Occupation

Sous l’Occupation même, Céline tenait à distinguer « les idéalistes et spéculateurs en pensées gratuites » et les « collaborateurs efficients  :  tous ceux qui ont profité des Allemands directement ou par ristournes » ¹. En ce qui le concerne, il tenait à préciser qu’il n’avait « jamais touché un fifrelin de l’occupation ». Vouant par ailleurs aux gémonies  la politique  de Vichy, il  considérait  qu’elle  constituait une insulte envers ceux qui s’étaient engagés de manière désintéressée dans un combat qui se retournait  contre eux : « Faites-vous crever, miliciens, légionnaires, somnambules… » ²  Sur cette époque complexe, Philippe d’Hugues (né en 1931) révèle cette confidence d’Henri Amouroux : « Bientôt on ne pourra plus parler de cette période avec des  gens  de  moins  de  60 ans » ³.  Propos tenu il y a déjà un quart  de siècle… Céline déplorait à l’automne 1943 que ceux qui avaient choisi le camp de la collaboration se fissent  assassiner  « comme des cons et des veaux »  sans  clamer auparavant certaines vérités.  À propos de la Milice,  Philippe d’Hugues  constate qu’« on ne compte plus les livres, les films ou téléfilms où de vaillants maquisards sont pourchassés durant l’Occupation par des miliciens tortionnaires ». Dans son esprit il ne s’agit évidemment pas de défendre cette formation paramilitaire (dont il mentionne que Brasillach apprit en prison les turpitudes), mais de rappeler tout uniment les faits :  « La Milice, créée début 1943, et pour la seule zone sud, ne fut armée qu’en 1944 après l’exécution par la Résistance de près d’une centaine de ses membres sans défense. Ce n’est que fin 1943 et malgré l’hostilité de Laval, qui avait bien prévu les luttes fratricides prochaines qui déjà se préparaient dans l’ombre, que la Milice sera armée et, en janvier 1944, sera  autorisée  à s’implanter en zone nord. »   Et d’ajouter : « C’est surtout dans les trois ou quatre mois derniers mois précédant la Libération, dans un pays plongé dans une guerre civile en train de se généraliser, qu’eurent lieu les fameuses exactions 4. Celles-ci furent surtout commises par des éléments troubles que Darnand eut la faiblesse de recruter pour pallier l’insuffisance des effectifs dont le recrutement devenait de plus en plus difficile. » Ce qu’il y a de terrible, c’est que le seul fait de rappeler ces données factuelles peut donner l’impression de prendre la défense d’un camp par rapport à un autre.

Céline, lui, avait choisi le sien. Ce qui ne l’empêchait pas d’être sagace : « L’alliance franco-allemande actuelle est une alliance avec la charogne. Elle donne la mort à tous ceux qui la pelotent. » 5 Lorsqu’on évoque cette période qui n’a duré que quatre années, il faut toujours avoir à l’esprit que les opinions évoluèrent rapidement en fonction des évènements. En mars 1942, Céline croyait « à une guerre de quinze ans pour le moins, même d’évolution favorable » 5. Un an plus tard, ce fut la chute de Stalingrad qui sonna le glas de bien des espoirs.

  1. Lettre à Je suis partout, 29 octobre 1943. Repris in Céline et l’actualité, 1933-1961, Les Cahiers de la Nrf (Cahiers Céline 7), Gallimard, 2003, pp. 189-191.
  2. Lettre à Je suis partout, 3 mars 1944. Ibidem, pp. 194-196.
  3. Philippe d’Hugues, « Préface » in Robert Brasillach, Six heures à perdre (roman), Pardès, 2016, pp. [7]-15.
  4. Ces exactions furent condamnées par Pétain le… 6 août 1944. Cf. la lettre qu’il adressa à Laval, chef du gouvernement et ministre de l’Intérieur et la réplique de Darnand. Reproduite par Jean-Claude Valla in La Milice (Lyon 1943-1944), Éditions de la Librairie Nationale (Les Cahiers Libres d’Histoire, n°9), 2002, pp. 97-101.
  5. Lettre à Henri Poulain, 11 juin 1943 in L.-F. Céline, Lettres des années noires, Berg International, 1994, pp. 38-39.
  6. Lettre à Frédéric Empaytaz, mars 1942 in David Alliot et Daniel Renard, Céline à Bezons, 1940-1944, Éditions du Rocher, 2008, pp. 122-123.