Deux poids, deux mesures. En 2011, Céline fut éjecté des Commémorations nationales alors qu’il y avait été admis pour le cinquantenaire de sa mort. Cette année, Roger Vailland y est accueilli pour la même raison (il est décédé en 1965) sans que cela ne suscite naturellement le moindre émoi. Cerise sur le gâteau : dans le programme des « Célébrations nationales 2015 », il est présenté par l’ineffable Alain Paucard qui, depuis des décennies, nous inflige sa cordiale détestation de Céline. Vailland lui-même le détestait au point d’avoir voulu l’assassiner, avec ses amis résistants, en 1943 ¹. Sans doute est-il vain de comparer ces deux écrivains que tout opposait. Pendant des années, Vailland écrivit ses romans sous le portrait de Staline et ne rompit avec le Parti qu’à la fin des années cinquante. Encore regrettait-il ses prises de distance (« J’ai trahi les camarades », se lamente-t-il après avoir protesté contre l’invasion soviétique en Hongrie). Et, à la fin de sa vie, il avait l’intention, dixit son épouse, de reprendre sa carte. Il est nonobstant dans le camp du bien.
Céline, qui n’était pas sans défauts, mettait un point d’honneur à ne jamais être rétribué pour les lettres-articles qu’il adressait aux journaux. Vailland, lui, était payé par Moscou, La Tribune des Nations à laquelle il collaborait étant directement financée par les Soviétiques à travers son directeur, André Ulmann, agent d’influence reconnu. Vétilles que tout cela dès lors qu’on parle de littérature. Vailland n’était pas dépourvu de talent mais de discernement. Sur Céline, il n’a jamais varié. En 1949, il dresse un index des écrivains qu’il déconseille. Motif : « Leur œuvre (et leur langue) nous est devenue aussi étrangère que celle des écrivains galants du début du XVIIe siècle » ². Parmi eux : Céline rejeté pour cause de « fuite dans la logolalie » [sic]. Rien de surprenant : en matière de narration, Vailland se réclamait essentiellement d’Hemingway et se désintéressait d’écrivains ayant chamboulé l’écriture de son temps. L’année suivante, dans son article « Nous n’épargnerions plus Louis-Ferdinand Céline », il fait sienne l’appréciation d’un de ses amis : « Les points de suspension entre lesquels se délient ses phrases, c’est la définition même d’un style en décomposition ³. » Vailland renchérit à propos de Casse-pipe qui venait de paraître : « C’est du très mauvais Céline ». Même jugement méprisant lorsque l’hebdomadaire Arts lui demande son avis sur D’un château l’autre 4. Quelques mois avant sa mort, il récidive : « Je n’ai pas une admiration sans borne pour son talent. Ces points de suspension ! Mais Voyage au bout de la nuit est un grand livre 5. »
À l’instar de plusieurs écrivains de son temps, il était donc passé à côté de ce chef-d’œuvre qu’est Mort à crédit. Il se retrouvait ainsi sur la même ligne, horresco referens, qu’un Alain Laubreaux 6 qu’il voulait liquider, lui aussi, en 1943.
- Témoignage de Vailland mis en cause par l’un de ses camarades de la Résistance qui l’a qualifié de « mélange de forfanteries, d’erreurs, de fausses assertions, affligé par surcroît d’un style indigne de l’auteur qui, à mon avis, n’était pas dans son état normal lorsqu’il bâcla son pensum. » (Jacques-Francis Rolland, « Roger Vailland l’affabulateur », Le Bulletin célinien, n° 313, novembre 2009, pp. 4-8).
- La Tribune des nations, 30 décembre 1949.
- La Tribune des nations, 13 janvier 1950.
- Arts, 19-25 juin 1957.
- Le Nouvel Observateur, 25 février 1965. Voir en page 9 la suite de ce commentaire.
- « Pourquoi Céline s’obstine-t-il à se servir d’un style exécrable (…) rempli de procédés bassement littéraires ? » (La Dépêche de Toulouse, 9 juin 1936). Brasillach, ancien camarade de khâgne de Vailland, n’était pas davantage enthousiaste : « De tels livres, qui seront incompréhensibles dans vingt ans, me paraissent le contraire même de l’art. » (L’Action française, 11 juin 1936).