Vient de paraître

2016-09-BC-Cover

Sommaire : Luchini, un grand célinien – Bernanos et Céline – Philippe d’Hugues, la Nouvelle Vague et Céline – Andrea Lombardi érige un monument à Céline – Cousteau contre Céline – « L’Année Céline 2015 » – In memoriam Elsa Marianne von Rosen.

A comme Assouline (et Alméras)

Certains reprochent à Pierre Assouline, juif sépharade, – circonstance aggravante à leurs yeux – son « indulgence » envers Céline. Le fait que sa famille échappa aux persécutions nazies peut en partie, mais en partie seulement, expliquer qu’il soit capable d’admirer l’écrivain malgré son antisémitisme. On sait qu’il noua par ailleurs des liens d’amitié avec Lucien Combelle, l’éditorialiste déterminé de Révolution Nationale. C’est sa foncière rectitude qui le conduit à porter sur tout individu, fût-il écrivain honni, une appréciation nuancée. Des lecteurs de son roman Sigmaringen lui ont fait grief du portrait favorable qu’il y dresse de  Céline.  Dans son récent Dictionnaire amoureux des Écrivains et de la Littérature, il persiste et signe : « Durant son séjour dans cette ville du Wurtemberg, de novembre 1944 à mars 1945, Céline eut une attitude irréprochable, ce qui est assez rare dans sa vie pour être remarqué ». (Un Paraz n’eût pas manqué de relever que trente ans auparavant, Louis Destouches eut une attitude tout aussi irréprochable.)En ce qui concerne l’œuvre elle-même, Assouline se situe dans une démarche qui tente de percer l’origine de cet antisémitisme plutôt que de rejeter l’écrivain pour des raisons morales, comme cela se fait encore trop souvent. D’autant qu’« un écrivain est un bloc » et qu’il n’y a « rien à jeter ». Et pour Assouline, l’origine du mal, c’est la guerre dont Céline ne revint pas indemne. Au début des années soixante, Pol Vandromme ¹ consacrait déjà tout un chapitre de sa monographie à cet épisode décisif. On n’en a certes pas fini de gloser sur l’écrivain paradoxal qu’est Céline. En réécoutant une émission ² dans laquelle Philippe Alméras (qui va publier ses mémoires ³) présentait sa biographie, on peut voir combien les appréciations sont diverses. La thèse est connue : fasciné par la biologie durant ses études de médecine, Louis Destouches trouva dans cette science « une façon de résoudre son personnage ». D’où ce « racisme biologique », l’antisémitisme étant l’arbre qui cache la forêt. Mieux : cet antisémitisme, perçu comme un « gagne-pain », ne serait que guignol, vaste comédie. Laquelle se déploie dans  Bagatelles  pour  un massacre.  Dans  son dictionnaire, Assouline consacre précisément une entrée à la réception critique de ce livre. Et rejoint une observation d’Alméras selon laquelle ses lecteurs ne furent à l’époque pas aussi massivement choqués qu’on ne l’a dit depuis. Ainsi, le libertaire Jules Rivet dans Le Canard enchaîné l’estimait « plus grand et plus pur qu’un chef-d’œuvre » et Marcel Arland dans la Nouvelle revue française jugeait ce réquisitoire « solide ».  Sur l’écrivain il y a en revanche unanimité : Alméras le définit comme un génie verbal quand Assouline décèle, « sous l’ordure, la grossièreté et la violence, des trésors de finesse, de subtilité et de profondeur. » Le hic c’est que, dans les pamphlets aussi, on trouve de tels trésors. Tel l’épilogue des Beaux draps, morceau d’anthologie qui a partie liée avec le reste. Avec lui, rien n’est simple décidément. Assouline déclare aimer Céline malgré lui. Faut-il pour autant mépriser l’homme tout en portant l’écrivain aux nues, comme il l’affirme ? Pas sûr que les lecteurs du BC le suivent sur ce terrain.

• Pierre ASSOULINE, Dictionnaire amoureux des Écrivains et de la Littérature, Plon, 2016, 882 p. (25 €)

  1. Un dossier lui est consacré dans la dernière livraison de la revue Livr’Arbitres (voir p. 24)
  2. Émission « Bouillon de culture », Antenne 2, 14 janvier 1994. [ https://www.youtube.com/watch?v=Y8oqiwGwBtQ ]
  3. Mémoires d’un siècle et de deux continents (à paraître aux Éd. de Paris / Max Chaleil).

Vient de paraître

2016-07-08-BC-Cover

Sommaire : Arletty, Gauloise de Courbevoie – 1849 : Semmelweis rejeté dans les capitales européennes mais reconnu à Strasbourg – Mauriac, Céline et l’île Saint-Louis – Magique Céline – Antoine Blondin, paladin au XXe siècle – Le colloque sur les pamphlets – L’édition critique du manuscrit de Voyage au bout de la nuit – Avec Céline.

Occupation

Sous l’Occupation même, Céline tenait à distinguer « les idéalistes et spéculateurs en pensées gratuites » et les « collaborateurs efficients  :  tous ceux qui ont profité des Allemands directement ou par ristournes » ¹. En ce qui le concerne, il tenait à préciser qu’il n’avait « jamais touché un fifrelin de l’occupation ». Vouant par ailleurs aux gémonies  la politique  de Vichy, il  considérait  qu’elle  constituait une insulte envers ceux qui s’étaient engagés de manière désintéressée dans un combat qui se retournait  contre eux : « Faites-vous crever, miliciens, légionnaires, somnambules… » ²  Sur cette époque complexe, Philippe d’Hugues (né en 1931) révèle cette confidence d’Henri Amouroux : « Bientôt on ne pourra plus parler de cette période avec des  gens  de  moins  de  60 ans » ³.  Propos tenu il y a déjà un quart  de siècle… Céline déplorait à l’automne 1943 que ceux qui avaient choisi le camp de la collaboration se fissent  assassiner  « comme des cons et des veaux »  sans  clamer auparavant certaines vérités.  À propos de la Milice,  Philippe d’Hugues  constate qu’« on ne compte plus les livres, les films ou téléfilms où de vaillants maquisards sont pourchassés durant l’Occupation par des miliciens tortionnaires ». Dans son esprit il ne s’agit évidemment pas de défendre cette formation paramilitaire (dont il mentionne que Brasillach apprit en prison les turpitudes), mais de rappeler tout uniment les faits :  « La Milice, créée début 1943, et pour la seule zone sud, ne fut armée qu’en 1944 après l’exécution par la Résistance de près d’une centaine de ses membres sans défense. Ce n’est que fin 1943 et malgré l’hostilité de Laval, qui avait bien prévu les luttes fratricides prochaines qui déjà se préparaient dans l’ombre, que la Milice sera armée et, en janvier 1944, sera  autorisée  à s’implanter en zone nord. »   Et d’ajouter : « C’est surtout dans les trois ou quatre mois derniers mois précédant la Libération, dans un pays plongé dans une guerre civile en train de se généraliser, qu’eurent lieu les fameuses exactions 4. Celles-ci furent surtout commises par des éléments troubles que Darnand eut la faiblesse de recruter pour pallier l’insuffisance des effectifs dont le recrutement devenait de plus en plus difficile. » Ce qu’il y a de terrible, c’est que le seul fait de rappeler ces données factuelles peut donner l’impression de prendre la défense d’un camp par rapport à un autre.

Céline, lui, avait choisi le sien. Ce qui ne l’empêchait pas d’être sagace : « L’alliance franco-allemande actuelle est une alliance avec la charogne. Elle donne la mort à tous ceux qui la pelotent. » 5 Lorsqu’on évoque cette période qui n’a duré que quatre années, il faut toujours avoir à l’esprit que les opinions évoluèrent rapidement en fonction des évènements. En mars 1942, Céline croyait « à une guerre de quinze ans pour le moins, même d’évolution favorable » 5. Un an plus tard, ce fut la chute de Stalingrad qui sonna le glas de bien des espoirs.

  1. Lettre à Je suis partout, 29 octobre 1943. Repris in Céline et l’actualité, 1933-1961, Les Cahiers de la Nrf (Cahiers Céline 7), Gallimard, 2003, pp. 189-191.
  2. Lettre à Je suis partout, 3 mars 1944. Ibidem, pp. 194-196.
  3. Philippe d’Hugues, « Préface » in Robert Brasillach, Six heures à perdre (roman), Pardès, 2016, pp. [7]-15.
  4. Ces exactions furent condamnées par Pétain le… 6 août 1944. Cf. la lettre qu’il adressa à Laval, chef du gouvernement et ministre de l’Intérieur et la réplique de Darnand. Reproduite par Jean-Claude Valla in La Milice (Lyon 1943-1944), Éditions de la Librairie Nationale (Les Cahiers Libres d’Histoire, n°9), 2002, pp. 97-101.
  5. Lettre à Henri Poulain, 11 juin 1943 in L.-F. Céline, Lettres des années noires, Berg International, 1994, pp. 38-39.
  6. Lettre à Frédéric Empaytaz, mars 1942 in David Alliot et Daniel Renard, Céline à Bezons, 1940-1944, Éditions du Rocher, 2008, pp. 122-123.

Vient de paraître

2016-06-BC-Cover

Sommaire : Une lettre de Siné à Marc Laudelout – Deux livres de Bernard Gasco – « L.-F. Céline est mort » (1961) – L’âge d’or du pamphlet – Un trois-mâts de Céline : Margaret Severn – Céline, Proust et la Grande Guerre – Vétéran du célinisme.

Vilain

Bien entendu, dans ses interviews, le docteur ès lettres qu’est Philippe Vilain se défend de mésestimer Céline : « Je lui reconnais une qualité poétique et littéraire. Le problème n’est pas tant Céline que ses suiveurs qui ont insinué l’idée que l’écriture oralisante était facile ¹. » Hormis le fait – vieille antienne –, qu’il rende l’écrivain responsable de ses médiocres épigones, ce Vilain n’est pas franc du collier : toute une section de son livre (« De la grande musique proustienne à la petite musique célinienne ») suinte de condescendance, voire de mépris, à l’égard de Céline. Jugez en par les termes auxquels il a recours pour qualifier son œuvre : « stagnation morbide dans l’abject », « décadent voyage au bout de la nuit littéraire », « simple trouvaille scripturale », « poétique esthétiquement stérile et vide », etc. Comme certains de ses confrères obtus, il voit dans Céline un auteur populiste, « singeur méprisant de populace », dont le labeur est « vraisemblablement très exagéré » [sic]. Surtout, Vilain ne discerne pas la profondeur de l’œuvre sous ses dehors trompeurs. Il se laisse enfin abuser par les facilités apparentes d’une esthétique en rupture avec celle qu’il prise et dont la figure emblématique est l’auteur de la Recherche. Opposer d’ailleurs, comme il le fait, les admirateurs de Proust à ceux de Céline est inepte dans la mesure où, contrairement à ce qu’il imagine, ceux-ci se confondent parfois ². Le comble étant d’affirmer que la poétique célinienne « ne révolutionne aucun destin » alors qu’on ne compte plus les individus dont l’existence a été singulièrement ébranlée par la lecture de Voyage au bout de la nuit ou de Mort à crédit.L’auteur eût été pertinent s’il s’en était tenu à son projet initial : dénoncer, d’une part, la surabondance d’écrits contemporains, consensuels et dociles, ayant sacrifié le style ; stigmatiser, d’autre part, les sous-Céline qui sont légion aujourd’hui. Las ! L’auteur s’en prend à l’écrivain lui-même et se ravale ainsi au niveau du zigoto qui a naguère signé un absurde Contre Céline.Cerise sur le gâteau : Vilain feint d’ignorer la suspicion qui pèse sur les admirateurs de l’écrivain alors qu’un Henri Godard en a, peu ou prou, souffert durant toute sa carrière ³. Ignore-t-il aussi qu’un ancien ministre de l’Éducation Nationale (!) n’a pas craint d’affirmer  que l’admiration  à l’égard de Céline  est  « pour le moins douteuse » 4 [sic] ? Il devrait pourtant être enfin admis que l’on peut admirer Aragon ou Vailland sans être suspecté d’une quelconque nostalgie stalinienne. Et que l’on peut être un lecteur enthousiaste de Céline sans être dépourvu de lucidité quant à sa part d’ombre.

Philippe Vilain, lui-même romancier, n’est pas à plaindre : il est édité par deux grands éditeurs (Gallimard/Grasset), adapté à l’écran et couronné par divers lauriers (dont ceux de l’Académie française). Mais pour avoir écrit de telles sottises sur le contemporain capital, il devrait être attentif à son avertissement : « Il est vilain, il n’ira pas au Paradis celui qui décède sans avoir réglé tous ses comptes. »

• Philippe VILAIN, La littérature sans idéal, Grasset, 158 p. (16 €)

  1. Propos recueillis par Geneviève Simon (« Plaidoyer pour un nouvel horizon littéraire », La Libre Belgique, 26 avril 2016, p. 42).
  2. Contrairement à ce qu’a pu laisser croire Céline lui-même, son admiration pour l’auteur de la Recherche n’était pas feinte : « Proust est un grand écrivain. C’est le dernier grand écrivain de notre génération » (Céline à Meudon. Transcription des entretiens avec Jacques d’Arribehaude et Jean Guenot, Éditions Guenot, 1995, p. 44).
  3. Cf. Henri Godard, À travers Céline, la littérature, Gallimard, 2014.
  4. Luc Ferry, « Célébrer Céline ? », Le Figaro, 29 janvier 2011.