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Vient de paraître

2015-12-BC-Cover

Sommaire : Semmelweis vu par Céline – Rebatet et Céline – Pol Vandromme parmi nous – Céline et Clémence Arlon – Deux adaptations théâtrales – André Blanchard

Lucien Rebatet

Il est toujours étrange de voir de belles consciences de gauche, résolument hostiles à la peine de mort, trouver légitime que des écrivains collaborateurs aient été fusillés et, mieux encore, estimer que certains eussent dû l’être. C’est à l’historien Pascal Ory, militant socialiste bon teint, que  l’on a  demandé d’écrire la préface de la réédition des Décombres de Lucien Rebatet. À cette occasion, il a rappelé que, dans son premier article paru il y a 40 ans, il estimait normal que Brasillach ait été exécuté ¹.  Doux  euphémisme si l’on en juge par sa déclaration de l’époque : « À la date du 6 février 1975, je suis prêt à signer un appel en faveur de l’abolition de la peine de mort ; mais à celle du 6 février 1945, au nom d’une certaine idée de l’intellectuel et du militant,  j’accepte de figurer parmi les douze hommes qui exécutèrent au petit matin  le condamné  Robert Brasillach,  dans la  cour  de la prison de Fresnes ³. » Notons que c’est à l’occasion du 30e anniversaire de sa mort que cette élégante déclaration fut formulée et passons sur le fait que ce spécialiste de la collaboration ignore que Brasillach a été fusillé au fort de Montrouge. Qu’un intellectuel puisse rétrospectivement se porter volontaire pour faire partie d’un peloton d’exécution laisse pantois…  Si on lui a demandé de rédiger la préface de la réédition des Décombres ³, c’est parce que Pierre Assouline, sollicité, a décliné la proposition, estimant qu’il eût été trop sévère pour l’auteur. Ce qui ne l’a naturellement pas empêché de l’être dans un article 4, affirmant que, pour ce brûlot et ses articles de Je suis partout, Rebatet  méritait « douze balles rouillées et tirées dans le dos ». Son blog, contrairement au mien, étant ouvert aux commentaires, cela a donné lieu à un  échange acidulé avec Henri Thyssens. Lequel l’a condensé de la sorte : « La fusillade dans le dos est réservée à ceux qui font “intelligence avec l’ennemi en temps de guerre”. On suppose que les balles rouillées font allusion à une justice trop lente à son gré. Le biographe talentueux de Simenon,  dont  la  devise était “comprendre et ne pas juger”, qu’il aurait pu faire sienne, se transforme en justicier implacable à l’occasion de la réédition du livre d’un auteur antisémite qu’il abhorre. Comme je lui en faisais le reproche, la réponse fut : « J’espère bien que cette phrase me sera comptée. Et tant  mieux  si  elle l’est déjà. » Cette haine recuite chez un intellectuel réputé modéré est navrante 5. » S’il m’arrive de déplorer chez mon compatriote des réactions à l’emporte-pièce, je ne puis qu’approuver ce commentaire. Soixante-dix ans après l’épuration, il serait temps en effet de porter un jugement dépassionné (ce qui n’exclut pas la lucidité) sur ces hommes qui, s’étant cru des révolutionnaires dans une période troublée 6, ont agi exactement de la même manière que certains de leurs prédécesseurs deux siècles auparavant.
  1. Julie Clarini, « Berl et Rebatet : convergence et confusion à Vichy » [propos recueillis de Pascal Ory et Henri Raczymow], Le Monde, 2 octobre 2015.
  2. Pascal Ory, « Apologie pour un meurtre », Le Monde, 6 février 1975. Cet article avait suscité la réaction de plusieurs intellectuels (dont Thierry Maulnier, Robert Aron et Dominique Jamet) publiée le 11 février dans ce quotidien.
  3. Bénédicte Vergez-Chaignon (éd.), « Le Dossier Rebatet » [Les Décombres ; L’Inédit de Clairvaux], Éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1152 p., préface de Pascal Ory..
  4. Pierre Assouline, « Lucien Rebatet exhumé des décombres », Le Magazine littéraire, n° 560, octobre 2015. Repris dans La République des livres, 12 octobre 2015 [http://larepubliquedeslivres.com/rebatet-exhume-des-decombres]
  5. Henri Thyssens, Robert Denoël, éditeur [http://thyssens.com/01chrono/chrono_2015.php]
  6. En témoigne éloquemment l’échange entre Céline et Lucien Combelle en décembre 1941 : « Il nous faut trouver des révolutionnaires ! », Le Bulletin célinien, n° 349, février 2013, pp. 12-13.

Vient de paraître

2015-11-BC-Cover

Sommaire : Bloc-notes – Entretien avec Christophe Malavoy – Inédit (1950) : Cousteau et Rebatet jugent Céline – Les mystères de Londres – Un lérot mordicant.

François Gibault

Pour le premier tome de Libera me, François Gibault fut invité à une émission télévisée à forte audience. Sa réputation le devançant, on lui demanda d’entrée de jeu s’il était bien de droite, et même d’extrême droite. Il se récria et affirma qu’il était plutôt du centre, qu’il ne s’était jamais mêlé de politique, etc. Dans le second volume, il montre un peu le bout de l’oreille en révélant ses sympathies passées pour l’O.A.S. (il évoque avec humour des réunions clandestines chez Jacques Laurent, antigaulliste de toujours) et confie qu’il manifesta le 7 novembre 1956 contre l’intervention soviétique en Hongrie. Le point culminant de cette manif fut la mise à sac  et  l’incendie du siège du Parti communiste français. Aujourd’hui il traite ses engagements d’antan avec désinvolture et affiche des sympathies que l’homme qu’il était à trente ans verrait sans doute avec étonnement. Nul doute qu’il lui sera beaucoup pardonné pour ses lignes bouleversantes sur la fin du lieutenant Degueldre. D’autant qu’il ne se ménage pas. Confessant sa vanité, il se voit en « faux modeste mais vrai snob ». Son  rêve ? Entrer à l’Académie française. Honneur qui lui est définitivement refusé en raison de  la limite d’âge  décrétée il y a une  dizaine d’années. Notons qu’avec un tel règlement, ni Marguerite Yourcenar, ni Paul Morand, ni Georges Dumézil, ni Léopold Sédar Senghor (pour ne citer qu’eux) n’eussent été élus.

Avec les années, François Gibault a atteint une sorte de sagesse qui lui permet de s’observer avec recul — lui et  ses contemporains.  En  témoignent  quelques  unes  de  ses réflexions qui sont autant d’aphorismes : « Le principal avantage des idées que l’on a, c’est que l’on peut en changer, hormis quand elles ont le défaut d’être fixes. » Ou celle-ci qui s’en approche : « Il faudrait changer de vie tous les matins pour ne pas sombrer dans le renouvellement quotidien des pratiques et des idées, pour que les réflexes ne supplantent pas les réflexions, pour rester maître de soi et pour ne pas faire comme le chien de Pavlov. » Naturellement, il  est  souvent question de Céline et des gens qui s’y sont intéressés. Ainsi il rappelle que celui-ci n’est en rien responsable de la fin tragique de Desnos et révèle que sa compagne Youki était venue s’en expliquer à Meudon : « Je sais que ce n’est pas à cause de vous qu’il a été déporté ». Belle page sur Maurice Ronet qui a longtemps nourri le projet d’adapter au cinéma La vie et l’œuvre de Philippe Ignace Semmelweis : « Cet homme au charme inouï m’a enchanté par son esprit ouvert et par son aversion profonde pour l’intolérance ». Sur le docteur André Willemin, familier de Céline à la fin de sa vie : « Il exigeait qu’on le prenne tel qu’il était, avec des idées sur tout qui n’étaient jamais celles de tout le monde et  un  formidable mépris des conventions et des bons usages. » On sait que François Löchen avait demandé à Gibault de prononcer le discours d’adieu à ses obsèques. Le fils et la fille souhaitaient que le nom de Céline ne fût pas prononcé (!) : « Je suis évidemment passé outre en rappelant que le pasteur Löchen  avait  agi  avec Céline en chrétien. ».  À propos de son activité à la présidence de la Société d’études céliniennes : « Bien avec tout le monde, je tempère, je modère, je temporise, je mets de l’eau dans le vin, je rassure, je concilie, sans juger ni condamner personne, mais je n’en pense pas moins. » Ce serait pourtant drôle qu’un jour, il dise ce qu’il pense vraiment des « crabes qui entourent »  ladite  société.  Ce n’est pas pour demain.  Juriste dans l’âme, François Gibault tient à ménager les uns et les autres. Encore une preuve de sagesse…

• François GIBAULT, Libera me (Suite et fin), Gallimard, 2015, 293 p. (19,50)

Vient de paraître

2015-10-BC-Cover

Sommaire : Bloc-notes – Une lettre de candidature de Céline à la mairie de Versailles (1927) – D’un exode l’autre (les souvenirs de Thérèse Héritier) – Céline dans L’Illustré national – Céline contre Chronos.

Céline cuirassier

Il y a trente-quatre ans, je publiais dans La Revue célinienne un article d’un jeune chercheur, Daniel Bordet (qu’est-il devenu ?) : « Fin d’une autre légende. Céline  n’a  jamais  fait  la une de L’Illustré national. » ¹.  À l’époque,  aucun célinien n’avait eu en mains le numéro aujourd’hui  centenaire  de  cette revue  éditée par Tallandier. Certains furent abusés par le montage réalisé par le père de Louis Destouches ². Dans la première édition de sa bibliographie célinienne, parue quelques années auparavant, Jean-Pierre Dauphin indiquait que ce dessin avait paru en première page et le datait de décembre 1914 alors qu’il parut près d’un an plus tard, en novembre 1915 ³. C’est que la collection de cette revue n’était alors consultable ni à la Bibliothèque nationale, ni à la  Bibliothèque de l’Arsenal, ni même chez l’éditeur.

Odile Roynette, spécialiste de la Grande Guerre, revient dans un livre savant sur cet épisode glorieux de la vie de Céline et les répercussions qu’il eut dans la formation de sa personnalité. Il y est question de L’Illustré National (voir pp. 7-12) mais aussi de son engagement dans l’armée, de sa convalescence, du séjour en Afrique, et de l’impact de la guerre dans les pamphlets, puis dans sa défense lorsqu’il sera mis en accusation par la justice de son pays.

À la suite de Gaël Richard 4, mais à la différence des biographes même récents, elle précise que Louis Destouches n’a pas été blessé le 27 octobre 1914  mais  deux jours plus tôt,  le (dimanche) 25.  Et cela se serait passé « sur le champ de bataille d’Ypres, à une dizaine de kilomètres au nord-est de cette ville, à proximité de la commune de Poelkapelle. » En mai 1915, il est affecté, comme on sait, au  consulat général de France à Londres : « Une année a suffi pour que le jeune cavalier blessé dans les Flandres  retrouvât non seulement l’usage de son bras, mais sa pleine et entière liberté. Au plus fort de la tourmente, (…) Destouches, venu s’embusquer [sic] au Consulat français de Londres, parvenait à sortir de la nuit. »

Odile Roynette l’assure : Destouches, « opportuniste et adroit tacticien » [resic], eut bien de la veine. Vivant d’abord de manière très atténuée les brutalités de la vie de caserne, il subit, durant les premiers mois de la guerre, une blessure qui, pour être sérieuse, n’est pas grave. Ensuite il bénéficie de protections efficaces grâce auxquelles il quitte la zone de front pour le Val-de-Grâce et des hôpitaux annexes de Paris et sa banlieue. L’année suivante, à Londres, on lui accorde une réforme, dite n° 2, qui le dégage définitivement de toute obligation militaire. Décision  médicale  jugée « plus que complaisante » par l’auteur.

Cerise sur le gâteau : en 1939, il devint « réformé n° 1 », ce qui lui procure, outre quelques menus avantages matériels, le statut de mutilé ayant acquitté pour la nation l’impôt du sang. Honneur dont il se prévaut avec succès pour sa candidature à un humble poste de médecin dans la banlieue rouge. … Fortuné Ferdine !

• Odile ROYNETTE, Un long tourment. Louis-Ferdinand Céline entre deux guerres (1914-1945), Les Belles lettres, 2015.

  1. On l’aura compris : ce titre, choisi par la rédaction, était un clin d’œil à l’article de Jean A. Ducourneau, « C’est la fin d’une légende. Céline n’a jamais été trépané » paru le 17 octobre 1966 dans le Figaro littéraire.
  2. Fernand Destouches avait ajouté par collage le titre du journal (pris à la première page du numéro) ainsi qu’une photographie du cuirassier Destouches en médaillon.
  3. Jean-Pierre Dauphin, Essai de bibliographie des études en langue française consacrées à Louis-Ferdinand Céline, tome I : 1914-1944, Lettres Modernes-Minard, coll. « Calepins de bibliographie », n° 6, 1977, p. [10]. Il indiquait, par ailleurs, « n° 16 » alors qu’il s’agit, en réalité, de la page 16 du n° 52.
  4. Gaël Richard, « Le cuirassier blessé et ses médecins », L’Année Céline 2009, p. 190.