Archives de l’auteur : Marc

Vient de paraître

2016-01-BC-Cover

Sommaire : Correspondance à Pierre Monnier – Une lettre à Jean Ajalbert – Ajalbert et Céline, d’un écrit l’autre – Un livre sur Jean Boissel – Lucien Rebatet et la culture fasciste – Dictionnaire chic de la littérature française.

Lettres à Pierre Monnier

C’est en 1979 que je fis, le même jour, la connaissance, à Paris, de Jean-Paul Louis et de Pierre Monnier qui venait de faire paraître son Ferdinand furieux ¹. Ouvrage qui suscita un vif intérêt des céliniens, d’autant qu’il comportait plus de 300 lettres inédites. Cette correspondance vient d’être republiée dans une remarquable édition due précisément à Jean-Paul Louis, coéditeur du volume Lettres dans la Pléiade et déjà éditeur dans les Cahiers Céline de trois grandes correspondances (Canavaggia, Hindus et Paraz). C’est d’ailleurs en préparant la première édition des lettres à Paraz qu’il fit, par l’entremise d’Arletty, la connaissance de Pierre Monnier. (J’ai connu, soit dit en passant, l’expérience inverse : rencontrer Arletty grâce à Monnier.) Un des mérites de cette nouvelle édition est qu’elle rend hommage à l’éditeur néophyte qu’il fut. Brève carrière (deux ans seulement) mais où il fit preuve d’un véritable sens du livre : choix des sujets, typographie, titre, bref tout ce qui constitue le travail de l’édition. En annexe, un chapitre entier est consacré aux éditions Frédéric Chambriand (alias Pierre Monnier), avec le relevé minutieux de la vingtaine de titres publiés de décembre 1949 (Casse-pipe) à novembre 1951 ². L’aide qu’il apporta à Céline ne fut pas négligeable puisqu’il contribua à faire rééditer Voyage au bout de la nuit, et qu’il édita lui-même trois titres, dont Scandale aux abysses illustré par ses soins à la grande satisfaction de l’auteur. Dans le cas de Monnier, ce qui est notable, c’est que son admiration pour l’écrivain se doublait d’une vive estime pour le pamphlétaire. Et même d’une véritable gratitude. Il me rappela plus d’une fois que, « mobilisable » à la fin des années trente, il avait contracté une dette envers celui qui alerta ses contemporains sur les risques d’une guerre funeste (plus de 100.000 morts français en 1940). Aussi Pierre Monnier s’efforça-t-il de justifier dans Ferdinand furieux, les prises de position pacifistes de l’auteur de Bagatelles. Ce qui lui valut une semonce de François Nourissier : « Admirez Céline, ne le défendez pas ! » (Le Point, 18-24 février 1980). Vieille histoire…
Ceux qui détiennent ce livre de Monnier auraient tort de ne pas se procurer cette nouvelle édition de la correspondance. Pas seulement parce qu’elle comporte huit  lettres absentes de la première édition mais aussi parce que le corpus y était souvent fautif ou approximatif, allant parfois jusqu’au contresens, et autres scories : mots et phrases omis, éléments appartenant à une lettre donnés avec une autre, etc. Tout le travail de l’éditeur a donc consisté, non seulement à élaborer un appareil critique pertinent ³, mais aussi à établir scrupuleusement le texte célinien. Ajoutons que cette correspondance, sans être aussi importante que celle reçue par Hindus, est décisive pour cerner les tensions entre Céline et le monde éditorial.
• Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Pierre Monnier, 1948-1952, Gallimard, coll. « Les cahiers de la Nrf» [Cahiers Céline n° 12], 2015, 574 p. Édition établie, présentée et annotée par Jean-Paul Louis.
  1. Pierre Monnier, Ferdinand furieux, L’Âge d’homme, 2009 (2e édition). La première édition date de 1979.
  2. Il faut noter que ce travail avait déjà été entrepris, par Jean-Paul Louis, il y a plus de trente ans : « Frédéric Chambriand, éditeur de Céline. Description chronologique et bibliographique » in Le Lérot rêveur, n° 33, février 1982.
  3. C’est pourquoi on hésite à corriger ici des erreurs de détail. Relevons en deux : la maison figurant sur la photographie en frontispice n’est pas « Fanehuset » mais « Skovly ». Par ailleurs, il n’est pas exact que l’hebdomadaire Paroles françaises n’ait pas consacré « un seul article à Céline » en 1950. Voir : « Céline dans “Paroles françaises” (2) », Le Bulletin célinien, n° 376, juillet-août 2015, pp. 15-20. Parmi ces articles : une longue critique de Casse-pipe par André Thérive (reproduite dans ce numéro, pp. 21-23).

Vient de paraître

2015-12-BC-Cover

Sommaire : Semmelweis vu par Céline – Rebatet et Céline – Pol Vandromme parmi nous – Céline et Clémence Arlon – Deux adaptations théâtrales – André Blanchard

Lucien Rebatet

Il est toujours étrange de voir de belles consciences de gauche, résolument hostiles à la peine de mort, trouver légitime que des écrivains collaborateurs aient été fusillés et, mieux encore, estimer que certains eussent dû l’être. C’est à l’historien Pascal Ory, militant socialiste bon teint, que  l’on a  demandé d’écrire la préface de la réédition des Décombres de Lucien Rebatet. À cette occasion, il a rappelé que, dans son premier article paru il y a 40 ans, il estimait normal que Brasillach ait été exécuté ¹.  Doux  euphémisme si l’on en juge par sa déclaration de l’époque : « À la date du 6 février 1975, je suis prêt à signer un appel en faveur de l’abolition de la peine de mort ; mais à celle du 6 février 1945, au nom d’une certaine idée de l’intellectuel et du militant,  j’accepte de figurer parmi les douze hommes qui exécutèrent au petit matin  le condamné  Robert Brasillach,  dans la  cour  de la prison de Fresnes ³. » Notons que c’est à l’occasion du 30e anniversaire de sa mort que cette élégante déclaration fut formulée et passons sur le fait que ce spécialiste de la collaboration ignore que Brasillach a été fusillé au fort de Montrouge. Qu’un intellectuel puisse rétrospectivement se porter volontaire pour faire partie d’un peloton d’exécution laisse pantois…  Si on lui a demandé de rédiger la préface de la réédition des Décombres ³, c’est parce que Pierre Assouline, sollicité, a décliné la proposition, estimant qu’il eût été trop sévère pour l’auteur. Ce qui ne l’a naturellement pas empêché de l’être dans un article 4, affirmant que, pour ce brûlot et ses articles de Je suis partout, Rebatet  méritait « douze balles rouillées et tirées dans le dos ». Son blog, contrairement au mien, étant ouvert aux commentaires, cela a donné lieu à un  échange acidulé avec Henri Thyssens. Lequel l’a condensé de la sorte : « La fusillade dans le dos est réservée à ceux qui font “intelligence avec l’ennemi en temps de guerre”. On suppose que les balles rouillées font allusion à une justice trop lente à son gré. Le biographe talentueux de Simenon,  dont  la  devise était “comprendre et ne pas juger”, qu’il aurait pu faire sienne, se transforme en justicier implacable à l’occasion de la réédition du livre d’un auteur antisémite qu’il abhorre. Comme je lui en faisais le reproche, la réponse fut : « J’espère bien que cette phrase me sera comptée. Et tant  mieux  si  elle l’est déjà. » Cette haine recuite chez un intellectuel réputé modéré est navrante 5. » S’il m’arrive de déplorer chez mon compatriote des réactions à l’emporte-pièce, je ne puis qu’approuver ce commentaire. Soixante-dix ans après l’épuration, il serait temps en effet de porter un jugement dépassionné (ce qui n’exclut pas la lucidité) sur ces hommes qui, s’étant cru des révolutionnaires dans une période troublée 6, ont agi exactement de la même manière que certains de leurs prédécesseurs deux siècles auparavant.
  1. Julie Clarini, « Berl et Rebatet : convergence et confusion à Vichy » [propos recueillis de Pascal Ory et Henri Raczymow], Le Monde, 2 octobre 2015.
  2. Pascal Ory, « Apologie pour un meurtre », Le Monde, 6 février 1975. Cet article avait suscité la réaction de plusieurs intellectuels (dont Thierry Maulnier, Robert Aron et Dominique Jamet) publiée le 11 février dans ce quotidien.
  3. Bénédicte Vergez-Chaignon (éd.), « Le Dossier Rebatet » [Les Décombres ; L’Inédit de Clairvaux], Éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1152 p., préface de Pascal Ory..
  4. Pierre Assouline, « Lucien Rebatet exhumé des décombres », Le Magazine littéraire, n° 560, octobre 2015. Repris dans La République des livres, 12 octobre 2015 [http://larepubliquedeslivres.com/rebatet-exhume-des-decombres]
  5. Henri Thyssens, Robert Denoël, éditeur [http://thyssens.com/01chrono/chrono_2015.php]
  6. En témoigne éloquemment l’échange entre Céline et Lucien Combelle en décembre 1941 : « Il nous faut trouver des révolutionnaires ! », Le Bulletin célinien, n° 349, février 2013, pp. 12-13.

Vient de paraître

2015-11-BC-Cover

Sommaire : Bloc-notes – Entretien avec Christophe Malavoy – Inédit (1950) : Cousteau et Rebatet jugent Céline – Les mystères de Londres – Un lérot mordicant.

François Gibault

Pour le premier tome de Libera me, François Gibault fut invité à une émission télévisée à forte audience. Sa réputation le devançant, on lui demanda d’entrée de jeu s’il était bien de droite, et même d’extrême droite. Il se récria et affirma qu’il était plutôt du centre, qu’il ne s’était jamais mêlé de politique, etc. Dans le second volume, il montre un peu le bout de l’oreille en révélant ses sympathies passées pour l’O.A.S. (il évoque avec humour des réunions clandestines chez Jacques Laurent, antigaulliste de toujours) et confie qu’il manifesta le 7 novembre 1956 contre l’intervention soviétique en Hongrie. Le point culminant de cette manif fut la mise à sac  et  l’incendie du siège du Parti communiste français. Aujourd’hui il traite ses engagements d’antan avec désinvolture et affiche des sympathies que l’homme qu’il était à trente ans verrait sans doute avec étonnement. Nul doute qu’il lui sera beaucoup pardonné pour ses lignes bouleversantes sur la fin du lieutenant Degueldre. D’autant qu’il ne se ménage pas. Confessant sa vanité, il se voit en « faux modeste mais vrai snob ». Son  rêve ? Entrer à l’Académie française. Honneur qui lui est définitivement refusé en raison de  la limite d’âge  décrétée il y a une  dizaine d’années. Notons qu’avec un tel règlement, ni Marguerite Yourcenar, ni Paul Morand, ni Georges Dumézil, ni Léopold Sédar Senghor (pour ne citer qu’eux) n’eussent été élus.

Avec les années, François Gibault a atteint une sorte de sagesse qui lui permet de s’observer avec recul — lui et  ses contemporains.  En  témoignent  quelques  unes  de  ses réflexions qui sont autant d’aphorismes : « Le principal avantage des idées que l’on a, c’est que l’on peut en changer, hormis quand elles ont le défaut d’être fixes. » Ou celle-ci qui s’en approche : « Il faudrait changer de vie tous les matins pour ne pas sombrer dans le renouvellement quotidien des pratiques et des idées, pour que les réflexes ne supplantent pas les réflexions, pour rester maître de soi et pour ne pas faire comme le chien de Pavlov. » Naturellement, il  est  souvent question de Céline et des gens qui s’y sont intéressés. Ainsi il rappelle que celui-ci n’est en rien responsable de la fin tragique de Desnos et révèle que sa compagne Youki était venue s’en expliquer à Meudon : « Je sais que ce n’est pas à cause de vous qu’il a été déporté ». Belle page sur Maurice Ronet qui a longtemps nourri le projet d’adapter au cinéma La vie et l’œuvre de Philippe Ignace Semmelweis : « Cet homme au charme inouï m’a enchanté par son esprit ouvert et par son aversion profonde pour l’intolérance ». Sur le docteur André Willemin, familier de Céline à la fin de sa vie : « Il exigeait qu’on le prenne tel qu’il était, avec des idées sur tout qui n’étaient jamais celles de tout le monde et  un  formidable mépris des conventions et des bons usages. » On sait que François Löchen avait demandé à Gibault de prononcer le discours d’adieu à ses obsèques. Le fils et la fille souhaitaient que le nom de Céline ne fût pas prononcé (!) : « Je suis évidemment passé outre en rappelant que le pasteur Löchen  avait  agi  avec Céline en chrétien. ».  À propos de son activité à la présidence de la Société d’études céliniennes : « Bien avec tout le monde, je tempère, je modère, je temporise, je mets de l’eau dans le vin, je rassure, je concilie, sans juger ni condamner personne, mais je n’en pense pas moins. » Ce serait pourtant drôle qu’un jour, il dise ce qu’il pense vraiment des « crabes qui entourent »  ladite  société.  Ce n’est pas pour demain.  Juriste dans l’âme, François Gibault tient à ménager les uns et les autres. Encore une preuve de sagesse…

• François GIBAULT, Libera me (Suite et fin), Gallimard, 2015, 293 p. (19,50)