Les archives de l’Institut National de l’Audiovisuel permettent une plongée immédiate dans le passé ¹. Cela revêt aussi un intérêt pour les céliniens. Ainsi, pour quelques euros, on peut, après l’avoir téléchargé, réécouter à l’envi ce numéro du « Masque et la plume » (quasi) entièrement consacré à Céline à l’occasion de la parution de Rigodon ². Heureux temps où toute une émission pouvait être vouée au grand maudit. Nous sommes en mars 1969. L’année a commencé en fanfare avec cette édition posthume du troisième volet de la trilogie allemande et avec la réédition de Guignol’s band en « Livre de poche », un numéro spécial du Magazine littéraire (le premier d’une série qui en comporte quatre à ce jour) et la publication des souvenirs de Henri Mahé, La Brinquebale avec Céline.
Animée par Michel Polac, cette émission radiophonique accueillait Alphonse Boudard, Jean-Louis Bory, Jean Guenot et François Nourissier, excusez du peu. Il faut dire d’abord l’émotion d’entendre ces voix qui, pour la majorité d’entre elles, se sont tues… Boudard est mort il y a déjà près de dix ans ; Bory préféra quitter ce monde en 1979 à l’âge de soixante ans et Nourissier se meurt dans un hôpital, vaincu à la fois par Parkinson et Alzheimer… Demeure heureusement parmi nous le cher Jean Guenot qui applique avec talent le précepte du Dr Besançon : « Ne pas dételer ». C’est entièrement seul, on le sait, qu’il écrit et imprime sa revue J’écris (voir en page 17).
Dans cette émission, on assiste à un échange intéressant entre ces quatre écrivains dont au moins trois connaissaient bien l’œuvre dont ils avaient à parler. Guenot relate avec humour la première visite qu’il fit à Meudon en compagnie de Jacques d’Arribehaude et disserte savamment sur le thème « Céline, martyr et musicien » qui sera l’un des chapitres de son livre publié quatre ans plus tard ³. Bory évoque sa découverte de Céline avant-guerre alors qu’il était au lycée Henri IV : « J’y trouvais ce qui me passionne : une dénonciation violente de tout un ordre que j’exècre ». Boudard, lui, suscite de vives protestations lorsqu’il ne craint pas d’affirmer qu’il fallait une certaine audace pour rédiger Bagatelles en plein Front populaire. Et lorsqu’une personne dans le public évoque les appels du pied que le communiste Aragon fit à Céline dans les années trente, Nourissier s’insurge et affirme que seule une admiration désintéressée animait l’auteur d’Aurélien. Ce plaidoyer prend naturellement un certain relief lorsqu’on sait que, l’année précédente, Aragon démissionna du jury Goncourt après avoir échoué à faire attribuer le prix à Nourissier. Bien d’autres propos sont tenus sur Céline dans cette émission ; certains pertinents, d’autres moins. Mais ce qui frappe l’auditeur d’aujourd’hui, c’est la liberté de ton qui régnait alors sur les ondes et le fait que l’écrivain suscitait une admiration incontestée auprès des différents intervenants. Lorsqu’on sait que, deux mois plus tard, la deuxième chaîne de la télévision française diffusera, en deux parties, une grande émission consacrée à Céline, on mesure combien les choses ont changé 4.
- www.ina.fr (taper « Louis-Ferdinand Céline » dans le moteur de recherche figurant sur le site)
- « Le Masque et la plume », 23 mars 1969. Émission animée par Michel Polac et François-Régis Bastide.
- Jean Guenot, Louis-Ferdinand Céline damné par l’écriture, Chez l’auteur, 1984 (éd. revue et augmentée).
- « D’un Céline l’autre », O.R.T.F., 2ème chaîne, 8 et 19 mai 1969. Cette émission est reprise dans le double DVD « Céline vivant », Éd. Montparnasse, coll. « Regards », 2007. Autre parallèle avec notre temps : le Conseil général des Hauts-de-Seine a commandé à une société de production des « portraits » de dix personnalités ayant vécu dans ce département, dont Céline. Ces documentaires seront diffusés sur TV5, France 5 et la chaîne Histoire. Las ! Gilles Bouchara, président de la Communauté juive des Hauts-de-Seine adjure le Conseil général de renoncer à l’émission consacrée à Céline et, via la revue Actualité juive, invite tous ses coreligionnaires à protester auprès de Patrick Devedjian qui préside le Conseil général des Hauts-de-Seine. Affaire à suivre…