Archives de l’auteur : Marc

Vient de paraître

2016-07-08-BC-Cover

Sommaire : Arletty, Gauloise de Courbevoie – 1849 : Semmelweis rejeté dans les capitales européennes mais reconnu à Strasbourg – Mauriac, Céline et l’île Saint-Louis – Magique Céline – Antoine Blondin, paladin au XXe siècle – Le colloque sur les pamphlets – L’édition critique du manuscrit de Voyage au bout de la nuit – Avec Céline.

Occupation

Sous l’Occupation même, Céline tenait à distinguer « les idéalistes et spéculateurs en pensées gratuites » et les « collaborateurs efficients  :  tous ceux qui ont profité des Allemands directement ou par ristournes » ¹. En ce qui le concerne, il tenait à préciser qu’il n’avait « jamais touché un fifrelin de l’occupation ». Vouant par ailleurs aux gémonies  la politique  de Vichy, il  considérait  qu’elle  constituait une insulte envers ceux qui s’étaient engagés de manière désintéressée dans un combat qui se retournait  contre eux : « Faites-vous crever, miliciens, légionnaires, somnambules… » ²  Sur cette époque complexe, Philippe d’Hugues (né en 1931) révèle cette confidence d’Henri Amouroux : « Bientôt on ne pourra plus parler de cette période avec des  gens  de  moins  de  60 ans » ³.  Propos tenu il y a déjà un quart  de siècle… Céline déplorait à l’automne 1943 que ceux qui avaient choisi le camp de la collaboration se fissent  assassiner  « comme des cons et des veaux »  sans  clamer auparavant certaines vérités.  À propos de la Milice,  Philippe d’Hugues  constate qu’« on ne compte plus les livres, les films ou téléfilms où de vaillants maquisards sont pourchassés durant l’Occupation par des miliciens tortionnaires ». Dans son esprit il ne s’agit évidemment pas de défendre cette formation paramilitaire (dont il mentionne que Brasillach apprit en prison les turpitudes), mais de rappeler tout uniment les faits :  « La Milice, créée début 1943, et pour la seule zone sud, ne fut armée qu’en 1944 après l’exécution par la Résistance de près d’une centaine de ses membres sans défense. Ce n’est que fin 1943 et malgré l’hostilité de Laval, qui avait bien prévu les luttes fratricides prochaines qui déjà se préparaient dans l’ombre, que la Milice sera armée et, en janvier 1944, sera  autorisée  à s’implanter en zone nord. »   Et d’ajouter : « C’est surtout dans les trois ou quatre mois derniers mois précédant la Libération, dans un pays plongé dans une guerre civile en train de se généraliser, qu’eurent lieu les fameuses exactions 4. Celles-ci furent surtout commises par des éléments troubles que Darnand eut la faiblesse de recruter pour pallier l’insuffisance des effectifs dont le recrutement devenait de plus en plus difficile. » Ce qu’il y a de terrible, c’est que le seul fait de rappeler ces données factuelles peut donner l’impression de prendre la défense d’un camp par rapport à un autre.

Céline, lui, avait choisi le sien. Ce qui ne l’empêchait pas d’être sagace : « L’alliance franco-allemande actuelle est une alliance avec la charogne. Elle donne la mort à tous ceux qui la pelotent. » 5 Lorsqu’on évoque cette période qui n’a duré que quatre années, il faut toujours avoir à l’esprit que les opinions évoluèrent rapidement en fonction des évènements. En mars 1942, Céline croyait « à une guerre de quinze ans pour le moins, même d’évolution favorable » 5. Un an plus tard, ce fut la chute de Stalingrad qui sonna le glas de bien des espoirs.

  1. Lettre à Je suis partout, 29 octobre 1943. Repris in Céline et l’actualité, 1933-1961, Les Cahiers de la Nrf (Cahiers Céline 7), Gallimard, 2003, pp. 189-191.
  2. Lettre à Je suis partout, 3 mars 1944. Ibidem, pp. 194-196.
  3. Philippe d’Hugues, « Préface » in Robert Brasillach, Six heures à perdre (roman), Pardès, 2016, pp. [7]-15.
  4. Ces exactions furent condamnées par Pétain le… 6 août 1944. Cf. la lettre qu’il adressa à Laval, chef du gouvernement et ministre de l’Intérieur et la réplique de Darnand. Reproduite par Jean-Claude Valla in La Milice (Lyon 1943-1944), Éditions de la Librairie Nationale (Les Cahiers Libres d’Histoire, n°9), 2002, pp. 97-101.
  5. Lettre à Henri Poulain, 11 juin 1943 in L.-F. Céline, Lettres des années noires, Berg International, 1994, pp. 38-39.
  6. Lettre à Frédéric Empaytaz, mars 1942 in David Alliot et Daniel Renard, Céline à Bezons, 1940-1944, Éditions du Rocher, 2008, pp. 122-123.

Vient de paraître

2016-06-BC-Cover

Sommaire : Une lettre de Siné à Marc Laudelout – Deux livres de Bernard Gasco – « L.-F. Céline est mort » (1961) – L’âge d’or du pamphlet – Un trois-mâts de Céline : Margaret Severn – Céline, Proust et la Grande Guerre – Vétéran du célinisme.

Vilain

Bien entendu, dans ses interviews, le docteur ès lettres qu’est Philippe Vilain se défend de mésestimer Céline : « Je lui reconnais une qualité poétique et littéraire. Le problème n’est pas tant Céline que ses suiveurs qui ont insinué l’idée que l’écriture oralisante était facile ¹. » Hormis le fait – vieille antienne –, qu’il rende l’écrivain responsable de ses médiocres épigones, ce Vilain n’est pas franc du collier : toute une section de son livre (« De la grande musique proustienne à la petite musique célinienne ») suinte de condescendance, voire de mépris, à l’égard de Céline. Jugez en par les termes auxquels il a recours pour qualifier son œuvre : « stagnation morbide dans l’abject », « décadent voyage au bout de la nuit littéraire », « simple trouvaille scripturale », « poétique esthétiquement stérile et vide », etc. Comme certains de ses confrères obtus, il voit dans Céline un auteur populiste, « singeur méprisant de populace », dont le labeur est « vraisemblablement très exagéré » [sic]. Surtout, Vilain ne discerne pas la profondeur de l’œuvre sous ses dehors trompeurs. Il se laisse enfin abuser par les facilités apparentes d’une esthétique en rupture avec celle qu’il prise et dont la figure emblématique est l’auteur de la Recherche. Opposer d’ailleurs, comme il le fait, les admirateurs de Proust à ceux de Céline est inepte dans la mesure où, contrairement à ce qu’il imagine, ceux-ci se confondent parfois ². Le comble étant d’affirmer que la poétique célinienne « ne révolutionne aucun destin » alors qu’on ne compte plus les individus dont l’existence a été singulièrement ébranlée par la lecture de Voyage au bout de la nuit ou de Mort à crédit.L’auteur eût été pertinent s’il s’en était tenu à son projet initial : dénoncer, d’une part, la surabondance d’écrits contemporains, consensuels et dociles, ayant sacrifié le style ; stigmatiser, d’autre part, les sous-Céline qui sont légion aujourd’hui. Las ! L’auteur s’en prend à l’écrivain lui-même et se ravale ainsi au niveau du zigoto qui a naguère signé un absurde Contre Céline.Cerise sur le gâteau : Vilain feint d’ignorer la suspicion qui pèse sur les admirateurs de l’écrivain alors qu’un Henri Godard en a, peu ou prou, souffert durant toute sa carrière ³. Ignore-t-il aussi qu’un ancien ministre de l’Éducation Nationale (!) n’a pas craint d’affirmer  que l’admiration  à l’égard de Céline  est  « pour le moins douteuse » 4 [sic] ? Il devrait pourtant être enfin admis que l’on peut admirer Aragon ou Vailland sans être suspecté d’une quelconque nostalgie stalinienne. Et que l’on peut être un lecteur enthousiaste de Céline sans être dépourvu de lucidité quant à sa part d’ombre.

Philippe Vilain, lui-même romancier, n’est pas à plaindre : il est édité par deux grands éditeurs (Gallimard/Grasset), adapté à l’écran et couronné par divers lauriers (dont ceux de l’Académie française). Mais pour avoir écrit de telles sottises sur le contemporain capital, il devrait être attentif à son avertissement : « Il est vilain, il n’ira pas au Paradis celui qui décède sans avoir réglé tous ses comptes. »

• Philippe VILAIN, La littérature sans idéal, Grasset, 158 p. (16 €)

  1. Propos recueillis par Geneviève Simon (« Plaidoyer pour un nouvel horizon littéraire », La Libre Belgique, 26 avril 2016, p. 42).
  2. Contrairement à ce qu’a pu laisser croire Céline lui-même, son admiration pour l’auteur de la Recherche n’était pas feinte : « Proust est un grand écrivain. C’est le dernier grand écrivain de notre génération » (Céline à Meudon. Transcription des entretiens avec Jacques d’Arribehaude et Jean Guenot, Éditions Guenot, 1995, p. 44).
  3. Cf. Henri Godard, À travers Céline, la littérature, Gallimard, 2014.
  4. Luc Ferry, « Célébrer Céline ? », Le Figaro, 29 janvier 2011.

Vient de paraître

2016-05-BC-Cover

Sommaire : Dictionnaire célinien des lieux de Paris – L’adaptation théâtrale de Voyage par Damien De Dobbeleer – D’un Mourlet l’autre – Rennes, de Céline à Kundera – Le Journal de Marc Hanrez – Dictionnaire amoureux de la langue française – Un texte ignoré de Léon Daudet sur Céline – Nietzsche et Céline – Nos archives audio-visuelles

Giono, Céline et Gallimard

On a beaucoup commenté la manière dont Céline se comporta avec Robert Denoël, puis Gaston Gallimard. Au moins a-t-il toujours joué franc jeu : « J’étais l’auteur le plus cher de France ! Ayant toujours fait de la médecine gratuite je m’étais juré d’être l’écrivain le plus exigeant du marché – Et je l’étais ¹. »

Giono, c’est autre chose. Sa correspondance avec Gallimard, qui vient de paraître, nous montre un personnage d’une duplicité peu commune. Dès 1928, Gaston lui propose de devenir son éditeur exclusif dès qu’il sera libre de ses engagements avec Grasset. Grand écrivain mais sacré filou, Giono n’aura de cesse de jouer un double jeu, se flattant d’être « plus malin » que ses éditeurs. Rien à voir avec Céline, âpre au gain, mais qui se targuait d’être « loyal et carré ». Giono, lui, n’hésitait pas à signer en même temps un contrat avec Grasset et un autre avec Gallimard pour ses prochains ouvrages. Chacun des deux éditeurs ignorant naturellement l’existence du traité avec son concurrent. But de la manœuvre : toucher deux mensualités (!). La mèche sera vite éventée. Fureur de Bernard Grasset qui voulut porter plainte pour escroquerie et renvoyer l’auteur indélicat devant un tribunal correctionnel. L’idée de Giono était, en théorie, de réserver ses romans à Gallimard et ses essais à Grasset. L’affaire ira en s’apaisant mais Giono récidivera après la guerre en proposant un livre à La Table ronde, puis un autre encore aux éditions Plon.  En termes mesurés, Gaston lui écrit : « Comprenez qu’il est légitime que je sois surpris désagréablement. » Et de lui rappeler, courtoisement mais fermement, ses engagements, ses promesses renouvelées et ses constantes confirmations du droit de préférence des éditions Gallimard. En retour, Giono se lamente : « Avec ce que je dois donner au percepteur, je suis réduit à la misère noire. » Et en profite naturellement pour négocier ses nouveaux contrats à la hausse. Ficelle, il conserve les droits des éditions de luxe et n’entend pas partager avec son éditeur les droits d’adaptation cinématographiques de ses œuvres. Tel était Giono qui, sur ce plan, ne le cédait en rien à Céline. On peut cependant préférer le style goguenard de celui-ci quand il s’adresse  à  Gaston : « Si j’étais comme vous multi-milliardaire (…), vous ne me verriez point si harcelant… diable ! que vous enverrais loin foutre !  ² ».

À l’instar de Céline ³, Giono souhaitait se voir édité de son vivant dans la Bibliothèque de la Pléiade. Dix ans plus tard, le même scénario se répète : l’auteur de Colline meurt en 1970 un an exactement avant la parution de ses Œuvres complètes sur papier bible.

• Jean GIONO, Lettres à la NRF, 1928-1970 (édition établie par Jacques Mény), Gallimard, 2016, 528 p. (26,50 €).

  1. Lettre du 19 mars 1947 (Lettres à Milton Hindus, 1947-1949, Gallimard, 2012, p. 38).
  2. Lettre du 20 juin 1956 (Lettres à la NRF, 1931-1961), Gallimard, 1991, p. 323).
  3. Si Céline eut parfois des mots acides à l’endroit de Giono (« Rabindrathagoriste du poireau »), comment ne pas évoquer ici la belle lettre qu’il lui écrivit en 1953 alors qu’il avait exprimé (à Marcel Aymé) le vague souhait de s’installer dans le Midi. Ce qui valut à Giono ces remerciements émus de Céline : « Mon cher Giono, Marcel Aymé m’a lu votre lettre et je suis bien vivement touché par l’amitié que vous me témoignez et l’accueil que vous faites à mon projet d’aller séjourner vers Manosque». Renonçant finalement au projet, il poursuit : « Je suis bien sensible, croyez-le, à votre si généreuse offre de rechercher autour de vous des personnes disposées à me venir en aide… », pour conclure par cette formule inhabituelle sous sa plume : « Je vous embrasse cher Giono et vous remercie bien sincèrement et m’excuse et vous prie de me croire bien amicalement vôtre. Destouches » (Lettres, Gallimard, 2009).