Riposte

Dans ce numéro, nous revenons sur l’ouvrage Céline, la race, le Juif qui marquera une date dans la névrose anticélinienne. Grâce à un battage médiatique peu commun (deux émissions télévisées sur la chaîne nationale et plusieurs articles dans la grande presse, du Monde à L’Express en passant par Le Figaro et L’Obs), ce pavé (1 kg 310) s’est vendu à près de 3.000 exemplaires, ce qui est appréciable compte tenu de son prix élevé. Il est plaisant de constater que plusieurs journalistes ont opté pour la formule de l’entretien (parfois complaisant), évitant ainsi de s’infliger la lecture d’un millier de pages souvent indigestes. Avec l’autorité qui est la sienne, Pierre Assouline, lointain successeur de Lucien Descaves à l’Académie Goncourt, a dit ce qu’il fallait penser de cette entreprise ¹. Sous un titre choc, Grégoire Leménager, lui, a donné la parole aux céliniens suspectés par les auteurs d’une trop grande empathie avec leur écrivain de prédilection ². Il est à souligner que pas un seul céliniste (appelons ainsi ceux qui travaillent sur le sujet) ne cautionne cette initiative qui se présente, excusez du peu, comme « le livre de référence que l’on attendait sur le cas Céline » ³. Ainsi, Régis Tettamanzi s’est déclaré gêné par la démarche du couple célinophobe : « Il faut un certain aveuglement à la littérature pour lire la trilogie allemande comme de la propagande. Aucun personnage n’en sort indemne ! (…) Comme chez Thomas Bernhardt, autre pessimiste absolu, il y a dans ce travail formel un humanisme en creux : Céline parie sur la capacité du lecteur à le comprendre ». David Alliot, lui, met le doigt où ça fait mal : « Ce qui emmerde les anticéliniens, c’est qu’un génie littéraire pareil ait pu se fourvoyer à ce point. Il ne rentre pas dans les cases. » Quant à Henri Godard, il fait preuve de la hauteur de vues qui lui est propre : « En dehors de ses distorsions et de son caractère obsessionnel, la question posée par ce livre est celle de l’existence d’une valeur propre à la littérature. (…) Pour quiconque attache de l’importance à la création artistique dans l’état actuel de notre civilisation, plutôt que d’anathémiser Céline il faut le lire et réfléchir sur lui, parce qu’il est, sous ses deux faces, un cas limite. » Frédéric Vitoux, autre célinien pionnier, conclut : « Nous n’avons plus besoin de procureurs, nous avons besoin d’historiens. » On a envie d’ajouter : d’historiens patentés.

Argument suprême pour ces détracteurs de Céline. La preuve qu’il n’est pas un écrivain d’envergure réside dans le fait que ni Genette, ni Pavel, ni Bourdieu ne se sont intéressés à lui. D’autant que Roland Barthes, rappellent-ils, « se disait exaspéré par ses “tics” d’écriture » (!). Les auteurs n’imaginent pas un seul instant qu’il arrivera un temps où ces érudits seront bien oubliés alors que Céline sera toujours lu et étudié.

En attendant, cet ouvrage risque bien d’avoir un fâcheux effet collatéral : quels étudiants vont désormais se risquer à entreprendre une thèse sur un auteur aussi sulfureux ? Et quels magisters accepteront de diriger des travaux sur lui ? Dans les années à venir, on peut s’attendre à une forte régression dans le domaine universitaire où l’on observe déjà depuis une décennie, doxa oblige, une sensible décrue.

  1. Voir dans ce numéro, p. 8. Merci à Pierre Assouline de nous avoir autorisé à reproduire son article.
  2. Grégoire Leménager, « Polémique. Les céliniens sont-ils des salauds ? », L’Obs, 2 mars 2017. Signalons que le dossier de presse peut être lu sur le site de Matthias Gadret, « Le Petit Célinien » : http://www.lepetitcelinien.com
  3. Satisfecit extrait de la quatrième page de couverture qui vante aussi « une vision “décapée” » [sic].