Sommaire : Céline et Winna Winfried – Un débat radiophonique pour le centenaire – Voir Béduer
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Charles Dantzig (suite)
Au moins est-il lucide : « Je sais que, avec cet article, j’aurai encore les aimables céliniens contre moi. » Et pour cause : dès qu’il traite de Céline, Patrick Lefebvre, alias Charles Dantzig, n’écrit que des bêtises. Il avait déjà comparé la verve de l’écrivain à celle d’un chauffeur de taxi parigot. C’était recopier bêtement Malraux qui, dans un entretien avec Grover, proféra jadis cette énormité. Dantzig voit en Céline un écrivain populiste. On se croirait revenu au “Lagarde & Michard” de ma jeunesse. De la même manière, il se laisse abuser par les fameux trois points qu’il prend, figurez-vous, pour de banals points de suspension ¹. Avant d’écrire de telles inepties, le sieur Dantzig eût été avisé de lire les commentaires de Henri Godard. Lequel précise pertinemment que les trois points constituent plutôt « un silence ou un point d’orgue laissant se perpétuer les ondes » ². Nulle aposiopèse, nulle ellipse mais quelque chose de particulier propre à l’écriture célinienne.
Là où Dantzig se surpasse, c’est lorsqu’il affirme que « littérairement, Céline serait assez la traduction de l’expression anglaise “one-trick poney”. Un poney de cirque qui ne connaît qu’un tour. Il le fait bien, mais il ne sait que le refaire. » Insondable bêtise lorsqu’on sait que Céline est certainement l’écrivain français qui s’est le plus renouvelé. Quelle progression entre Voyage et Mort à crédit (qu’il mettra trois ans à écrire) ! Et quelle singulière métamorphose entre ce deuxième roman et Féerie pour une autre fois ! Qui dira à Dantzig qu’il serait bien inspiré de ne traiter que les sujets qu’il connaît ? Surtout pas Céline dont on se demande s’il en a lu intégralement un livre. Par ailleurs, il ne craint pas d’affirmer que « les céliniens tentent de cacher l’existence des écrits polémiques » alors qu’on ne compte plus sur ce thème les ouvrages précisément écrits par des céliniens. De toute évidence il ignore aussi que les pamphlets ont été republiés il y a quatre ans dans une édition scientifique de haut vol due à un professeur de l’Université de Nantes. Dantzig pérore en toute ignorance.
Concluons par une note badine: il a un jour confié qu’il rêvait d’écrire un roman où il y ait une drag queen. Reconnaissons que là au moins il se documente. Ainsi a-t-il récemment invité dans son émission un avocat au barreau de Paris qui se transforme régulièrement en créature ³. Une émission sur les danseuses, si chères à Céline, exigerait de Dantzig une préparation plus approfondie.
• Charles DANTZIG, Les Écrivains et leurs mondes, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 990 p. (30 €). Ce volume comporte trois parties : « La guerre du cliché », « Dictionnaire égoïste de la littérature française » et « Ma République idéale » (inédit). Je me réfère au chapitre « l’affaire populisme », p. 103-115.
- C’est ainsi que, selon lui, Céline ne serait qu’un succédané : «Il y a une imposture de Céline styliste inédit quand son système de ponctuation et son supposé “style émotif”, loin de l’inventer, il les sort de Jules Laforgue.» Rien de neuf sous le soleil : pour une raison analogue, le regretté Paul Yonnet considérait que le devancier de Céline était Eugène Scribe. Quant à Paul Edel, il évoque la dette que Céline doit aux auteurs de Germinie Lacerteux auxquels il aurait emprunté les trois points [http://pauledel.blog.lemonde.fr/2016/11/07/de-la-nounou-de-leila-a-la-servante-germinie-des-freres-goncourt]
- Propos tenu dans l’émission «Décibels» de Jeanne-Martine Vacher, France Culture, 21 avril 2009. [https://www.youtube.com/watch?v=7VRiioKgGys]
- «Le secret professionnel des drag queens», France Culture, 23 octobre 2016. [https://www.franceculture.fr/emissions/secret-professionnel/le-secret-professionnel-des-drag-queens]
Vient de paraître
Philippe Alméras
• Philippe ALMÉRAS, Mémoire d’un siècle et de deux continents, Les Éditions de Paris / Max Chaleil, 2016, 480 p. (19 €)
- L’évolution du langage romanesque de Louis-Ferdinand Céline, University of California [Santa Barbara], 1971.
- Les idées de Céline, Université de Paris VII, 1987. Du même auteur, voir Voyager avec Céline, Dualpha, coll. « Politiquement incorrect », 2003.
- Je suis le bouc. Céline et l’antisémitisme, Denoël, 2000.
- Parmi ses livres, généralement peu lus par les céliniens, citons Un Français nommé Pétain (1995), Journal noir de l’Algérie indépendante (2001), De Gaulle à Londres (2001), Vichy, Londres, Paris (2002).
Vient de paraître
Scories
Il est sans doute vain d’épingler ici toutes les erreurs dont est truffé le texte d’Eugène Saccomano dans l’album Céline, paria et génie qui retrace la vie de l’écrivain ¹. Scorie déjà présente dans ses deux livres précédents sur Céline. Mais l’auteur prétextait alors avoir « pratiquement tout inventé » [sic] ², ce qui justifiait des erreurs qui n’en étaient pas à ses yeux. Prétexte inutilisable ici puisqu’il ne s’agit pas, cette fois, d’un roman. Cela étant, reconnaissons qu’il ne s’y trouve pas de bourde majeure. De toute façon, Saccomano n’aurait pu faire pire qu’en l’an 2000. Sur un plateau de télévision, il ne craignit pas alors d’affirmer ceci : « Ce qui est terrible, épouvantable et prémonitoire, c’est qu’il y a le mot “charnier” dans Bagatelles pour un massacre. » Quand on lui demanda de préciser ce que voulait signifier Céline, il enfonça le clou :« Tous les juifs doivent être jetés dans des charniers (!) » ³. C’était prendre à contresens une phrase dans laquelle le pamphlétaire évoquait le charnier des combattants français, conséquence d’une guerre qu’il voyait venir 4.
Plus léger : l’auteur se plaît à multiplier les passages lestes, allant même jusqu’à inventer des séquences de Mort à crédit qui n’y figurent pas (p. 10) 5 ou à faire dire à Évelyne Pollet des propos graveleux qu’elle n’a jamais tenus (p. 13).
En fait, cet album vaut surtout pour le travail de Philippe Lorin qui a su diversifier les approches graphiques grâce à une technique éprouvée. Cela nous vaut des aquarelles de toute beauté (la Medway, la forêt équatoriale, Central Park). La rigueur de certaines compositions (passage Choiseul, rue Lepic, route des Gardes), réalisées à partir de croquis faits sur place, nous rappelle que Lorin entreprit d’abord des études d’architecture. Et s’il n’égale pas le réalisme d’un José Correa dans ce domaine, ses portraits de Céline, faits eux aussi à partir de photographies, sont évocateurs. Images superbes enfin que le château de Sigmaringen sous la neige ou, dans un autre genre, le bombardement de Montmartre dessiné à l’encre de chine et rehaussé d’un pastel rouge sang. L’iconographie célinienne se trouve ainsi enrichie de belle façon.
• Eugène SACCOMANO et Philippe LORIN, Céline, paria et génie, Les Éditions de Paris / Max Chaleil, coll. « Beaux livres », 2016, 124 p.
- Relevons en tout de même quelques unes : Louis Destouches ne rencontra pas Joseph Garcin alors qu’il était à Londres pendant la première guerre mondiale mais vers 1929 à Paris (p. 20) ; le haut de la rue Lepic, où Céline emménagea la même année, n’est pas situé « à deux pas de Montmartre » [sic] : c’est l’artère la plus célèbre de la Butte (p. 38) ; il ne fit pas la connaissance d’Arletty au Conservatoire mais dans le salon de Josée Laval (p. 76) ; l’édition illustrée de Voyage par Gen Paul ne date pas de 1932 mais de 1942 (p. 48) ; Mort à crédit (35.000 exemplaires vendus dans un contexte économique difficile) ne fut pas un échec « retentissant » sur le plan commercial (p. 53) ; « Mlle de Chamarande » (personnage inspiré par Maud de Belleroche dans Nord), n’y est pas prénommée « Régine » (p. 92) ; etc. Plus irritant : Saccomano commet les mêmes erreurs dans les patronymes (Sheleman, La Roque, [Fondation] Rockfeller,…) que celles qui lui avaient été signalées à la parution de son Céline coupé en deux (cf. Le Bulletin célinien, n° 349, février 2013, p. 3).
- « Eugène Saccomano nous écrit », Le Bulletin célinien, n° 350, mars 2013, p. 23.
- Émission « La Culture aussi » animée par Daniela Lumbroso : « Céline et l’antisémitisme ». Avec Fr. Gibault, É. Saccomano et Ph. Alméras, LCI, 28 septembre 2000. [https://www.youtube.com/watch?v=06xvZwkHhp0&t=950s]
- Ce passage se trouve à la page 65 de l’édition « canadienne » des pamphlets, Écrits polémiques, Éditions Huit, 2012.
- Par exemple, ceci, pure invention de l’auteur : « “Avec les belles jambes musclées que tu as, tu devrais t’inscrire dans notre équipe de foot“, lui dit-elle [Nora Merrywin, ndlr] en laissant sa main s’égarer sous son short… ».