Patrice Espiau

Son nom vous est inconnu. Il s’est éteint dans la nuit de Noël et n’avait que 70 ans. Il s’appelait Patrice Espiau et je le connaissais depuis près de quarante ans. S’il n’a jamais rien écrit sur Céline, il n’en était pas moins un admirateur passionné. Au fil du temps il s’était constitué une incomparable collection célinienne. Bibliophile averti, il détenait de très nombreuses éditions originales sur grand papier (certaines dédicacées) et d’autres pièces mythiques comme L’Illustré National, la thèse de médecine sur Semmelweis, La Quinine en thérapeutique, les plaquettes éditées par Pierre Aelberts dans les années trente, et tant d’autres trésors.Patrice était fier d’être le fils de Marcel Espiau, l’un des fondateurs (avec Gaston Picard, Georges Charensol et d’autres) du « Prix Théophraste Renaudot » qui couronna Voyage au bout de la nuit en 1932. Son père, auteur dramatique et journaliste, écrivit plusieurs articles sur Céline et correspondit même avec lui.  Voici comment Patrice en parlait : « Un honnête homme de mesure et de talent, affable, indulgent, courtois et charmant. (…) Amoureux du Paris d’hier et d’aujourd’hui, il connaissait mieux que personne et dans les moindres détails ses quartiers, ses rues, ses bistrots, ses galeries et musées ; il s’en faisait un chroniqueur d’une passionnante écoute. Son rire en cascade, en torrent, résonne  encore à mes oreilles et dans mon cœur. » On ne s’étonnera pas que Patrice tint à faire apposer une plaque commémorative sur la façade de l’immeuble familial, au 31 de la rue Saint-Placide, à Paris.

Il y a six ans, il avait eu l’initiative de rédiger, en collaboration avec une bibliographe professionnelle, l’inventaire de sa collection. Il l’avait naturellement conçu comme un hommage à Céline mais aussi aux céliniens, auteurs de tant ouvrages sur son auteur de prédilection : « Il me semble aujourd’hui nécessaire de témoigner en leur faveur, et décrire cette bibliothèque d’amateur est un modeste hommage de lecteur, à l’immense travail accompli par ces hommes et ces femmes, dont les pionniers ouvrirent une voie qui s’élargit avec les générations suivantes. »

Toute collection privée est appelée, tôt ou tard, à être dispersée. C’était d’ailleurs le vœu de Patrice qui ajoutait : « À présent, laissons le marteau battre la mesure, afin que ces patronymes connus, méconnus, oubliés ou à connaître, scintillent sous le meilleur feu  des  enchères,  et  qu’enfin leur soit accordée  une  gratitude  triomphante ! ». Ces lignes enthousiastes révèlent sa personnalité modeste, s’effaçant derrière ceux qu’il estimait. Le plus bel hommage qui lui sera rendu consistera précisément en l’édition d’un beau catalogue de cette bibliothèque d’un amateur ô combien érudit. L’une de ses dernières joies fut de recevoir une dédicace de Marc Hanrez qu’il avait souhaitée pour en truffer la monographie parue en 1961 dans la collection « La Bibliothèque idéale ».

Mais Patrice ne se caractérisait pas seulement par sa passion célinienne. Il faudrait aussi évoquer son amour de la peinture, sa fidélité en amitié, son humour, son courage face à la maladie et surtout sa dévotion pour sa chère maman dont il s’occupa jusqu’à la fin avec une sollicitude admirable. C’était un homme de qualité dont le souvenir me restera cher.