Rabi à Rebatet –  permettant d’ouvrir  un débat  qui n’est pas clos aujourd’hui.

La fréquentation de  Céline, de Pound et de Bernanos  a-t-elle déterminé chez Dominique de Roux une vocation de pamphlétaire, comme certains l’ont dit ?  Toujours est-il qu’en 1966, il publie un essai fulgurant ² qui, nonobstant des erreurs d’interprétation, marque un tournant dans une exégèse célinienne jusqu’alors relativement conventionnelle. Ce livre a-t-il « discrédité »  L’Herne,  comme n’a pas craint  de l’écrire un commentateur peu amène ³  ? Il a en tout cas montré le péril d’être en empathie avec un sujet qui s’apparente à de la dynamite. Le seul fait de consacrer deux cahiers à Céline était déjà suspect pour certains, d’autant qu’il donnait la parole aux proches de l’écrivain sulfureux.

Ce qui est incontestable, c’est que Dominique de Roux a tracé bien des pistes qui seront plus tard explorées et approfondies par un bataillon de céliniens. Tous n’ont pas dit leur dette envers ce précurseur.

Si une affection cardiaque héréditaire ne l’avait prématurément emporté, Dominique de Roux aurait aujourd’hui 72 ans, l’âge auquel on reçoit l’hommage et la reconnaissance des générations nouvelles.  Dont acte. Et sans intention hagiographique — cela lui siérait mal.

Il m’est agréable de dédier ce numéro à son épouse Jacqueline et à son fils Pierre-Guillaume  qui demeurent fidèles au souvenir de ce franc-tireur de l’édition française 4.

  1. Le premier numéro parut en janvier 1963 ; le second en mars 1965. Une réédition en un volume sortit en 1972.
  2. La Mort de L.-F. Céline, Christian Bourgois, 1966, 215 p. Ce livre a connu trois rééditions (1969, 1983 et 1994).
  3. André Derval, « L’actualité célinienne et la presse francophone » in La revue des Lettres modernes (« L.-F. Céline, 5 : Vingt-cinq ans d’études céliniennes »), Éd. Minard, 1988, p. 131. Le même commentateur estime que les « Cahiers de l’Herne » consacrés à Céline « tranchent notablement avec l’ambiance sereine recherchée auparavant ». On peut lui préférer cette appréciation : « Ces deux “Cahiers de l’Herne” sont un événement-pionnier. Pour la première fois, Céline devient l’objet d’une publication d’une telle envergure (…) ; cette publication est toujours une excellente source pour tout travail sur l’écrivain» (Margarete Zimmerman, « Céline et les céliniens : un bilan », Cahiers d’Histoire des Littératures Romanes, vol. VI, n° 3/4, 1982, p. 467).
  4. Ils ont notamment favorisé la publication d’une biographie (Jean-Luc Barré, Dominique de Roux, le provocateur, Fayard, 2005), de correspondances inédites (Il faut partir, Fayard, 2007, 415 pages), et la création d’une « Société des Lecteurs de Dominique de Roux ».