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Vient de paraître

2015-06-BC-Cover

 

En couverture : illustration de Bastien Nerre.

Sommaire : Entretien avec Émeric Cian-Grangé, éditeur de Céline’s Big Band – Céline, la manie de la perfection – Dominique de Roux, épistolier – Une lettre inédite de Céline au Capitaine Sézille – Céline dans l’hebdomadaire « Paroles françaises » – « L’Année Céline 2014 »

Publications céliniennes

Une enquête sur les publications des sociétés littéraires attire mon attention ¹. Pour la période contemporaine, il y est notamment question de revues consacrées à Claudel, Camus, Gide, Giono et… Céline. Parce qu’elle n’émane pas d’une société littéraire  en  tant que telle, L’Année Céline  n’est  même  pas  citée. Fâcheuse omission car cette revue, fondée en 1990 par Henri Godard et Jean-Paul Louis, est le fleuron de ce qui se fait en la matière ². Seule la revue Études céliniennes, organe de la Société d’études céliniennes, est présentée. De manière encomiastique, cela va sans dire ³. Le Bulletin célinien, lui, est mentionné comme une « publication belge rivale » [sic].  Adjectif d’autant plus inapproprié  que le BC  n’a jamais eu l’ambition de rivaliser avec une publication scientifique. Et qu’il se plaît, au contraire, à diffuser sa prétendue rivale auprès de ses abonnés.

L’auteur de cette étude observe que le directeur d’Études céliniennes durant près d’une décennie est « peu soupçonnable de dérive droitière ». C’est le moins qu’on puisse dire. (Observons au passage que l’accusation de « dérive gauchisante » est, elle, rarement formulée. C’est que dans ce milieu, si l’on peut sans crainte se dire de gauche et même d’une gauche radicale, l’inverse n’est pas vrai. Surtout si l’on ambitionne une carrière académique et que l’on admire Céline écrivain.)

Le colloque que ce directeur co-organisa à Beaubourg en 2011 est encore dans les mémoires. Le ban et l’arrière-ban de ce que la gent universitaire compte d’anti-céliniens déclarés y étaient conviés. Dont Jean-Pierre Martin, auteur d’un laborieux Contre Céline (1997), et  l’inénarrable Daniel Lindenberg 4.  L’un vient de la Gauche prolétarienne ; l’autre des Jeunesses communistes marxistes-léninistes, toutes deux d’obédience maoïste. Nul doute que s’ils avaient été encore de ce monde lors de l’organisation de ce colloque, ni Pol Vandromme, ni Paul del Perugia, ni Pierre Monnier, ni (encore moins) Maurice Bardèche, horresco referens, n’eussent été invités.

Le plus frappant, je l’ai déjà relevé ici, est cette volonté constante de faire apparaître Céline comme un partisan du génocide  alors que des célinistes indiscutés, de Godard à Tettamanzi en passant par Gibault ou Mazet, assurent le contraire. Citons ce dernier : « Malgré des éditions savantes, les recherches, les conclusions de chercheurs sérieux qui n’ont pas trouvé, dans Bagatelles pour un massacre, et ceci en dépit de sa virulence, de son outrance, de ses idées scandaleuses, de son vocabulaire révoltant, l’expression d’un but homicide  et d’extermination,  le procès  de Céline n’est pas clos, agite les esprits, engendre encore philippiques spectaculaires ou jugements insidieux, menant à la condamnation ou à l’exclusion des uns par les autres, au nom de l’Histoire ou de la morale,  quand ce n’est pas au nom de la littérature 5. » Tout est dit.

  1. Guillaume Louet, « Des amis et des savants (Une enquête sur les publications des sociétés littéraires) », La Revue des revues [Histoire et actualité des revues], n° 53, printemps 2015, pp. 36-84. Suite à paraître dans le n° 54.
  2. La dernière livraison, L’Année Céline 2014, vient de paraître.
  3. Seuls de mauvais esprits établiront un lien entre le fait que ces commentaires apologiques sont publiés dans une revue co-éditée par l’IMEC (Institut Mémoires de l’édition contemporaine) et le fait qu’André Derval, directeur d’Études céliniennes jusqu’il y a peu, est responsable de collections dans cet organisme.
  4. Auteur d’une Enquête sur les nouveaux réactionnaires (2002) qui anathématisait de manière extravagante Alain Finkielkraut, Marcel Gauchet, Pierre-André Taguieff et le regretté Philippe Muray.
  5. Éric Mazet, « Haro sur Céline », Spécial Céline, n° 9, mai-juin-juillet 2013, pp. 18-42.

Vient de paraître

2015-05-BC-Cover

En couverture : « Les Amis de la Butte » par Ralph Soupault

 Au sommaire : À bord et à bâbord de la « Malamoa ». Roger Vailland et Céline (Éric Mazet) ; De Vailland à Céline (Pierre de Boisdeffre) ; MRAP : haro sur les médias, 1959-1963 (Marc Laudelout) ; Les lectures vagabondes de Thomas Morales (Alexandre Le Dinh), etc.

Vailland / Céline

Deux poids, deux mesures. En 2011, Céline fut éjecté des Commémorations nationales alors qu’il y avait été admis pour le cinquantenaire de sa mort. Cette année, Roger Vailland y est accueilli pour la même raison (il est décédé en 1965) sans que cela ne suscite naturellement le moindre émoi. Cerise sur le gâteau : dans le programme des « Célébrations nationales 2015 »,  il  est présenté par l’ineffable Alain Paucard qui, depuis des décennies, nous inflige sa cordiale détestation de Céline. Vailland lui-même le détestait au point d’avoir voulu l’assassiner, avec ses amis résistants, en 1943 ¹. Sans doute est-il vain de comparer ces deux écrivains que tout opposait. Pendant des années, Vailland écrivit ses romans sous le portrait de Staline et ne rompit avec le Parti qu’à la fin des années cinquante. Encore regrettait-il ses prises de distance (« J’ai trahi les camarades », se lamente-t-il après avoir protesté contre l’invasion soviétique en Hongrie). Et, à la fin de sa vie, il avait l’intention, dixit son épouse, de reprendre sa carte. Il est nonobstant dans le camp du bien.
Céline, qui n’était pas sans défauts, mettait un point d’honneur à ne jamais être rétribué pour les lettres-articles qu’il adressait aux journaux. Vailland, lui, était payé par Moscou, La Tribune des Nations à laquelle il collaborait étant directement financée par les Soviétiques à travers son directeur, André Ulmann, agent d’influence reconnu. Vétilles que tout cela dès lors qu’on parle de littérature.  Vailland n’était pas dépourvu de talent mais de discernement. Sur Céline, il n’a jamais varié. En 1949, il dresse un index des écrivains qu’il déconseille. Motif : « Leur œuvre (et leur langue) nous est devenue aussi étrangère que celle des écrivains galants du début du XVIIe siècle » ². Parmi eux : Céline rejeté pour cause de « fuite dans la logolalie » [sic]. Rien de surprenant :  en matière de narration, Vailland se réclamait essentiellement d’Hemingway et se désintéressait d’écrivains ayant chamboulé l’écriture de son temps. L’année suivante, dans son article « Nous n’épargnerions plus Louis-Ferdinand Céline », il fait sienne l’appréciation d’un de ses amis : « Les points de suspension entre lesquels se délient ses phrases,  c’est la définition même d’un style en décomposition ³» Vailland renchérit à propos de Casse-pipe qui venait de paraître : « C’est du très mauvais Céline ». Même jugement méprisant lorsque l’hebdomadaire Arts lui demande son avis sur D’un château l’autre 4. Quelques mois avant sa mort, il récidive : « Je n’ai pas une admiration sans borne pour son talent. Ces points de suspension ! Mais Voyage au bout de la nuit est un grand livre 5. »

À l’instar de plusieurs écrivains de son temps, il était donc passé à côté de ce chef-d’œuvre qu’est Mort à crédit. Il se retrouvait ainsi sur la même ligne, horresco referens, qu’un Alain Laubreaux 6 qu’il voulait liquider, lui aussi, en 1943.

  1. Témoignage de Vailland mis en cause par l’un de ses camarades de la Résistance qui l’a qualifié de « mélange de forfanteries, d’erreurs, de fausses assertions, affligé par surcroît d’un style indigne de l’auteur qui, à mon avis, n’était pas dans son état normal lorsqu’il bâcla son pensum. » (Jacques-Francis Rolland, « Roger Vailland l’affabulateur », Le Bulletin célinien, n° 313, novembre 2009, pp. 4-8).
  2. La Tribune des nations, 30 décembre 1949.
  3. La Tribune des nations, 13 janvier 1950.
  4. Arts, 19-25 juin 1957.
  5. Le Nouvel Observateur, 25 février 1965. Voir en page 9 la suite de ce commentaire.
  6. « Pourquoi Céline s’obstine-t-il à se servir d’un style exécrable (…) rempli de procédés bassement littéraires ? » (La Dépêche de Toulouse, 9 juin 1936). Brasillach, ancien camarade de khâgne de Vailland, n’était pas davantage enthousiaste : « De tels livres, qui seront incompréhensibles dans vingt ans, me paraissent le contraire même de l’art. » (L’Action française, 11 juin 1936).

Vient de paraître

En couverture : caricature de Vincent Carrier, « Céline. Une drôle de fiole », paru en mai 1951 dans l’organe du MRAP, Droit et Liberté.

Au sommaire : Lettres de Céline au Docteur Félix Gentil ; 1950-51, le MRAP ne désarme pas ; Une lettre de Michel Lécureur ; Une exposition sur la Collaboration ; Céline en Afrique ; etc.

Exposition

Tout célinien devient par la force des choses fin connaisseur de l’Occupation, Céline ayant eu partie liée avec cette sombre période. D’autant que, bon gré mal gré, il accompagna le régime de Vichy dans sa chute. C’est pour cela que  les  nouvelles  générations  éprouvent  quelques difficultés  à  appréhender un livre comme D’un château l’autre, les noms de Laval, Brinon, Doriot et Déat leur étant peu familiers, voire totalement inconnus.

L’exposition sur la Collaboration, qui s’est tenue récemment à Paris  se  voulait  essentiellement pédagogique ¹. Les différents aspects étaient d’autant mieux traités que pas moins de quatre commissaires scientifiques furent requis à la tâche. Bien entendu, Céline y eut sa place. Y compris dans l’imposant catalogue édité à cette occasion ². Deux pages du manuscrit des Beaux draps – préempté par la Bibliothèque Nationale en 1977 – y sont reproduites. Ainsi qu’une lettre inédite à Lucien Rebatet présentée comme une réponse à l’envoi des Décombres. Grossière erreur : cette lettre-là figure déjà dans la plaquette éditée par Gallimard ³. Il s’agit, en réalité, d’une réponse à l’envoi des Tribus du cinéma et du théâtre publié l’année précédente par Denoël. La confusion n’est pas possible puisque Céline, qui n’était pas encore familier avec Rebatet, le vouvoie et évoque un « petit livre » — ce qui n’est assurément pas le cas du pavé de plus de 600 pages lancé durant l’été 1942 4. À  propos  de  Céline,  les auteurs notent que « son antisémitisme est imbriqué dans son racisme » et que « l’élimination des Juifs devient la condition d’un redressement national qui passe par la race ». Épuration n’étant pas synonyme d’extermination, il aurait fallu préciser que « ses pamphlets ne présentent pas d’appel au meurtre explicite » (Tettamanzi) et que « les mesures qu’il préconise contre les juifs se suffisent à elles-mêmes, sans qu’on aille jusqu’à lui prêter une idée ou un désir d’extermination » (Godard).

Tel quel, ce catalogue vaut surtout pour sa foisonnante iconographie constituée de photographies et d’autres documents divers, dont une lettre de Brasillach au même Rebatet, lors de la rupture de 1943. Toutes ces pièces ont attiré un large public, témoignant de la fascination qu’exerce, encore et toujours, cette période historique. Laquelle ne cesse, par ailleurs, d’inspirer écrivains et cinéastes depuis plus d’un demi-siècle.

 

  1. Exposition « La Collaboration, 1940-1945 » organisée, du 26 novembre 2014 au 2 mars 2015, par les Archives nationales à l’Hôtel de Soubise, à Paris.
  2. Thomas Fontaine & Denis Peschanski, La Collaboration [Vichy Paris Berlin], 1940-1945, Éditions Tallandier (en coédition avec les Archives nationales et le Ministère de la Défense), 2014, 320 p. Évoquant les opuscules antisémites parus durant cette période, un célinien bien-pensant, journaliste dans la presse satirique, conclut son article en précisant (sans aucun lien logique) « qu’Éric Zemmour ferait bien de [les] consulter avant de s’engager plus avant dans ses réhabilitations délirantes» [sic]. Or, contrairement à ce qui s’est écrit, Zemmour n’a aucunement eu l’intention de “réhabiliter” le régime de Vichy en rappelant que les juifs français furent proportionnellement moins déportés que leurs coreligionnaires hollandais ou belges et ce en raison de la volonté de Vichy (nonobstant les discriminations dont ils étaient victimes) de sauver, peu ou prou, ses « juifs nationaux ». C’est en tout cas ce qu’affirmait notamment l’historien Léon Poliakov, peu suspect de mansuétude envers Pétain.
  3. Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Lucien Rebatet (préface de Nicolas d’Estienne d’Orves), Gallimard, 2005, 30 p.
  4. Texte de cette lettre (la date, s’il y en a une, n’apparaît pas sur le fac-similé du document) : « Cher Confrère. Je me suis jeté, vous l’imaginez, sur votre vitriolique petit livre, pour mon délice et mon édification sadique. Comme tout cela est beau, total, surabondant de perfection infectieuse ! Il est impossible qu’un tel organisme s’en relève. Il doit tout crever d’abord et renaître s’il peut, s’il se peut. Et je doute… À vous bien amicalement. L.-F. Céline »