Philippe Alméras est du petit nombre de ceux qu’on appelle les « céliniens historiques ». Au mitan des années 60, il travaille sur Céline aux États-Unis (où il reprend ses études à 34 ans), soutient après quelques avatars une thèse de doctorat sur le style de l’écrivain ¹ et, de retour en France, devient l’un des fondateurs de la Société des Études céliniennes dont il sera le premier président. Il fut surtout l’un des rares à s’intéresser de près à l’idéologie célinienne, ce qui lui causera quelques ennuis outre-Atlantique où on le suspectera sottement de connivence. Revenu en France, ça ne s’arrange pas: nous serons quelques uns à regretter qu’il n’appréhende l’œuvre qu’à travers le prisme du racisme et qu’il porte sur l’auteur un regard totalisant dénué de toute ambivalence. Philippe Muray lui décernera le titre de « doyen de la Confrérie des célinophobes ». La biographie qu’Alméras publie l’année du centenaire y fut pour beaucoup. Henri Godard ne sera pas moins sévère: « Il n’y est question que d’un individu qui n’a jamais pensé qu’à propager son credo raciste, utilisant à l’occasion pour cela la voie indirecte ou camouflée du roman. » C’est pourtant grâce à Godard qu’Alméras décrochera la mention convoitée à l’issue de sa soutenance de thèse de doctorat d’État sur les idées de Céline ². Mais si le doctorant fit preuve d’une approche obnubilante de Céline, son admiration pour l’écrivain est réelle. Encore donne-t-il l’impression de n’admirer en lui que le génie verbal. C’est ne pas voir l’ampleur d’une œuvre qui ne se résume pas à la phobie du métissage. Il demeure qu’il fut l’un des rares chercheurs à analyser les tenants et aboutissants de cet antisémitisme, rappelant que le pamphlétaire ne scandalisa nullement la majorité de ses contemporains contrairement à ce qu’on en a dit ³.Né en 1930, Philippe Alméras est arrivé à un âge où l’on écrit ses mémoires. Dont acte. Un volume de près de 500 pages vient de paraître sous un titre flamboyant, Mémoire d’un siècle et de deux continents. On y voit que son existence fut bouleversée par la mort accidentelle de son père alors qu’il n’avait que sept ans. Nul doute que les épreuves qui s’ensuivirent forgèrent sa personnalité. Avant de devenir le docte universitaire que l’on connaît, Alméras navigua durant une décennie dans le journalisme. C’est peut-être à cette formation qu’il doit de s’exprimer de manière intelligible et carrée, aspects peu communs dans le monde universitaire. Figure controversée de la Célinie, Philippe Alméras aura écrit pas moins d’une demi-douzaine de livres sur le sujet. Il évoque à nouveau sa traversée célinienne dans cet ouvrage mais aussi ses autres travaux (l’Algérie post-coloniale, Pétain, de Gaulle, Montherlant 4 ,…) et les péripéties qui accompagnèrent la fondation du Centre d’études franco-américain créé voici quarante ans en Normandie. Cette vie passablement bousculée nous est contée sur un ton invariablement caustique. On ne s’étonnera donc pas que ses pairs célinistes soient traités de la sorte.
• Philippe ALMÉRAS, Mémoire d’un siècle et de deux continents, Les Éditions de Paris / Max Chaleil, 2016, 480 p. (19 €)
- L’évolution du langage romanesque de Louis-Ferdinand Céline, University of California [Santa Barbara], 1971.
- Les idées de Céline, Université de Paris VII, 1987. Du même auteur, voir Voyager avec Céline, Dualpha, coll. « Politiquement incorrect », 2003.
- Je suis le bouc. Céline et l’antisémitisme, Denoël, 2000.
- Parmi ses livres, généralement peu lus par les céliniens, citons Un Français nommé Pétain (1995), Journal noir de l’Algérie indépendante (2001), De Gaulle à Londres (2001), Vichy, Londres, Paris (2002).