Lucette

Lucette Destouches s’est éteinte à 107 ans dans la nuit du 7 au 8 novembre. Le 14, elle a été inhumée au vieux cimetière de Meudon dans la plus stricte intimité. Véronique Robert et François Gibault conduisaient le deuil, entourés, comme Lucette l’avait souhaité, d’un petit groupe d’intimes, dont Sergine Le Bannier, Frédéric et Nicole Vitoux, Dominique Charnay, Antoine Gallimard et quelques autres amis. François Gibault, qui fut son conseil et confident pendant un demi-siècle, prononça une émouvante allocution dont voici un extrait :

« Nous sommes avec toi Lucette, à l’instant où, pour l’éternité, tu rejoins Céline, l’homme que tu as tant aimé, admiré, aidé, secouru, les beaux jours comme au temps des pires épreuves, l’un des plus grands, sinon le plus grand écrivain français du siècle passé. Tu l’as protégé, défendu de son vivant comme depuis sa mort en 1961, parfois dans des conditions très difficiles pour ne pas dire dramatiques, avec une intelligence, un courage, une constance, qui ont fait l’admiration de tous. Tu as illuminé la vie de Céline comme tu as illuminé les nôtres, admirable en toutes circonstances et, pendant toutes ces dernières années, luttant contre le grand âge, le très grand âge, avec une force d’âme, avec un optimisme, une énergie hors du commun, mais aussi sereinement, pour ne pas dire joyeusement, comme en toutes les autres circonstances de ta vie, y compris les plus tragiques, nous donnant à tous une formidable leçon d’optimisme, de courage et de dignité. »

Mais celui  qui lui a dressé le plus bel hommage est Céline lui-même. Certes  il n’était pas tous les jours facile à vivre. Et il savait bien qu’il pouvait être parfois très dur, pour s’en repentir ensuite, comme il le fit avec sa mère  qu’il rudoya plus d’une fois.  En témoigne ce chef-d’œuvre si peu lu qu’est Féerie pour une autre fois. Y abondent aussi les éloges à celle qui jamais ne l’abandonna : « J’ai été pris par les ennuis, la vie courante, le petit bonheur, le bien et le pire… Pour Lili j’ai eu de la veine. » C’est le moins qu’il pouvait écrire…  L’imagine-t-on au Danemark sans elle ?  Nul doute que l’exil eût été encore plus cruel. Bien sûr, il arriva à Lucette d’affabuler, se mettant au diapason de son romancier de mari. Ainsi disait-elle aux journalistes que Céline avait une balle dans la tête ou qu’il fut  enchaîné  dans sa cellule,  se faisant ainsi l’écho de la légende célinienne.

Elle lui aura survécu pendant près de soixante ans. Durant les dernières années, nombreuses furent les personnalités qui vinrent la voir : Audiard, Mouloudji, Aznavour, Moustaki et tant d’autres. Tous furent séduits par sa gentillesse et sa bonne humeur. Il n’est que juste, à l’occasion de sa disparition, de lui consacrer ce numéro. D’autant que  Céline en fit un personnage  qui apparaît  dans tous les romans  de l’après-guerre. Longue vie que celle de Lucie Almansor… Reçue à quinze ans au Conservatoire de danse et de comédie, elle remporta, l’année de parution de Voyage au bout de la nuit, le premier accessit du concours. Admise dans le corps de ballet de l’Opéra-Comique, elle en donna assez rapidement sa démission, écœurée par les intrigues qui s’y multipliaient. Elle partit alors en Amérique où elle dansa notamment à Broadway. C’est à son retour que Céline fit sa connaissance au cours de danse de Blanche d’Alessandri. On connaît la suite qui aboutit, après bien des épreuves, à ce constat sans fard : « Je l’aime Lili je l’aime comme personne mais j’y ai brisé la vie… Elle a fait des prouesses pour moi de dévouement, de dévotion, je valais pas ! »