Tovaritch

C’est à un homme de théâtre, Alain Vettese ¹, que nous devons le « scoop » dont il est question dans ce Bulletin : regardant à la télévision le film Tovaritch (1935), il croit reconnaître… Louis-Ferdinand Céline. Passionné par les films français des années trente, il a eu l’excellente initiative de l’enregistrer. Pour confirmation, il m’en adresse une copie. Regardant ce film à mon tour, je puis lui confirmer que c’est bien Céline qui apparaît, dans un rôle de figurant, au début du film !  Il est d’autant plus reconnaissable qu’on le filme un moment en avant-plan. Naturellement il l’est nettement moins sur les photos que nous reproduisons dans ce numéro, celles-ci ayant  été effectuées sur écran à partir d’une copie du film sur vidéocassette.

Dans ce numéro, j’évoque l’amitié entre Céline et Jacques Deval. Amitié qui ne s’est jamais démentie en trente ans. On ignore aujourd’hui à quel point Deval, né Boularan (1890-1972), fut un auteur fêté par le public. Né à Paris, c’est dès l’enfance qu’il entre en contact  avec le milieu du théâtre, son père étant directeur de l’Athénée. Auteur de comédies, il connaît le succès dès sa première pièce, écrite en 1920 (Une faible femme). En 1934, il triomphe avec Tovaritch, ce qui l’incite à adapter sa pièce au cinéma. Boulevardier certes mais déployant un comique qui masque souvent une certaine gravité.

On peut être surpris aujourd’hui par le délai très court entre le tournage du film qui commence au début de l’année 1935 et sa sortie sur les écrans début mai. À ce propos, Alain Vettese nous apporte des précisions intéressantes : « Tous ces films tirés de pièces à succès étaient vite mis en boîte et rapidement distribués, ce qui rendait l’affaire souvent très juteuse pour les producteurs, même si tous les réalisateurs ne tournaient pas en deux semaines comme Guitry. Le triomphe de Jean de la Lune (1931) d’après la pièce de  Marcel Achard,  confirmé par  le succès des œuvres « cinématographiées »  de Pagnol, Jules Romains ou de Flers et Caillavet, avait lancé la mode du “théâtre filmé”. Tous les avantages pécuniaires étaient réunis : nombre très limité de décors, longs plans-séquences agrémentés de champs-contrechamps, grosse économie de “prises”, les acteurs étant généralement ceux de la scène, rompus aux ficelles de leurs rôles, montage simplissime… On “aérait” tout de même un peu en introduisant des scènes additionnelles filmées en extérieur. À l’évidence celle où apparaît Céline en fait partie. Elle a dû être tournée “dans le quartier”, le travelling montre nettement qu’on est sur les hauteurs (de Montmartre, sans doute) et chez l’épicier du coin (à moins que Deval n’ait usé d’un  “transparent” pour la vue de Paris et que la boutique aussi n’existât qu’en studio !?… ). »

Quant à la prestation de Céline, Alain Vettese ajoute : « On aimait bien à l’époque faire jouer les copains dans ses films. Les Prévert ramenaient systématiquement les fidèles de leur bande et on se souvient de la prestation (parlante) de Gen Paul dans L’Atalante de Jean Vigo ³. »

Si Jacques Deval connut le succès, sa fin fut moins glorieuse.  Une  biographe de Céline lui rendit visite trois ans avant sa mort, dans un quartier ouvrier de Paris : « On était loin des splendeurs d’Hollywood dont ils avaient joui ensemble et du froufrou des robes des adorables filles qui avaient toujours entouré Deval. (…) Il ne restait à présent que quelques pâles reflets du passé, accumulés dans des pièces étroites ; et un chien âgé, asthmatique qui se traînait sur des tapis d’Orient usagés ². »

  1. Né en 1952, Alain Vettese est enseignant et auteur dramatique (Ciné-dérive, Le Jardin au tilleul, La Folie sage, Hors-champ, Le Poisson de verre,…). Il voue une passion à trois auteurs : Marcel Proust, Paul Léautaud et… Céline. À propos de la scène en question, il relève ce détail amusant : « Quand la caméra arrive à Céline, après un regard furtif de face, il se détourne vite pour jouer son rôle de client qui se sert ou qui paie. Un “vrai” figurant se serait fait sermonner. »
  2. Erika Ostrovsky, Céline, le voyeur-voyant, Éd. Buchet-Chastel, 1972.
  3. Courriel d’Alain Vettese adressé à M. Laudelout, 24 janvier 2010. À propos de la rapidité avec laquelle se tournaient et étaient montés certains films à l’époque, Denis Joulain, président de l’Association des Amis de Jean Delannoy (lequel réalisa le montage de Tovaritch mais aussi de Club de femmes de Deval), nous signale que ce dernier film fut tourné de février à mai 1936 aux studios de Joinville, et qu’il sortit sur les écrans à la fin du même mois de mai.