Deux livres, dans lesquels Céline tient une place importante, viennent de paraître. Aucun n’aura les honneurs de la grande presse, et ce, pour des raisons différentes.
Le premier est cette enquête passionnante sur le meurtre de Robert Denoël due à une universitaire américaine, A. Louise Staman. Sa traduction française a paru sous le titre Assassinat d’un éditeur à la Libération ¹. Certes, le livre n’est pas sans défauts. Ainsi, se laissant abuser par le langage paroxystique de Céline, l’auteur écrit à trois reprises, pages 142 et 143, que le pamphlétaire appelle « à l’extermination des juifs », ce qui est commettre un pénible contresens. Hanté par l’idée d’une nouvelle guerre franco-allemande qu’il considérait fratricide, Céline estimait que les juifs, jugés par lui bellicistes, devraient dans ce cas figurer en première ligne. Langage polémique dépassant la mesure, certes, mais on est loin de l’invitation au génocide auquel fait nécessairement penser l’expression utilisée par l’auteur. Ceci est corrigé, nous assure-t-on, dans la réédition sous presse.
Cette réserve faite, le livre se dévore comme un roman policier, et après l’avoir lu, l’hypothèse du crime commis par un rôdeur semble peu crédible. L’éditeur français, Jean-Christophe Pichon, ne craint pas de comparer Jeanne Loviton à l’Eva de James Hadley Chase ². Ce roman raconte la passion destructrice d’un écrivain pour une prostituée de luxe. Celle qui fut, notamment, la maîtresse de Jean Giraudoux, de Paul Valéry et du malheureux éditeur apparaît, en effet, tel un personnage de roman, fascinante et dangereuse à la fois. Jusqu’à présent, le livre n’a guère été commenté dans la presse. C’est le sort qui est réservé aux livres gênants sur lesquels s’abat une chape de plomb.
On ne parlera pas davantage du Manifeste libertin d’Éric Delcroix. Présenté comme un « essai révolutionnaire contre l’ordre moral antiraciste », il dérange tout autant. Le mot « libertin » doit se comprendre dans le sens qu’on lui donnait au XVIIIe siècle : un esprit fort qui se refuse à entretenir et à justifier la dévotion régnante. L’auteur considère Céline comme un authentique rebelle qui ne plie pas le genou devant les idoles et les diktats de l’époque. Le mot « race » a été diabolisé de telle manière que Céline est aujourd’hui un écrivain maudit. Pour Delcroix, qui le considère comme un prophète libertin, il est temps de mettre un terme à ce qu’il nomme la « raciopudibonderie suicidaire ». On aura compris qu’il n’est pas sur la même longueur d’ondes que ceux qui voient en Céline un très grand écrivain, méritant assurément d’être pléiadisé, mais dont toutes les vues extra-littéraires sont à mettre au rebut.
- A. Louise Staman, Assassinat d’un éditeur à la Libération. Robert Denoël (1902-1945), Éd. e-dite, 342 pages (28 €, franco). Disponible auprès du Bulletin célinien.
- Dans l’émission « Le Vif du sujet », diffusée le 22 mars 2005 sur France-Culture. Signalons que, le 10 mai, toute l’émission sera consacrée à Robert Denoël. On pourra ensuite l’écouter sur le site Internet de France-Culture. Voir détails page 17.
- Éric Delcroix, Manifeste libertin (Essai révolutionnaire contre l’ordre moral antiraciste), Éd. L’Æncre (12 rue de la Sourdière, 75001 Paris), 120 pages (18 €).