Évelyne Pollet est décédée, centenaire, le 10 février dernier. Je l’ai appris tout récemment, alors même que sa disparition fut annoncée dans le Journal télévisé belge. On imagine bien pourtant qu’on y fit plus de place au dramaturge Arthur Miller, mort le même jour.
Son amour impossible pour Céline fut la grande affaire de sa vie, et même au-delà, puisque si l’on s’intéresse aujourd’hui à elle, c’est précisément en raison de cette relation qu’elle évoqua, de manière romancée, dans un livre connu de tous les céliniens ¹.
À plusieurs reprises, je lui rendis visite dans son petit appartement de Boitsfort, commune verdoyante de Bruxelles. La flamme avec laquelle cette alerte octogénaire évoquait son grand homme m’étonnait à chaque fois. C’est qu’elle l’aimait manifestement toujours d’une manière intense. « Les yeux de cet homme dur avaient une extraordinaire expression de langueur, de confiance, d’appel. » Belle phrase extraite de ce roman, dont elle commença la rédaction après une rupture douloureuse. On retiendra aussi ce portrait pénétrant : « Céline était un homme secret ; mais il irradiait une ambiance qui dispersait les mensonges, tuait le simulacre. Avec lui, on cessait de tenir la vie à bout de bras, pour la regarder de près. Il était tout le temps à l’affût de la vie. Il était la vie elle-même ».
C’est avec une sorte de résignation souriante qu’elle accueillait les visiteurs, toujours un peu désappointée qu’on s’intéressât à elle à travers Céline et non pour elle-même. L’amertume était bien présente aussi lorsqu’elle évoquait sa carrière littéraire « ratée » qu’elle comparait à celle de sa belle-sœur, Marie Gevers, qui avait, selon elle, l’entregent qui lui faisait défaut.
J’aimais son franc-parler qui lui faisait affirmer ceci : « Je ne dirai jamais assez qu’en écrivant ses pamphlets, Céline avait l’impression très forte de commettre un acte dangereux et qui lui attirerait mille ennuis, au lieu de s’abaisser à une lâcheté, comme tout le monde le lui reproche ». Ce qui ne l’empêchait pas de préciser : « Je n’aimais pas ces pamphlets. Ils me semblaient excessifs, un peu enfantins, et me décevaient pour tout dire » ² .
Évelyne était assurément un personnage. Forte et écorchée vive à la fois, rude dans certains de ses jugements et si sensible en même temps, marquée à jamais par la mort prématurée de son fils, le comédien Ivan Dominique, qu’elle a mis tant d’années à rejoindre.
- Escaliers [Bruxelles], La Renaissance du Livre, 1956, 202 p.
- Lettres du 11 juillet et du 7 août 1976 à Henri Thyssens. Extraits cités dans le catalogue Tout Céline [Liège], n° 14, juin 1982, pp. [4]-[5].