Pionniers

À l’instar des Atrides, les céliniens constituent une grande famille. La formule, acide mais fondée (voir page 24), a fait florès. On retrouve ce climat dans d’autres associations littéraires. Plutôt pittoresque et pas dramatique. Cela étant, et sans complaisance aucune, je pense qu’a contrario, il serait juste de dire notre dette envers quatre céliniens dont l’apport demeure essentiel. En premier lieu, je songe bien évidemment au regretté Dominique de Roux (1935-1977) qui, avec deux numéros de sa revue L’Herne, aura fait gagner bien du temps aux céliniens. Deux ans seulement après la disparition de l’écrivain, il nous procura correspondances et témoignages inédits. Le succès du premier numéro permit la réalisation d’un second paru en 1965.  La force de Dominique de Roux fut de rassembler, de Rabi à Rebatet, un ensemble foisonnant de textes qui, dépourvu de finalité hagiographique, constituait une base de départ incontournable pour les chercheurs. S’il appartient désormais au cercle des céliniens disparus, Jean-Pierre Dauphin (1940) nous a comblés, lui aussi, d’apports majeurs. À l’origine  de  la  création de la Société des Études céliniennes et d’un fonds documentaire créé sous l’égide de l’Université Paris VII  (avant  d’être repris par l’IMEC), il rassembla une documentation iconographique qui fit, en 1977, l’objet  d’un Album de la Pléiade  fort  recherché  aujourd’hui, et, la même année à Lausanne,  d’une grande exposition  consacrée à l’écrivain. On lui doit aussi la création de deux revues : les Cahiers Céline regroupant textes, entretiens et correspondances, et la série « L.-F. Céline » éditée, de 1974 à 1988, par La Revue des Lettres modernes. Il est enfin le co-auteur d’une magistrale Bibliographie des écrits de Céline (1985) désormais disponible sur Internet.  C’est avant tout – et c’est considérable – l’édition critique de l’œuvre romanesque  dans  la  Pléiade  que l’on doit à Henri Godard (1936),  « amoureusement fidèle au texte, dont il souligne et enrichit encore la force et les hardiesses, sans compter les découvertes en tout genre qui ont donné à son travail un relief saisissant ». Ces lignes, élogieuses et justifiées, sont dues à Jean-Paul Louis (1946)  auquel  nous  sommes  également  redevables. Avec L’Année Céline (voir page 23), fondée en 1990, qui totalise une vingtaine de copieux numéros, il s’est imposé comme l’éditeur de la plus attrayante revue sur l’écrivain. L’épistolier l’intéressant autant que le romancier, on lui doit l’édition critique de deux grandes correspondances :  à Albert  Paraz (1980) et à Marie Canavaggia  (1995, rééd. 2007). Il serait impossible de citer ici tous les essais et recueils dont cet éditeur-imprimeur-libraire a enrichi la bibliothèque célinienne. Je me bornerai à citer ces grandes sommes sur la guerre (Le cuirassier blessé. Céline, 1914-1916 [J. Bastier]) l’œuvre polémique (Esthétique de l’outrance. Idéologie et stylistique dans les pamphlets de L.-F. Céline [R. Tettamanzi]), les années danoises (Images d’exil. Louis-Ferdinand Céline, 1945-1951 (Copenhague-Korsør) [É. Mazet & P. Pécastaing] ; la musique (Céline et la chanson [M. Ferrier])  et, tout récemment,  l’œuvre romanesque dans son ensemble (Dictionnaire des personnages dans l’œuvre romanesque de Céline [G. Richard]). Sans lui, ces titres n’auraient sans doute jamais vu le jour et les céliniens se seraient vus  privés  de  véritables ouvrages de référence. J’ajoute que notre gratitude envers lui est appelée à se renouveler puisqu’un Dictionnaire de la Correspondance est annoncé. Grâces soient rendues à ces céliniens émérites.