Nicolas Bonnal

C’est un original à la fois très cultivé et un peu déviant. Pas un spécialiste de Céline mais qui l’a lu de près. L’ouvrage est conçu comme un recueil d’une trentaine de textes assez courts sur des thèmes aussi variés que « Céline et l’hégémonie culturelle », « Céline et Jérôme Bosch », « Céline et la rage pacifiste », « Céline et la métapolitique familiale », « Céline et le retour du paganisme », etc.  L’originalité du livre est de laisser en priorité la parole à l’écrivain grâce à de nombreuses citations commentées de l’œuvre. Voici comment l’auteur présente lui-même son livre : « On ne prétend pas refaire la morale, ni au bombardier Céline ni au lecteur. On insiste sur la force du rire, la rage chaude de l’expression et on cherche à expliquer ce siècle incompris né de la Grande Guerre et de ses tranchées. »Si ce livre ravira des céliniens, gageons qu’il en hérissera d’autres. Lesquels seront inévitablement heurtés par certaines vues audacieuses : « Céline défend dans Les Beaux draps une vision sensible et enchantée du monde. Curieusement on trouve la même chez Alexis Carrel sans savoir si le grand savant, aujourd’hui déshonoré mais alors prix Nobel et ami des Roosevelt, l’a inspiré. »

Le livre s’ouvre par la relation d’une rencontre bouleversante avec Simone Gallimard alors frappée par le cancer. Directrice du Mercure de France, elle édita la première grande biographie de Céline : « Elle l’adorait. Ce fut un aveu rapide et brutal. Il me marqua beaucoup. Mais Gaston [son beau-père, ndlr] ne le lui présenta jamais. Un regret pour elle. » À Nicolas Bonnal elle exprima le souhait qu’il écrivît un  livre sur Céline. Mais celui-ci n’accrocha pas tout de suite. Déçu par Casse-pipe, le reste de l’œuvre le laissa interdit : « Tous ces points de ponctuation et ce style hoquetant ». La révélation eut lieu en Afrique du Sud où il lit Voyage au bout de la nuit alors qu’il subit une dépression carabinée : « L’Afrique américanisée sur fond de système croulant avec des blancs aussi inertes et abrutis (tout en étant fascisés partout) que ceux décrits par Céline, tout cela m’acheva. Mais j’avais enfin lu le Voyage et compris que la vérité de ce monde c’est la mort. C’est dur à vingt-six ans. Le rire venait des pamphlets, la tragédie des romans, donc de la réalité. ».

Écrit à la hussarde, le livre ne s’embarrasse pas de références (ni d’italiques pour les titres des œuvres). On cite Céline à l’envi sans jamais indiquer la source. Pas la peine, doit se dire l’auteur  : les passionnés identifieront sans problème. Limite du livre : n’étant pas un spécialiste de Céline, l’auteur a tendance à avaliser certaines allégations erronées, dont celles de  Lucette qui, pour dédouaner son mari, affirma jadis que Les Beaux draps furent écrits en 1939 et publiés l’année suivante. C’est néanmoins un livre pour céliniens fervents, ceux qui adhèrent à la plupart des préoccupations de l’écrivain. Mais c’est aussi un livre destiné aux béotiens qui souhaitent en savoir plus sur un écrivain qui fait l’objet d’attaques redoublées plus d’un demi-siècle après sa disparition. Bonnal passe toutes les thématiques céliniennes en revue et les commente par des phrases courtes et définitives qui s’apparentent à des crochets du droit. On ne souscrit pas nécessairement à l’intégralité de l’exégèse mais on ne peut qu’applaudir l’auguste qui excelle, nonobstant quelques approximations, à mettre en valeur le chef du grand Guignol’s band.

• Nicolas BONNAL, Louis-Ferdinand Céline. La colère et les mots, Avatar Éditions, coll. « Fahrenheit 451 », 2017, 323 pages, nombreuses photographies de Céline.