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Émile Brami

Dans Bagatelles et, plus encore, dans Entretiens avec le Professeur Y, Céline n’a pas manqué de s’exprimer sur le monde de l’édition. Ses démêlés avec Denoël, puis Gallimard furent mémorables. Dans une lettre à Paraz, il a épinglé l’une des tares du système : « Les éditeurs ont très bien pris leur parti de la voyoucratie libraire générale actuelle qui consiste à ne plus “suivre” un livre mais à tirer des “nouveautés” comme Piaf tire des chansons – on épuise d’un seul service d’office ta nouveauté   2 ou 4 ans de boulot   et toi après ce mince bénef tu peux crever ».

Émile Brami, connu pour ses catalogues céliniens et sa biographie du grand homme, consacre précisément son dernier roman au milieu éditorial. Les célinistes pointus s’amuseront des clins d’œil qu’il leur adresse. Par exemple, ce commentaire d’un protagoniste relative à une montre Patek en platine que « les cons prennent pour une toquante en acier ».

À l’égard de Céline, la situation d’Émile n’est, on le sait, pas très confortable. Cette admiration qu’un juif peut vouer à un écrivain antisémite, il l’a illustrée par une métaphore traduisant bien la « gêne permanente » qui est la sienne : « le caillou dans la chaussure » ¹. Paradoxal aussi le fait de mettre en vente des œuvres que l’on condamne sans appel, y compris sur le plan littéraire. Dont cette édition originale de L’École des cadavres (4000 €) proposée  actuellement  sur le site internet de sa librairie ², brûlot qualifié du « plus médiocre des écrits de Céline » et, de surcroît, « pauvre en invention d’écritures » ³ — ce qui n’était pas, soit dit en passant, l’opinion du linguiste Alphonse Juilland, féru de néologismes céliniens.

Revenons à son dernier livre qu’Émile Brami présente lui-même comme un « petit roman à prétention comique ». Disons plutôt qu’il s’agit d’une grosse farce où l’auteur met à profit son expérience dans le microcosme de l’édition. On sait qu’Olivier Bardolle lui confia la direction littéraire de sa maison pour le licencier deux ans plus tard. Se reconnaîtra-t-il dans le portrait-charge de l’éditeur mégalomane que le narrateur, Élie Benarous, trace de lui ? Émile Brami se défend de transposer son expérience malheureuse, affirmant dans un avertissement avoir conjugué « quelques réminiscences avec de pures inventions. » Toujours est-il que cela se lit d’une traite avec plaisir. À l’exception du narrateur, les personnages sont grotesques et, par là même, fort drôles. D’autant que leur langage rappelle celui des héros de Frédéric Dard. Cela étant, le lecteur qui connaît un peu le milieu demeurera sur sa faim. Ainsi, certaines collusions entre l’édition et la critique eussent méritées d’être approfondies. Il n’est pas davantage question de l’autocensure qui conduit les éditeurs à écarter certains auteurs ou sujets non orthodoxes quand bien même ils ont du talent. Sans parler des cajoleries intéressées que se font les critiques-romanciers entre eux. Le journal de feu Jacques Brenner, employé durant des années par les éditions Grasset et juré du Renaudot, nous en apprend finalement beaucoup plus sur les coulisses de l’édition. Mais le livre d’Émile Brami offre l’avantage d’être mieux écrit et beaucoup plus divertissant.

  • Émile BRAMI, Éditeur !, Écriture, 2013, 172 pages (15,95 €)

 

  1. É. Brami, Céline à rebours, Éditions Archipoche, 2010.
  2. Librairie-galerie D’un livre l’autre, 2 rue Borda, 75003 Paris [ http://dunlivrelautre.fr ].
  3. Céline à rebours, op. cit.

Proust / Céline

Opposer Proust à Céline aura été une constante de la critique depuis près d’un siècle. Dès 1932, Léon Daudet écrivait ceci : « Proust, avec toute sa puissance, que j’ai célébrée un des premiers, c’est aussi un recueil de toutes les observations et médisances salonnières dans une société en décomposition. Il est le Balzac du papotage. De là une certaine fatigue dont M. Céline  va  libérer sa génération ¹. » Céline lui-même s’est voulu en quelque sorte l’antithèse de celui qu’il considéra parfois comme un rival. Mais les auteurs d’un récent Dictionnaire amoureux de Proust ² ont tort de croire qu’il n’a jamais varié dans ses appréciations. Il fut un temps où Céline se devait de s’opposer à lui pour édifier une œuvre aussi émotive que celle de son illustre aîné mais assurément moins bavarde, ou à tout le moins ne se perdant pas dans les dédales d’une infinie introspection. À la fin de sa vie, Céline admettra que « Proust est le dernier, le grand écrivain de notre génération ³ », ce qui n’est tout de même pas rien. L’un des co-auteurs de ce dictionnaire note que les ressemblances entre les deux œuvres sont plus grandes qu’on ne le croit généralement. Et d’affirmer, par exemple, que la compassion de Bardamu à l’égard du sergent Alcide s’applique exactement à celle éprouvée par le baron de Charlus envers les soldats de la Grande Guerre. Et que le fameux aphorisme célinien, « La grande défaite, en tout, c’est d’oublier », est une phrase que Proust aurait pu signer, voulant dire par là que tous deux détestent l’oubli – ce qui n’est pas faux mais n’a rien d’original.

Voilà un rapprochement qui aurait le don d’exaspérer l’inénarrable Charles Dantzig, proustolâtre éperdu et anticélinien primaire. Anxieux, il imagine, dans un avenir proche, l’équivalent (anti)proustien du Contre Céline qui nous fut infligé il y a une quinzaine d’années : « J’ai été frappé au moment d’une querelle littéraire contre le réalisme, que j’ai eue il y a quelques mois, de voir qu’on s’en servait pour défendre Céline au détriment de Proust. Dans les temps haineux qui se sont réveillés, je ne serais pas surpris si, dans cinq ans, paraissait un pamphlet contre Proust, la mollesse et la décadence. Et on regrettera alors ce qui, rétrospectivement, sera devenue une époque. L’époque “Proust friendly”  4 ». Allusion, on l’aura compris, à l’expression « gay friendly » chère à l’auteur ; « les temps haineux » évoquant les manifestations contre « le mariage pour tous ». Cela étant, c’est méconnaître l’œuvre célinienne que de la réduire au « réalisme » ; hier au « populisme ». Déjà dans un de ses bouquins, ne faisait-il pas sien le commentaire navrant d’un Malraux vieillissant qui comparait la verve de Céline à celle d’un chauffeur de taxi ?  Ailleurs il qualifie  Céline et Beethoven  de  « génies  des adolescents incultes 5 » [sic]. Lorsque la bêtise culmine à ce point, on demeure sans voix.

  1. Léon Daudet, « L.-F. Céline : “Voyage au bout de la nuit” », Candide, 22 décembre 1932.
  2. Jean-Paul et Raphaël Enthoven, Dictionnaire amoureux de Proust, Plon / Grasset, 2013. Voir les propos du second [sur Proust et Céline] recueillis par Philippe Delaroche, « L’autre questionnaire de Proust », Lire, n° 419, octobre 2013, p. 8. Sur les deux auteurs, voir le portrait qu’en dresse Emmanuel Ratier dans Faits & Documents, n° 368, 15 décembre-15 janvier 2013 (B.P. 254-09, 75424 Paris Cedex 09).
  3. Jean Guenot (éd.), Céline à Meudon (Transcription des entretiens avec Jacques d’Arribehaude et Jean Guenot), Éd. Guenot, 1995.
  4. Charles Dantzig, Émission « Secret professionnel » (Du côté de chez Swann), France Culture, 6 octobre 2013. Cette émission peut actuellement être écoutée sur le site internet de France Culture.
  5. Idem, Encyclopédie capricieuse du tout et du rien, Grasset, 2009.

Henri Mondor

C’est au printemps 2011, lors du colloque « Céline à l’épreuve », que Cécile Leblanc, agrégée de lettres classiques, nous  présenta la  correspondance  Céline – Henri Mondor. Mise sous scellés à la bibliothèque Jacques Doucet pour la période légale de 50 ans après la mort du destinataire, elle fait enfin l’objet d’une édition soignée dans la collection « Blanche » de Gallimard ¹.

Multiacadémicien (Académie française, Académie de médecine et Académie des sciences) et grand officier de la Légion d’honneur, on imagine mal aujourd’hui le prestige dont jouissait le professeur Henri Mondor après la guerre. Raison pour laquelle Gaston Gallimard tenait beaucoup à ce qu’il rédigeât la préface à l’édition de Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit dans la Pléiade. Ce fut chose faite, non sans quelques hésitations, et ce à la grande satisfaction de Céline. Lequel mourut malheureusement un an avant que le volume sorte des presses de l’imprimerie Darantière à Dijon, en avril 1962. Mondor, lui, trépassa précisément ce mois-là. C’est dès 1950 que Céline lui écrivit, l’académicien ayant accepté d’intervenir en sa faveur auprès de la Cour de justice.  Eut-il  quelque  sympathie idéologique pour  l’exilé ? Cécile Leblanc évoque ses « entrées dans les milieux de droite ou d’extrême droite » mais sans en dire davantage.  Connivence avec  l’Action Française ?  Lorsque  l’hebdomadaire  Aspects de la France consacre un article à Normance, Céline écrit à Mondor : « Grâce à vous sans doute j’ai eu cet article de l’AF. » Quoiqu’il en soit, l’académicien ne ménagea pas sa peine pour soutenir l’écrivain, allant même jusqu’à présider un éphémère « Comité d’amateurs des écrits de Céline » imaginé par Dubuffet au début des années cinquante. Fidèle à sa légende, Céline accable son correspondant de plaintes, d’éloges, de remerciements éperdus et… d’indications biographiques fallacieuses. Celles-ci seront répercutées telles quelles dans la fameuse préface, Mondor y reproduisant de larges extraits de cette correspondance. Celle-ci vaut surtout, vous l’aurez deviné, pour sa qualité d’écriture. Les formules jaillissent sous la plume, telle celle-ci à propos de Gaston Gallimard : « Depuis qu’il m’a refusé le Voyage il ne peut s’empêcher de me refuser tout ! le pli est pris ! ». Ou celle-là : « Actuellement partout le national Sartrisme remplace avec quelle fougue le national Socialisme pendu ! »  Drôle et lyrique. Ainsi, quand Mondor le compare à Hugo : « Crèvent les autres ! tous ! de jalousie, d’ulcères d’envie, de tout fétides néos [abréviation médicale pour « néoplasme », indique judicieusement l’éditrice] de rage ! L’Olympe à nous ! Mille reconnaissances pour ce plus qu’humain message, annonciateur des faveurs du Parnasse et de la confusion, écrabouillerie, compoterie de tous mes haineux ! »

Et, lorsqu’en janvier 1960 Henri Mondor lui adresse la préface tant attendue, l’érudition le dispute à l’ironie : « Si j’osais, je la ferais encadrer et la porterais en “attestation” sur la poitrine, selon la coutume des vétérans d’autrefois et aveugles du Pont des Arts ». Celui qui se désignait comme « minable pustuleux poëtasseux » aura contracté une dette incontestable envers le « grand savant, couvert de gloire ». Un demi-siècle plus tard, c’est Céline, glorieux et réprouvé, qui triomphe.

  • Louis-Ferdinand CÉLINE, Lettres à Henri Mondor, Gallimard, 2013, 170 pages, 3 illustrations.

 

  1. L’édition originale, réservée aux membres du Cercle de la Pléiade, est parue au printemps dernier. Tirage à 2000 exemplaires hors commerce sur Rives vergé. Relevons une petite erreur, page 59 : ce n’est pas un chapitre de Guignol’s band mais de Casse-pipe que Jean Paulhan publia en 1948 dans les Cahiers de la Pléiade.

→ Voir aussi Marc Laudelout, « Hommage à Henri Mondor », Le Bulletin célinien, n° 138, mars 1994, pp. 6-9.

Nicole Debrie

Nicole Debrie signe en 1961 la première monographie sur Céline, battant sur le fil Marc Hanrez dont le livre paraît un peu plus tard. Comme lui, elle rencontre le reclus de Meudon qui l’accueille très cordialement. Mais, pétrifiée d’admiration, elle n’est guère loquace et se borne à répondre à ses questions. Elle lui fait part tout de même de son projet éditorial qui reçoit l’assentiment de l’écrivain.

Mes relations avec Nicole ne furent pas toujours empreintes de la plus grande sérénité. Mais quel célinien trouve grâce à ses yeux ?   On a  parfois l’impression en l’écoutant qu’elle seule détient la vérité. Au risque parfois de ne pas être d’accord avec elle-même. En 1987, je publie ici sa critique du livre de Bardèche, précédée d’un chapeau rédactionnel. Par retour de courrier, je reçois une lettre furibarde. Elle réfute avec force la teneur dudit chapeau, précisant qu’elle est tout à fait « opposée à la présentation d’un “Céline mystique” ». En guise de réponse, il m’est facile de reproduire une phrase de son livre : « À travers son œuvre que l’on a trop souvent accusée de naturalisme, Céline apparaît comme un mystique. »  Pas de quoi lui en vouloir. D’autant que, grâce à elle, le Bulletin eut les honneurs d’Apostrophes : trop heureux de pimenter son émission, Bernard Pivot lut un passage de la critique acerbe de Nicole face à Maurice Bardèche. Lequel réagit, il faut le dire, avec une rare élégance.

Mieux que je ne pourrais le faire, Éric Mazet dit dans ce numéro l’intérêt des trois livres qu’elle a consacrés à son écrivain de prédilection. Marcel Aymé, excusez du peu, ne s’y était pas trompé : « Nicole Debrie a écrit sur l’œuvre de Céline une étude solide, intelligente qui, sans s’arrêter à chaque pas au détour de la pensée de l’écrivain, met très bien en lumière ce qu’elle a d’essentiel et qu’il n’est pas si aisé de découvrir dans un lyrisme étourdissant où elle se dissimule sous la magie des mots. »

La dernière fois que j’ai vu Georges et Nicole, c’était à Paris, en novembre 2011, au colloque de la Fondation Singer-Polignac organisé à l’occasion du centenaire.  Auparavant, elle m’avait fait l’amitié de venir aux « Journées de rencontres céliniennes » que Michel Mouls et moi organisâmes à Puget-sur-Argens. Elle y prononça une communication sur « Céline et l’individuation », thème abordé dans son livre sur les résonances psychanalytiques dans l’œuvre célinienne tiré de sa thèse de doctorat soutenue en 1988 ¹. Excessive tout autant qu’hyper émotive, Nicole Debrie est tout naturellement poète et polémiste. Ces deux facettes se rejoignent parfois dans un même livre. Ainsi, dans Cantilènes et grelots (1996) ², elle fustige avec une verve vengeresse « les universitaires qui désossent Céline » et les « poux, parasites et morpions » qui « s’agitent dans la superbe crinière d’un fauve qui n’en peut mais. » ² Sa conclusion : « Voici le temps des grotesques enturbannés, clochettes et colifichets… Rognures d’hommes qui agitent leur marotte : un Céline défiguré ! »

Comme on le voit, elle n’y va pas de main morte. Intempérance à la mesure de sa ferveur. Au moins faut-il lui reconnaître une vision inspirée de Céline, très éloignée des caricatures que lui-même contribua à donner de lui. Dès 1960, Nicole Debrie lui confia son intention d’analyser l’aspect poétique de son œuvre. Initiative guère répandue à l’époque. Depuis elle n’a cessé de mettre en valeur un écrivain trop fréquemment réduit à son antisémitisme ou à ses trouvailles langagières.

  1. Nicole Debrie est titulaire d’une licence de philosophie, de psychologie, de psychanalyse et d’ethnologie.
  2. Anecdote : le 14 mars 1996, Ernst Jünger lui accusa aimablement réception de ce recueil. Il avait alors 101 ans.

Aimée Paymal

Le nom d’Aimée Paymal vous est parfaitement inconnu ? Si ce n’est pas le cas, vous pouvez vous targuer d’être un célinien pointu. Née en 1905, cette employée au dispensaire de Clichy dactylographia, nous dit-on, le manuscrit de Voyage au bout de la nuit. Figure destinée à sombrer dans l’oubli comme tant d’autres personnages secondaires ayant croisé la destinée de Louis Destouches.

Un jeune bibliothécaire vient de lui consacrer un (premier) roman, appliqué et sans relief, où l’on éprouve forcément quelque difficulté à discerner ce qui relève de la biographie ou du roman. Le hic c’est que pour traiter un pareil sujet, il est indispensable de bien connaître aussi la biographie de Céline. Sur la seule page 135 s’étalent deux erreurs. Ce n’est pas dans un café, en compagnie  de deux  collègues  du dispensaire (!), que l’auteur du Voyage attendit le résultat du Goncourt : ce sont sa mère et sa fille qui  étaient à ses côtés en cette matinée du 7 décembre 32. Plus ennuyeux : ce n’est pas le tapuscrit (corrigé de sa main) que Céline vendit à Étienne Bignou mais bien le manuscrit lui-même — celui qui atteignit un chiffre record (1,67 million d’euros, sans les frais) lors de la fameuse vente publique à Drouot. Un bon connaisseur de la biographie célinienne  n’eût pas commis  une telle erreur.

Tant qu’à évoquer Clichy (c’est le titre du roman), il eût été plus intéressant de mettre en scène une figure autrement complexe : le directeur du dispensaire, Grégoire Ichok. Ce n’est sans doute pas demain la veille qu’on disposera d’une biographie de ce médecin lituanien d’origine juive né en 1892 à Marijampolė. On sait que les relations entre Ichok et son subordonné Destouches  furent  exécrables.  Rien d’étonnant à cela, d’autant que c’est la municipalité communiste qui nomma ce laudateur de la médecine soviétique ¹ à la tête du dispensaire flambant neuf. C’est dire si après la parution de Mea culpa, la situation devint intenable. Membre actif de la Ligue contre l’antisémitisme, Ichok était un ami personnel du député socialiste Salomon Grumbach, vice-président de la Commission des affaires étrangères. Lequel soutint sa demande de naturalisation. Naturalisé français en mars 1928, il est nommé directeur du dispensaire de Clichy six mois plus tard. Passionné de médecine sociale, Ichok est l’auteur de nombreuses études sur la question ². Le 10 janvier 1940, il se suicide en croquant une capsule de cyanure. L’homme était profondément dépressif. Dépression apparemment accentuée par le contexte international ³.  Une destinée assurément plus captivante que celle de la modeste Aimée Paymal !

  • Vincent Jolit, Clichy, Éditions de la Martinière, 2013, 144 pages (14,90 €)

 

  1. Cf. Alexandre Roubakine et Georges [sic] Ichok, « L’accroissement naturel de la population en URSS », La Revue d’Hygiène et de Médecine préventive, n° 10, décembre 1937.
  2. Ainsi, en février 1933, une journaliste se rend au dispensaire pour y rencontrer l’auteur de La Protection de l’enfance dans une commune de banlieue (Éd. G. Doin, 1933). Cf. Hélène Bory, « Dans un dispensaire avec L.-F. Céline et le Dr Ichok », Paris-Midi, 22 février 1933.
  3. « Il est vraisemblable que les événements qui ont marqué la fin de l’année 1939 n’ont pas été sans amener sa disparition prématurée ainsi que le donnait à entendre M. Barrier, ancien président de l’Académie de Médecine, au cours de l’incénaration au colombarium du Père-Lachaise, le 17 janvier 1940 » in Dr R[ené] Hazemann, « Nécrologie. Grégoire Ichok », Journal de la société statistique de Paris, tome 81 (1940), pp. 105-106. L’auteur de cette nécrologie était chef du cabinet technique de la Santé publique et de l’Éducation physique sous le Front populaire. Notons à ce propos que Grégoire Ichok fut le conseiller de Jean Zay, ministre de la Santé publique dudit Front populaire.

Céline païen

Dans son livre-testament ¹, Dominique Venner évoque Céline et plus particulièrement Les Beaux draps, « ce curieux livre qui délivrait un message furibard à l’encontre de la prédication chrétienne, ultime recours du régime de Vichy qu’il méprisait ». Et de citer la fameuse sortie de Céline visant « la religion de “Pierre et Paul” [qui] fit admirablement son œuvre, décatit en mendigots, en sous-hommes dès le berceau, les peuples soumis, les hordes enivrées de littérature christianique, lancées éperdues imbéciles, à la conquête du Saint Suaire, des hosties magiques, délaissant à jamais leurs Dieux, leurs religions exaltantes, leurs Dieux de sang, leurs Dieux de race. (…) Ainsi, la triste vérité, l’aryen n’a jamais su aimer, aduler que le dieu des autres, jamais eu de religion propre, de religion blanche. Ce qu’il adore, son cœur, sa foi, lui furent fournis de toutes pièces par ses pires ennemis. »

Venner observe avec pertinence que, dans un langage différent, Nietzsche n’avait pas dit autre chose. Cet été, Anne Brassié, dans un quotidien fervemment catholique, a adressé une lettre post-mortem  à Venner ². N’ayant jamais lu Les Beaux draps, la biographe de Brasillach précise qu’elle ne connaissait pas ce texte et s’insurge contre cette attaque frontale de la religion chrétienne, d’autant  que le païen Venner  la faisait  sienne  mutatis mutandis.

Encore faut-il préciser ce qui, pour Céline, constituait le crime des crimes : « La religion catholique fut à travers toute notre histoire, la grande proxénète, la grande métisseuse des races nobles, la grande procureuse aux pourris (avec tous les saints sacrements), l’enragée contaminatrice ».

Céline, défenseur résolu du génie de la race et de son intégrité, reprochait à l’Église de favoriser le métissage par sa doctrine égalitaire. Après avoir vu un de ses textes censuré par la presse doriotiste, il tint à faire connaître la phrase caviardée :  « L’Église, notre grande métisseuse, la maquerelle criminelle en chef, l’antiraciste par excellence. » L’antienne n’était pas nouvelle. Quatre ans plus tôt, dans L’École des cadavres, il vouait aux gémonies les « religions molles ».  Et précisait déjà  : « Vive la Religion qui nous fera nous reconnaître, nous retrouver entre Aryens, nous entendre au lieu de nous massacrer, mutuellement, rituellement, indéfiniment. »

Anne Brassié admet que « la violence de Céline est née de sa terrible clairvoyance, l’Europe s’engageant dans une seconde guerre civile après le premier suicide de la guerre de 14-18 ». Cela étant, elle rétorque : « Sont-ce vraiment les chrétiens qui ont préparé ces guerres ? Qui furent envoyés au front pour mourir, dès 1914, en première ligne ? Les paysans bretons, catholiques, les officiers français catholiques et le premier d’entre eux, Péguy. » Mais pour Céline, la religion chrétienne est une religion juive facilitant les grands massacres en anesthésiant les peuples ainsi aliénés ³. Si Céline est antinationaliste c’est parce qu’il considère que les nations sont manipulées et génératrices de guerre. Pour lui seule la race est capable d’éradiquer la nation, d’où cette vision du « racisme » perçu comme antidote au nationalisme. Cette conviction peut aujourd’hui être ignorée et dissociée de son esthétique. Il n’en demeure pas moins qu’elle fut sienne.

  1. Dominique Venner, Un samouraï d’Occident. Le Bréviaire des insoumis, Éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2013.
  2. Anne Brassié, « Un samouraï d’Occident », Présent, n° 7899, 20 juillet 2013, p. 5a-e.
  3. Nietzsche considère que le christianisme représente le judaïsme « à la puissance deux » (La Volonté de puissance, 1887) dans la mesure où l’esprit judaïque s’y est universalisé.