Patrimoine

Il est bien loin le temps où le musée de Meudon tentait une démarche  auprès de Lucette Destouches pour consacrer l’une de ses salles à Céline. Cela se passait en 1965. Plus personne ne s’en souvient… Si vous avez la curiosité de vous rendre sur le site internet de la ville de Meudon, vous constaterez qu’il y est fait mention des grandes figures qui y vécurent : de Rabelais à Wagner en passant par Rodin ou Jean Arp. Céline, qui y a habité dix ans, est mentionné une seule fois, presqu’à la sauvette ¹. Un journaliste du Monde relevait récemment que la mairie, si prompte  à célébrer les grands personnages du cru, omet systématiquement son nom dans ses brochures officielles ². Certains admirateurs de l’écrivain ont longtemps rêvé d’un musée. Il n’en est évidemment plus question : « Nous comptons à Meudon une communauté juive et un environnement apaisé que l’on souhaite préserver. » Dixit l’actuel maire, Denis Larghero. Son prédécesseur, Hervé Marseille, avait pourtant tenté de faire quelque chose : « Quand Mme Destouches est devenue vraiment âgée, inquiet que la villa soit rasée, j’ai contacté différentes autorités. Toutes ont préféré détourné le regard. ». On comprend cet embarras : en 1992, Jack Lang, alors ministre de la Culture, décida de classer la maison comme “lieu de mémoire”. Le préfet de la région d’Île-de-France s’y opposa catégoriquement 4. Le sujet paraîtra dérisoire à certains. Au moins est-il révélateur. À propos du classement de la maison, et des polémiques qui s’en suivirent, un céliniste d’envergure relevait avec justesse que « la passion et le prêche moral qu’a mis en branle une mesure d’ordre strictement culturel donnent une fois de plus l’idée du chemin que la société actuelle a à parcourir avant d’accepter Céline dans son patrimoine artistique 5. » Trente ans plus tard, la situation n’a pas évolué. Un universitaire s’est penché sur la question lors d’un colloque relatif aux « Figures et lieux patrimoniaux » 5. Son constat, on s’en serait douté, est clair : l’inauguration d’un “lieu Céline” est impossible. Il constate que l’écrivain fait partie d’un « contre-patrimoine » hors du champ républicain. « Il relève des “grandes figures symboliques” dans le sens où il jouit d’une forte reconnaissance, mais celle-ci est doublement polarisée : elle est positive en littérature, et négative en politique, à la différence des figures patrimoniales simples qui ne connaissent qu’une reconnaissance positive dans les deux domaines. » Et d’ajouter : « C’est cette reconnaissance paradoxale qui explique les confusions dont il fait l’objet, la volonté de le patrimonialiser mais aussi l’impossibilité pratique de passer à l’acte. »  C’est la raison pour laquelle, lors des “Célébrations nationales” de 2011,  certains avaient pensé substituer le terme « commémorer » à « célébrer ». Il faut bien reconnaître que, dans le cas de Céline, même commémorer s’avère exclu.

  1. www.meudon.fr En guise de contraste, voir : https://institut-iliade.com/meudon-sur-les-pas-de-wagner-de-rodin-et-de-celine
  2. Gaspard Dhellemmes, « Voyage au bout de l’oubli », Le Monde Magazine, 28 mars 2010, pp. 34-39.
  3. Saisi par les représentants de la communauté juive et des associations de résistants qui s’estimaient outragés, il les apaisa en leur faisant connaître sa totale opposition à cette mesure de classement : « Marqué par la lecture de Bagatelles pour un massacre, je puis vous assurer que j’exclus d’apposer ma signature au bas d’un tel texte ». Dans son communiqué il avait par ailleurs évoqué « les valeurs éternelles de la Résistance, qui ont été bafouées par des hommes tels que Céline. »
  4. Jean-Paul Louis, « Classement et déclassement de la dernière maison de Céline » in L’Année Céline 1992, p. 121.
  5. Rémi Astruc, « Céline et la question du patrimoine », Le Bulletin célinien, n° 335, novembre 2011, pp. 11-16.