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Vient de paraître

2015-05-BC-Cover

En couverture : « Les Amis de la Butte » par Ralph Soupault

 Au sommaire : À bord et à bâbord de la « Malamoa ». Roger Vailland et Céline (Éric Mazet) ; De Vailland à Céline (Pierre de Boisdeffre) ; MRAP : haro sur les médias, 1959-1963 (Marc Laudelout) ; Les lectures vagabondes de Thomas Morales (Alexandre Le Dinh), etc.

Vailland / Céline

Deux poids, deux mesures. En 2011, Céline fut éjecté des Commémorations nationales alors qu’il y avait été admis pour le cinquantenaire de sa mort. Cette année, Roger Vailland y est accueilli pour la même raison (il est décédé en 1965) sans que cela ne suscite naturellement le moindre émoi. Cerise sur le gâteau : dans le programme des « Célébrations nationales 2015 »,  il  est présenté par l’ineffable Alain Paucard qui, depuis des décennies, nous inflige sa cordiale détestation de Céline. Vailland lui-même le détestait au point d’avoir voulu l’assassiner, avec ses amis résistants, en 1943 ¹. Sans doute est-il vain de comparer ces deux écrivains que tout opposait. Pendant des années, Vailland écrivit ses romans sous le portrait de Staline et ne rompit avec le Parti qu’à la fin des années cinquante. Encore regrettait-il ses prises de distance (« J’ai trahi les camarades », se lamente-t-il après avoir protesté contre l’invasion soviétique en Hongrie). Et, à la fin de sa vie, il avait l’intention, dixit son épouse, de reprendre sa carte. Il est nonobstant dans le camp du bien.
Céline, qui n’était pas sans défauts, mettait un point d’honneur à ne jamais être rétribué pour les lettres-articles qu’il adressait aux journaux. Vailland, lui, était payé par Moscou, La Tribune des Nations à laquelle il collaborait étant directement financée par les Soviétiques à travers son directeur, André Ulmann, agent d’influence reconnu. Vétilles que tout cela dès lors qu’on parle de littérature.  Vailland n’était pas dépourvu de talent mais de discernement. Sur Céline, il n’a jamais varié. En 1949, il dresse un index des écrivains qu’il déconseille. Motif : « Leur œuvre (et leur langue) nous est devenue aussi étrangère que celle des écrivains galants du début du XVIIe siècle » ². Parmi eux : Céline rejeté pour cause de « fuite dans la logolalie » [sic]. Rien de surprenant :  en matière de narration, Vailland se réclamait essentiellement d’Hemingway et se désintéressait d’écrivains ayant chamboulé l’écriture de son temps. L’année suivante, dans son article « Nous n’épargnerions plus Louis-Ferdinand Céline », il fait sienne l’appréciation d’un de ses amis : « Les points de suspension entre lesquels se délient ses phrases,  c’est la définition même d’un style en décomposition ³» Vailland renchérit à propos de Casse-pipe qui venait de paraître : « C’est du très mauvais Céline ». Même jugement méprisant lorsque l’hebdomadaire Arts lui demande son avis sur D’un château l’autre 4. Quelques mois avant sa mort, il récidive : « Je n’ai pas une admiration sans borne pour son talent. Ces points de suspension ! Mais Voyage au bout de la nuit est un grand livre 5. »

À l’instar de plusieurs écrivains de son temps, il était donc passé à côté de ce chef-d’œuvre qu’est Mort à crédit. Il se retrouvait ainsi sur la même ligne, horresco referens, qu’un Alain Laubreaux 6 qu’il voulait liquider, lui aussi, en 1943.

  1. Témoignage de Vailland mis en cause par l’un de ses camarades de la Résistance qui l’a qualifié de « mélange de forfanteries, d’erreurs, de fausses assertions, affligé par surcroît d’un style indigne de l’auteur qui, à mon avis, n’était pas dans son état normal lorsqu’il bâcla son pensum. » (Jacques-Francis Rolland, « Roger Vailland l’affabulateur », Le Bulletin célinien, n° 313, novembre 2009, pp. 4-8).
  2. La Tribune des nations, 30 décembre 1949.
  3. La Tribune des nations, 13 janvier 1950.
  4. Arts, 19-25 juin 1957.
  5. Le Nouvel Observateur, 25 février 1965. Voir en page 9 la suite de ce commentaire.
  6. « Pourquoi Céline s’obstine-t-il à se servir d’un style exécrable (…) rempli de procédés bassement littéraires ? » (La Dépêche de Toulouse, 9 juin 1936). Brasillach, ancien camarade de khâgne de Vailland, n’était pas davantage enthousiaste : « De tels livres, qui seront incompréhensibles dans vingt ans, me paraissent le contraire même de l’art. » (L’Action française, 11 juin 1936).

Vient de paraître

En couverture : caricature de Vincent Carrier, « Céline. Une drôle de fiole », paru en mai 1951 dans l’organe du MRAP, Droit et Liberté.

Au sommaire : Lettres de Céline au Docteur Félix Gentil ; 1950-51, le MRAP ne désarme pas ; Une lettre de Michel Lécureur ; Une exposition sur la Collaboration ; Céline en Afrique ; etc.

Exposition

Tout célinien devient par la force des choses fin connaisseur de l’Occupation, Céline ayant eu partie liée avec cette sombre période. D’autant que, bon gré mal gré, il accompagna le régime de Vichy dans sa chute. C’est pour cela que  les  nouvelles  générations  éprouvent  quelques difficultés  à  appréhender un livre comme D’un château l’autre, les noms de Laval, Brinon, Doriot et Déat leur étant peu familiers, voire totalement inconnus.

L’exposition sur la Collaboration, qui s’est tenue récemment à Paris  se  voulait  essentiellement pédagogique ¹. Les différents aspects étaient d’autant mieux traités que pas moins de quatre commissaires scientifiques furent requis à la tâche. Bien entendu, Céline y eut sa place. Y compris dans l’imposant catalogue édité à cette occasion ². Deux pages du manuscrit des Beaux draps – préempté par la Bibliothèque Nationale en 1977 – y sont reproduites. Ainsi qu’une lettre inédite à Lucien Rebatet présentée comme une réponse à l’envoi des Décombres. Grossière erreur : cette lettre-là figure déjà dans la plaquette éditée par Gallimard ³. Il s’agit, en réalité, d’une réponse à l’envoi des Tribus du cinéma et du théâtre publié l’année précédente par Denoël. La confusion n’est pas possible puisque Céline, qui n’était pas encore familier avec Rebatet, le vouvoie et évoque un « petit livre » — ce qui n’est assurément pas le cas du pavé de plus de 600 pages lancé durant l’été 1942 4. À  propos  de  Céline,  les auteurs notent que « son antisémitisme est imbriqué dans son racisme » et que « l’élimination des Juifs devient la condition d’un redressement national qui passe par la race ». Épuration n’étant pas synonyme d’extermination, il aurait fallu préciser que « ses pamphlets ne présentent pas d’appel au meurtre explicite » (Tettamanzi) et que « les mesures qu’il préconise contre les juifs se suffisent à elles-mêmes, sans qu’on aille jusqu’à lui prêter une idée ou un désir d’extermination » (Godard).

Tel quel, ce catalogue vaut surtout pour sa foisonnante iconographie constituée de photographies et d’autres documents divers, dont une lettre de Brasillach au même Rebatet, lors de la rupture de 1943. Toutes ces pièces ont attiré un large public, témoignant de la fascination qu’exerce, encore et toujours, cette période historique. Laquelle ne cesse, par ailleurs, d’inspirer écrivains et cinéastes depuis plus d’un demi-siècle.

 

  1. Exposition « La Collaboration, 1940-1945 » organisée, du 26 novembre 2014 au 2 mars 2015, par les Archives nationales à l’Hôtel de Soubise, à Paris.
  2. Thomas Fontaine & Denis Peschanski, La Collaboration [Vichy Paris Berlin], 1940-1945, Éditions Tallandier (en coédition avec les Archives nationales et le Ministère de la Défense), 2014, 320 p. Évoquant les opuscules antisémites parus durant cette période, un célinien bien-pensant, journaliste dans la presse satirique, conclut son article en précisant (sans aucun lien logique) « qu’Éric Zemmour ferait bien de [les] consulter avant de s’engager plus avant dans ses réhabilitations délirantes» [sic]. Or, contrairement à ce qui s’est écrit, Zemmour n’a aucunement eu l’intention de “réhabiliter” le régime de Vichy en rappelant que les juifs français furent proportionnellement moins déportés que leurs coreligionnaires hollandais ou belges et ce en raison de la volonté de Vichy (nonobstant les discriminations dont ils étaient victimes) de sauver, peu ou prou, ses « juifs nationaux ». C’est en tout cas ce qu’affirmait notamment l’historien Léon Poliakov, peu suspect de mansuétude envers Pétain.
  3. Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Lucien Rebatet (préface de Nicolas d’Estienne d’Orves), Gallimard, 2005, 30 p.
  4. Texte de cette lettre (la date, s’il y en a une, n’apparaît pas sur le fac-similé du document) : « Cher Confrère. Je me suis jeté, vous l’imaginez, sur votre vitriolique petit livre, pour mon délice et mon édification sadique. Comme tout cela est beau, total, surabondant de perfection infectieuse ! Il est impossible qu’un tel organisme s’en relève. Il doit tout crever d’abord et renaître s’il peut, s’il se peut. Et je doute… À vous bien amicalement. L.-F. Céline »

Cinéma

Céline au cinéma ? Bien des réalisateurs, qui rêvaient d’adapter Voyage au bout de la nuit, s’y sont cassé les dents. De Michel Audiard à Sergio Leone en passant par Claude Autant-Lara, Milos Forman, François Dupeyron et tant d’autres ¹. Et c’est sans doute mieux ainsi car on peut raisonnablement penser qu’une adaptation cinématographique serait très en deçà du roman.

Restent des projets moins téméraires. Jean-François Stévenin a longtemps rêvé d’adapter Nord, avant de se rabattre sur un projet qui s’appellerait La Lucie, rencontre entre un personnage improbable et la veuve de Céline.  Emmanuel Finkiel, lui, caresse le projet d’une adaptation d’Un Château l’autre. Son parcours n’est pas insignifiant puisqu’il fut l’assistant réalisateur de Kieślowski pour la trilogie Bleu, Blanc, et Rouge. Et l’on connaît l’ardent désir de Christophe Malavoy de réaliser un film (qui mêlerait fiction et animation) sur la vie de Céline entre juin 1944 et la fin de la guerre.

En attendant l’aboutissement (ou pas) de ces différents projets, on pourra voir sur le petit écran La Fête est finie, adaptation du témoignage de Milton Hindus, avec comme distribution Denis Lavant (Céline), Philip Desmeules (Hindus) et Géraldine Pailhas (Lucette). Ce film est actuellement tourné par Emmanuel Bourdieu, fils cadet du fameux sociologue, qui est notamment l’auteur d’un film sur (ou plutôt contre) Édouard Drumont (2013).

Le pire est à craindre si l’on en juge par le synopsis : « Au contact de lincroyable sauvagerie [sic] intellectuelle et humaine de Céline, la belle aventure spirituelle que Hindus avait rêvée va très vite tourner au cauchemar : il ne ramènera pas en Amérique le beau livre sublime et lumineux quil avait conçu dans labstrait, mais, après de longues hésitations, un livre tourmenté, fragmentaire, moins beau que douloureusement vrai. Et, tandis quil renoncera pour toujours à la littérature au profit de lenseignement, Céline, sauvé par lui, rentrera en France, pour y retrouver sa place de grand écrivain provocateur. »

Céline sauvé par Hindus ? L’assertion ne manque pas de sel : faire paraître un livre vengeur un mois avant le procès était tout sauf un acte salvateur. « Je publie ce livre parce qu’il constitue, après dix ans, une réponse à la polémique que Céline a livrée à ma race », écrit-il de manière explicite. Mais il ne s’agissait alors que de la version anglaise publiée à New York. Le pire fut évité : la traduction de son témoignage à charge (« Trois semaines avec Céline ») parut…  48 heures après le jugement en Cour de justice. Un céliniste, qui a bien étudié le dossier, le synthétisait en une phrase : « Sous le masque  faussement  amical  de  l’intellectuel épris de tolérance, le jeune Hindus se  comportait  en  délateur  animé par des intérêts personnels ³. »  Soixante-cinq  ans plus tard, il a le beau rôle dans un film  tourné (pitié !) en Belgique.

Produit par Jacques Kirsner, ce film a d’ores et déjà été acheté par la chaîne publique française, ainsi que par Canal Plus.

 

  1. Sur ce thème, il faut se reporter à l’article d’Émile Brami, « Céline et le cinéma. Première partie : Les tentatives d’adaptation » & Deuxième partie : L’adaptation impossible » in Études céliniennes, n° 4, hiver 2008, pp. 41-53 & n° 6, hiver 2010-2011, pp. 73-84. Plus spécifiquement, sur le projet de Michel Audiard, voir Sylvain Perret, « Voyage au bout de la nuit : le tournage impossible  » in Schnock, n° 13, hiver 2014.
  2. Milton Hindus, The Crippled Giant. A Bizarre Adventure in Contemporary Letters (« Le géant mutilé. Une étrange aventure des lettres contemporaines »), Boar’s Head Books [New York], 1950. Traduit l’année suivante en français.
  3. [Éric Mazet], « L’affaire Hindus » in Éric Mazet & Pierre Pécastaing, Images d’exil. Louis-Ferdinand Céline, 1945-1951 (Copenhague-Korsør), Du Lérot & La Sirène, 2004, pp. 318-330.

Jean Cabut

Jean Cabut, dit « Cabu », n’aimait pas Céline. Il le représentait en personnage haineux ou en nazi. ll l’a d’ailleurs très peu souvent caricaturé et, comme le raconte David Alliot, dut se faire violence pour fournir un dessin destiné à une monographie célinienne.  Il  éprouvait, en revanche, une  vive  admiration pour Charles Trenet. Le fait que celui-ci ait flirté avec le pétainisme (au point de composer en 1942 un hymne pour les Chantiers de la jeunesse) n’entamait en rien sa ferveur pour le « fou chantant ». Il avait raison. Il faut dissocier talent et idéologie. Aragon, stalinien répulsif, était tout sauf un écrivain médiocre (je viens de relire La Semaine sainte, formidable roman historique). Et Cabu, soixante-huitard attardé, avait un talent prodigieux.

Certains lecteurs s’étonneront pourtant qu’on rende ici hommage au pourfendeur des « franchouillards » issus de cette classe moyenne exaltée par Céline, comme le rappelait pertinemment Pierre Monnier : « Son attachement à la petite-bourgeoisie est beaucoup plus qu’une fidélité naturelle à ses origines. Céline le sait : l’homme né mauvais ne peut être sauvé que par son enchaînement à des valeurs simples, apprises péniblement, au prix d’efforts considérables. C’est dans les milieux humbles, où s’exerce la solidarité familiale, où se transmettent des traditions exigeantes, qu’il discerne les seules chances de survie et de progrès pour l’homme,  voué  au malheur  par  ses  misérables instincts ¹. » De quoi susciter le ricanement des rédacteurs de Charlie Hebdo qui, par ailleurs, abhorrent ce qui est typiquement français. Beaucoup d’entre eux sont nonobstant bluffés par Céline. Ce fut le cas de François Cavanna qui échappa au carnage en passant l’arme à gauche il y a un an.  Dès qu’il s’agit d’appréciations littéraires, ces clivages n’ont guère de sens. Ainsi, Dominique Jamet, journaliste de droite, déplore la mansuétude dont ces libertaires font preuve à l’égard de Céline : « Est-ce grâce au vieux fond de sauce antimilitariste, anticapitaliste, anarchiste, nihiliste dans lequel baigne la rance cuisine célinienne ? Les délires racistes et orduriers de l’auteur du Voyage, excusés, voire sanctifiés par la folie et le génie qu’on lui prête généralement et généreusement, trouvent grâce aux yeux des antifascistes les plus exigeants ²» (Observons au passage que l’adjectif « nauséabond », qui fit florès durant la précédente décennie, fait désormais place au vocable « rance » pour  qualifier les écrivains maudits.)  Mais  qu’en aurait  pensé  Claude Jamet, père du susdit, qui écrivit en 1944  un admirable article sur l’art poétique célinien ³ ?

Parangon de cette indulgence coupable tancée par Jamet fils : son confrère Philippe Lançon, rescapé de la tuerie du 7 janvier, qui écrivait ceci quelques jours auparavant : « Céline fait peuple, mais c’est une illusion. N’importe lequel des entretiens télé qu’il a donné avant sa mort, faisait sentir ce qu’il y avait en lui d’aristochat, mi-manipulateur mi-cabotin : c’est le teigneux Mozart-sur-Seine,  très chic en ses haillons 4»

C’est la force de l’écrivain qui trouve des admirateurs dans tous les camps, gauche, droite, intellos et prolos confondus. Avec Paul Jamin (qui signait « Jam », puis « Alidor » et qui était du bord opposé), Jean Cabut restera comme l’un des plus grands caricaturistes de l’époque. N’en déplaise aux esprits obtus.

  1. Pierre Monnier, Ferdinand furieux, L’Âge d’Homme, coll. « Lettera », 1979.
  2. Dominique Jamet, « Le Houellebecq nouveau : est-ce de l’art, est-ce du cochon ? », Boulevard Voltaire, 4 janvier 2015 [http://www.bvoltaire.fr]
  3. Claude Jamet, « Préliminaires à l’esthétique de L.-F. Céline », Révolution nationale, 25 mars 1944.
  4. Philippe Lançon, « Denis Lavant, Céline entre les lignes », Libération, 13-14 décembre 2014.