Vient de paraître

Sommaire : Jean Fontenoy et Céline – Bibliographie : les témoignages – Les souvenirs du cuirassier Pavard

Billevesées

Inénarrable Benoît-Jeannin ! Dans un article sur les manuscrits retrouvés, il revient sur son admiration passée pour Céline. Elle fut écornée, confie-t-il, par sa rencontre avec un normalien qui lui affirma, au mitan des années soixante, « témoignage de son oncle à l’appui, que Céline était loin d’être le “médecin des pauvres” qu’il prétendait ».  Durant sa carrière médicale, le docteur Destouches a essentiellement travaillé dans des dispensaires de la banlieue ouvrière (Clichy, Sartrouville, Bezons). Sa patientèle était donc composée de gens pauvres.  Pourquoi diable faut-il remettre ça en question ? Mais Benoît-Jeannin ajoute : « J’avais depuis longtemps fait la part des choses et j’en étais arrivé à ne plus supporter le personnage qui avait affabulé toute sa vie. » Et de conclure gauchement : « Bref je n’étais plus célinien. » Admirable ! Reprocher à un romancier d’affabuler est d’une nigauderie patentée. D’autant que Céline n’a cessé de mythifier son personnage, ayant fait de sa vie la matière romanesque de son œuvre. Benoît-Jeannin affirme aussi qu’il était le « chouchou des autorités allemandes d’occupation ». Faux : les Allemands révéraient Claudel, Montherlant, Giraudoux, Chardonne. Pas Céline. Exception notable : Karl Epting. En 1942, Bernhard Payr, érudit littéraire nazi, publie un ouvrage sur l’état de la littérature en France. Il y juge sévèrement Céline qui « a remis en question à peu près tout ce que l’être humain a produit de valeurs positives et l’a traîné dans la boue. » Et lui reproche, cela va de soi, son « langage ordurier ». Ce docteur en philologie n’était pas n’importe qui : il dirigeait l’“Amt Schrifftum” (dépendant de l’Office Rosenberg), instance de surveillance de ce qui s’éditait en Allemagne et dans les pays occupés. Telle était la position officielle des nationaux-socialistes à l’égard de Céline. À la suite de Philippe Alméras et d’Odile Roynette, Benoît-Jeannin met en doute la validité de la réforme dont Louis Destouches bénéficia en décembre 1915. Or les archives médicales sont formelles : sa blessure au bras provoqua une paralysie qui prédominait sur l’extension des doigts de la main droite. On a même décelé une “dégénérescence” de son nerf radial au niveau de la main. Le Dr Loisel, qui a étudié la question, précise qu’il ne pouvait rigoureusement plus effectuer le geste fin d’actionner une gâchette. Le cuirassier était donc inutilisable au front. Roynette était au printemps dernier l’invitée d’une discussion télévisée sur Céline¹. Elle n’a pas craint d’affirmer que “l’esprit de la Résistance” s’est incarné dans le sauvetage des manuscrits. Elle ne dit pas s’il s’est incarné dans la disparition des œuvres de Degas et de Gen Paul qui se trouvaient aussi dans l’appartement… L’historienne fait également sienne l’affirmation de Taguieff selon laquelle Céline fut un agent des services de renseignements allemands. Émile Brami, qui participait également à ce débat, a rétorqué que, selon lui, on ne peut pas accuser quelqu’un d’un fait aussi grave sans apporter des preuves. Et d’affirmer, ce que nous savions déjà, que Taguieff sollicite les documents. Ce n’est pas défendre Céline que de rétablir les faits,  ce qui n’excuse en rien  les actes ou écrits dont il est  réellement coupable.

• Maxime BENOÎT-JEANNIN, « Céline’s War » in Que faire ? [Bruxelles], n° 5, novembre 2022, pp. 83-96 (20 €)

  1. Émission « Les Cinq livres » de Pierre Assouline : “Que faire de Céline ?”, avec Émile Brami, Odile Roynette et Philippe Roussin, Akadem, 25 mai 2023 [https://akadem.org/magazine/les-cinq-livres-librairie/que-faire-de-celine/46767.php]

Vient de paraître

Sommaire : Descendants versus ayants droit – Réédition de Céline en Bretagne – Entretien avec Yannick Gomez – Biographies – Nabe et Mergen persévèrent dans l’erreur.

Héritiers

Les céliniens l’ont échappé belle.  Si Colette Destouches (1920-2011) n’avait pas renoncé à l’héritage,  ce serait ses enfants  et  petits-enfants  qui, aujourd’hui, prendraient les décisions éditoriales. On a compris que, si cela ne tenait qu’à eux, les inédits n’auraient pas vu le jour (voir l’article “Descendants versus ayants droit” dans ce numéro). Certes on peut estimer, comme eux, que ces textes n’ont pas  leur place dans la collection “Blanche” ; les “Cahiers de la Nrf” eussent été plus adaptés à ce corpus.  Et bien entendu la Bibliothèque de la Pléiade où ils ont à présent trouvé leur place naturelle. Mais si la décision de publier dépendait de Guillaume Grenet (l’un des arrière-petits-fils qui s’est fait le porte-parole de la famille), on attendrait encore la publication de ces textes. Et même s’il ne s’agit que d’ébauches, ils apportent des éléments passionnants à la fois pour la génétique des textes, l’étude du style en évolution, et même la biographie¹. Quant aux pamphlets, les descendants sont viscéralement opposés à toute réédition. Grenet appelle de ses vœux “une censure pure et dure” ², ce qui va sûrement lui attirer des sympathies. Mais est-il normal que l’édition canadienne établie par un spécialiste patenté ne soit pas disponible dans son pays ? Signalons, à ce propos, que la législation canadienne a récemment changé : elle s’aligne désormais sur la loi française. Toute œuvre entre désormais dans le domaine public 70 ans (et non plus 50) après le décès de l’auteur. Heureusement la nouvelle loi n’a pas d’effet rétroactif : les œuvres tombées dans le domaine public avant sa promulgation y demeurent. Qu’on le veuille ou non, les pamphlets font partie de l’œuvre et représentent cinq ans de sa vie d’écrivain. Faut-il rappeler que malgré ses outrances et ses trivialités, Bagatelles pour un massacre (“génial et malfaisant ”, selon Charles Plisnier) est un grand livre ? Et l’épilogue des Beaux draps une merveille ? Céline ne cesse pas d’être écrivain lorsqu’il écrit ses brûlots. On est un peu gêné de rappeler ces évidences… Quant à la belle exposition consacrée aux manuscrits retrouvés, elle n’aurait pas pu être tout à fait la même si les descendants avaient eu leur mot à dire : ils estiment, en effet, que certaines pièces n’auraient pas dû y s’y trouver car appartenant au domaine privé.  Avec un autre ayant droit, le libéralisme dont fait preuve  François Gibault  à l’égard des revues céliniennes (dont celle que vous avez entre les mains) nous aurait manqué. Comme il l’a confié récemment, c’est lui qui, en tant que conseil de l’ayant droit, prenait les décisions d’importance secondaire³. L’Année Céline, Études céliniennes et, plus modestement, le Bulletin  ont publié  lettres et documents  appartenant à sa collection sans qu’il n’y trouvât ombrage. Nous ne sommes pas assurés du tout qu’avec les héritiers de l’écrivain, cela se serait passé de la même façon. Gibault a, par ailleurs, toujours défendu l’écrivain dans les médias et à la tête de la Société d’Études céliniennes. Aurait-on trouvé la même constance à promouvoir l’œuvre si Lucette n’avait pas été détentrice du droit moral et patrimonial ?  Rien n’est moins sûr…
  1. Le prochain colloque de la Société d’Études céliniennes (qui aura lieu à l’Université de Nantes l’année prochaine) sera entièrement centré sur ces textes. Vingt communicants sont déjà inscrits.
  2. Propos recueillis par Sonia Devillers dans son émission « L’invité de 9 h 10 », France Inter, 19 juin 2023.
  3. « Les Conversations de Paul-Marie Coûteaux » : “Me Gibault, avocat de Kadhafi et héritier de Céline”. TV Libertés, 18 juin 2023.

Vient de paraître

Sommaire : Le goût de Céline chez Sollers – Krogold face à la critique – Céline loin des Lumières – Entretien avec Maxim Görke – Céline et Mirbeau – Gen Paul et Céline

Retour dans la Pléiade

Il faut savoir beaucoup de gré à Henri Godard, Pascal Fouché et Régis Tettamanzi pour le travail magistral accompli dans cette nouvelle édition de la Pléiade. Rappelons à ceux qui possèdent déjà l’œuvre romanesque dans cette collection que seuls deux volumes apportent, avec l’exégèse requise, un corpus inédit. À ne plus confondre avec les deux premiers volumes de l’édition précédente ; avant cette année, pour lire l’œuvre dans l’ordre chronologique de leurs phases de rédaction, il fallait lire les volumes dans l’ordre suivant : I, III, IV et II !  Cette tomaison est abandonnée ; désormais, les quatre volumes sont classés par grandes périodes d’écriture : Romans 1932-1934 (comprenant Voyage au bout de la nuit, avec notamment des séquences inédites du manuscrit et du dactylogramme, et ce que l’éditeur nomme “textes retrouvés” : La Volonté du roi Krogold, Guerre et Londres) ; Romans 1936-1947 (comprenant Mort à crédit, augmenté de dix séquences du roman dans la version du manuscrit retrouvé ;  Casse-pipe suivi de ce que l’éditeur nomme “scènes retrouvées” ; et Guignol’s band). N’étant pas affectés par les découvertes de l’été 2021, les deux derniers volumes demeurent inchangés et sont seulement rebaptisés en Romans 1952-1955 et Romans 1957-1961. À moins d’être un collectionneur éperdu de toutes les éditions céliniennes, seule l’acquisition des deux premiers volumes cités s’impose pour découvrir de l’inédit non procuré par la collection “Blanche”.  Idéalement – puisqu’il s’agit de textes non  achevés – il aurait fallu réserver Guerre, Londres et Krogold à la “Bibliothèque de la Pléiade”, et aux “Cahiers de la NRF” mais, outre les impératifs commerciaux, il est naturel de songer au grand public. Au moins ces inédits ne lui ont-ils pas été présentés comme des “romans” puisque non avalisés par Céline qui les considérait à juste titre comme des textes non aboutis. Ajoutons que les deux nouveaux volumes de la Pléiade comprennent un avant-propos inédit de Henri Godard pour le premier et une préface actualisée pour le deuxième. Ses commentaires sagaces font litière de l’affirmation de certains selon laquelle Guerre  serait un texte écrit en 1930-1931 destiné, à l’origine, à être intégré dans Voyage au bout de la nuit. Cette hypothèse est, on s’en souvient, celle de l’universitaire italien Pierluigi Pellini¹. Il n’est pas le seul dans ce cas : en France aussi il se trouve deux ou trois céliniens qui le pensent aussi. Or Guerre ne peut avoir été écrit à la même période que Voyage puisqu’y figurent des bribes de Krogold. Lequel fut rédigé, comme on le sait, après la parution de son premier roman. Mais la grande découverte apportée par ces inédits est qu’après le fabuleux retentissement de Voyage, Céline a longuement tâtonné. Et n’a donc pas trouvé d’emblée ce qui sera désormais son style : celui inauguré par Mort à crédit. Auparavant il adopta encore, dans ces tentatives que sont Guerre et Londres, un langage proche de l’oralité populaire qui était celui de Voyage.  Sa révolution  stylistique  sera la consécration  d’un éprouvant et patient labeur.

  • L.-F. Céline, Romans 1932-1934 & Romans 1936-1947, Gallimard, coll. “Bibliothèque de la Pléiade”, 2023, 1552 p. et 1956 p. (70,50 et 78,50 euros, prix de lancement jusqu’au 31 décembre).
  1. Giulia Mela et Pierluigi Pellini, « Genèse d’un best-seller. Quelques hypothèses sur un prétendu “roman inédit” de Louis-Ferdinand Céline », ITEM, Paris, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS), 22 juillet 2022.  Voir aussi Marc Laudelout, « Guerre antérieur à Voyage ? », Le Bulletin célinien, n° 454, septembre 2022.