Titres

On sait que les titres des brûlots céliniens font l’objet de contresens. Lors du colloque de février, à Beaubourg, un vétéran du célinisme voulut spécifier leur signification véritable. Tentative d’explication rejetée avec fracas. Feu mon ami Pierre Monnier,  mobilisable en 1939,  rappelait  volontiers  la  bande de Bagatelles  – « Pour bien rire dans les tranchées » –, afin d’indiquer de quel massacre il s’agissait  dans l’esprit de Céline ¹. Précision toujours d’actualité : pour beaucoup, dès lors qu’il s’agit de massacre sous la plume de Céline, cela ne peut être que celui des juifs. Lors de la rentrée solennelle de la Conférence du stage, un jeune avocat, Fabrice Epstein, a prononcé un Plaidoyer pour la publication des pamphlets de Louis-Ferdinand Céline. Quant aux contresens, jugez plutôt : « [Céline] publie — 1937, Bagatelles pour un massacre. Devinez le massacre de qui !? ; 1939, L’École des cadavres. Devinez quels cadavres !? ; 1941, Les Beaux draps. Devinez pour qui il prépare un linceul... ». Avant de rédiger le texte de cette conférence, Me Epstein s’est documenté auprès de son confrère François Gibault et d’Émile Brami. Que ne leur a-t-il demandé la signification de ces titres !  Cela nous aurait épargné ces commentaires tendancieux ². Je note que c’est aussi grâce à François Gibault qu’il a pu rencontrer Lucette Destouches. Pour la remercier de son accueil, lui a-t-il annoncé que, dans son allocution, il se proposait de gratifier son mari d’épithètes aussi tempérées que « abominable », « génocidaire » ou « répugnant » ? Étrange démarche enfin que celle consistant à plaider pour la réédition des pamphlets et à poursuivre une maison d’édition qui les publie à l’étranger. Motif invoqué ? L’illégalité de cette vente, lesdites rééditions étant faites sans l’aval de la veuve de Céline ³.  Notre robin se révèle ainsi plus catholique que le pape de la Célinie, François Gibault, défenseur des intérêts de Lucette. Le souci des prérogatives de l’ayant droit inspire donc Me Epstein. Encore eût-il pu questionner le manque de cohérence qui consiste à interdire la réédition de trois pamphlets mais à permettre celle de Mea culpa, des lettres aux journaux de l’occupation et de la préface de L’École des cadavres. Paraphrasant le proverbe yiddish placé en exergue de sa plaidoirie, je conclurai en affirmant que si la justice s’attache à poursuivre les écrits d’un auteur mort il y a cinquante ans, elle pourrait aussi mettre en accusation la société – critiques et public – qui les a, pour une grande part, favorablement accueillis à l’époque. Mais n’est-ce pas précisément ce qu’implique ce plaidoyer ? L’originalité de la démarche étant de faire condamner pénalement ces écrits et, dans le même élan, de plaider pour qu’ils soient réédités 4.

Rappelons que la défaite de 1940 fit 60.000 soldats français morts en six semaines de combats.

Il serait aussi bien inspiré de réviser ses connaissances historiques. Ainsi il écrit que Céline « est pressenti pour diriger l’Institut des Questions juives… mais, pas de chance, ce sera Darquier de Pellepoix » ? Soit deux erreurs en une phrase. Pour la première affirmation, Epstein aurait dû consulter le tome 2 de la biographie  de son confrère Gibault (p. 257) ; quant à la seconde,  tous ceux qui s’intéressent à cette période  ne confondent évidemment pas  IEQJ (Institut d’Étude des Questions juives) et CGQJ (Commissariat général aux questions juives). Lorsqu’on veut traiter d’un sujet, il importe de bien le connaître. Coïncidence amusante (qu’ignore sans doute Me Epstein) à propos de cette époque : son cabinet, rue des Pyramides, est voisin de l’immeuble qui fut le siège du PPF (!).

Réédition d’autant plus scandaleuse que, horresco referens, elle s’accompagne, pour l’un de ces textes, d’un « commentaire critique de Robert Brasillach », comme le souligne le conférencier. Si l’on ajoute que ces livres sont édités au Paraguay, ancien refuge de nazis en fuite, cette initiative devient, on le comprend, intolérable.

Considérant cette allocution comme « la plus importante de cette année célinienne surchargée », Henri Thyssens, lui, a tenu à « saluer ce jeune avocat qui a eu le courage de briser le silence (…) qui entoure l’œuvre de Céline ».  La teneur de ce discours est-elle de nature à compromettre sa carrière naissante ? Chacun jugera…

(texte disponible sur http://www.lepetitcelinien.com ou

http://www.avocatparis.org/actualite/947-rentree2011.html)