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Vient de paraître

2017-02-BC-Cover

Sommaire : In memoriam Patrice Espiau – Céline et ses éditeurs – Listes noires et épuration – James Salter, lecteur de Céline – Philippe Alméras, baroudeur des lettres – Lucette Almanzor dans Le Figaro – Céline au fil des pages.

Patrice Espiau

Son nom vous est inconnu. Il s’est éteint dans la nuit de Noël et n’avait que 70 ans. Il s’appelait Patrice Espiau et je le connaissais depuis près de quarante ans. S’il n’a jamais rien écrit sur Céline, il n’en était pas moins un admirateur passionné. Au fil du temps il s’était constitué une incomparable collection célinienne. Bibliophile averti, il détenait de très nombreuses éditions originales sur grand papier (certaines dédicacées) et d’autres pièces mythiques comme L’Illustré National, la thèse de médecine sur Semmelweis, La Quinine en thérapeutique, les plaquettes éditées par Pierre Aelberts dans les années trente, et tant d’autres trésors.Patrice était fier d’être le fils de Marcel Espiau, l’un des fondateurs (avec Gaston Picard, Georges Charensol et d’autres) du « Prix Théophraste Renaudot » qui couronna Voyage au bout de la nuit en 1932. Son père, auteur dramatique et journaliste, écrivit plusieurs articles sur Céline et correspondit même avec lui.  Voici comment Patrice en parlait : « Un honnête homme de mesure et de talent, affable, indulgent, courtois et charmant. (…) Amoureux du Paris d’hier et d’aujourd’hui, il connaissait mieux que personne et dans les moindres détails ses quartiers, ses rues, ses bistrots, ses galeries et musées ; il s’en faisait un chroniqueur d’une passionnante écoute. Son rire en cascade, en torrent, résonne  encore à mes oreilles et dans mon cœur. » On ne s’étonnera pas que Patrice tint à faire apposer une plaque commémorative sur la façade de l’immeuble familial, au 31 de la rue Saint-Placide, à Paris.

Il y a six ans, il avait eu l’initiative de rédiger, en collaboration avec une bibliographe professionnelle, l’inventaire de sa collection. Il l’avait naturellement conçu comme un hommage à Céline mais aussi aux céliniens, auteurs de tant ouvrages sur son auteur de prédilection : « Il me semble aujourd’hui nécessaire de témoigner en leur faveur, et décrire cette bibliothèque d’amateur est un modeste hommage de lecteur, à l’immense travail accompli par ces hommes et ces femmes, dont les pionniers ouvrirent une voie qui s’élargit avec les générations suivantes. »

Toute collection privée est appelée, tôt ou tard, à être dispersée. C’était d’ailleurs le vœu de Patrice qui ajoutait : « À présent, laissons le marteau battre la mesure, afin que ces patronymes connus, méconnus, oubliés ou à connaître, scintillent sous le meilleur feu  des  enchères,  et  qu’enfin leur soit accordée  une  gratitude  triomphante ! ». Ces lignes enthousiastes révèlent sa personnalité modeste, s’effaçant derrière ceux qu’il estimait. Le plus bel hommage qui lui sera rendu consistera précisément en l’édition d’un beau catalogue de cette bibliothèque d’un amateur ô combien érudit. L’une de ses dernières joies fut de recevoir une dédicace de Marc Hanrez qu’il avait souhaitée pour en truffer la monographie parue en 1961 dans la collection « La Bibliothèque idéale ».

Mais Patrice ne se caractérisait pas seulement par sa passion célinienne. Il faudrait aussi évoquer son amour de la peinture, sa fidélité en amitié, son humour, son courage face à la maladie et surtout sa dévotion pour sa chère maman dont il s’occupa jusqu’à la fin avec une sollicitude admirable. C’était un homme de qualité dont le souvenir me restera cher.

Charles Dantzig (suite)

Au moins est-il lucide : « Je sais que, avec cet article,  j’aurai  encore  les aimables céliniens contre moi. »  Et pour cause : dès qu’il traite de Céline, Patrick Lefebvre, alias Charles Dantzig, n’écrit que des bêtises. Il avait déjà comparé  la verve de l’écrivain à celle d’un chauffeur de taxi parigot. C’était recopier bêtement Malraux qui, dans un entretien avec Grover, proféra jadis cette énormité. Dantzig voit en Céline un écrivain populiste. On se croirait revenu au “Lagarde & Michard” de ma jeunesse. De la même manière, il se laisse abuser par les fameux trois points qu’il prend, figurez-vous, pour de banals points de suspension ¹. Avant d’écrire de telles inepties, le sieur Dantzig  eût été avisé de lire les commentaires de Henri Godard. Lequel précise pertinemment que les trois points constituent plutôt « un silence ou un point d’orgue laissant se perpétuer les ondes » ². Nulle aposiopèse, nulle ellipse mais quelque chose de particulier propre à l’écriture célinienne.

Là où Dantzig se surpasse, c’est lorsqu’il affirme que « littérairement, Céline serait assez la traduction de l’expression anglaise “one-trick poney”. Un poney de cirque qui ne connaît qu’un tour. Il le fait bien, mais il ne sait que le refaire. » Insondable bêtise lorsqu’on sait que Céline est  certainement  l’écrivain français qui s’est le plus renouvelé. Quelle progression entre Voyage et Mort à crédit (qu’il mettra trois ans à écrire) ! Et quelle singulière métamorphose entre ce deuxième roman et Féerie pour une autre fois ! Qui dira à Dantzig qu’il serait bien inspiré de ne traiter que les sujets qu’il connaît ? Surtout pas Céline dont on se demande s’il en a lu intégralement un livre. Par ailleurs, il ne craint pas d’affirmer que « les céliniens tentent de cacher l’existence des écrits polémiques » alors qu’on ne compte plus sur ce thème les ouvrages précisément écrits par des céliniens. De toute évidence il ignore aussi que les pamphlets ont été republiés il y a quatre ans dans une édition scientifique de haut vol due à un professeur de l’Université de Nantes. Dantzig pérore en toute ignorance.

Concluons par une note badine: il a un jour confié qu’il rêvait d’écrire un roman où il y ait une drag queen. Reconnaissons que là au moins il se documente. Ainsi a-t-il récemment invité dans son émission un avocat au barreau de Paris qui se transforme régulièrement en créature ³.  Une émission sur les danseuses, si chères à Céline, exigerait de Dantzig une préparation plus approfondie.

• Charles DANTZIG, Les Écrivains et leurs mondes, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 990 p. (30 €). Ce volume comporte trois parties : « La guerre du cliché », « Dictionnaire égoïste de la littérature française » et « Ma République idéale » (inédit). Je me réfère au chapitre « l’affaire populisme », p. 103-115.

  1. C’est ainsi que, selon lui, Céline ne serait qu’un succédané : «Il y a une imposture de Céline styliste inédit quand son système de ponctuation et son supposé “style émotif”, loin de l’inventer, il les sort de Jules Laforgue.»  Rien de neuf sous le soleil : pour une raison analogue, le regretté Paul Yonnet considérait que le devancier de Céline était Eugène Scribe. Quant à Paul Edel, il évoque la dette que Céline doit aux auteurs de Germinie Lacerteux auxquels il aurait emprunté les trois points [http://pauledel.blog.lemonde.fr/2016/11/07/de-la-nounou-de-leila-a-la-servante-germinie-des-freres-goncourt]
  2. Propos tenu dans l’émission «Décibels» de Jeanne-Martine Vacher, France Culture, 21 avril 2009. [https://www.youtube.com/watch?v=7VRiioKgGys]
  3. «Le secret professionnel des drag queens», France Culture, 23 octobre 2016. [https://www.franceculture.fr/emissions/secret-professionnel/le-secret-professionnel-des-drag-queens]

Vient de paraître

2016-12-BC-Cover

Sommaire : Un entretien avec Henri Mahé [1969] – Un reportage à Sigmaringen [1945] – Céline chez Gaumont – In memoriam Jean Jour

Philippe Alméras

Philippe Alméras est du petit nombre de ceux qu’on appelle les « céliniens historiques ». Au mitan des années 60, il travaille sur Céline aux États-Unis (où il reprend ses études à 34 ans), soutient après quelques avatars une thèse de doctorat sur le style de l’écrivain ¹ et, de retour en France, devient l’un des fondateurs de la Société des Études céliniennes dont il sera le premier président. Il fut surtout l’un des rares à s’intéresser de près à l’idéologie célinienne, ce qui lui causera quelques ennuis outre-Atlantique où on le suspectera sottement de connivence. Revenu en France, ça ne s’arrange pas: nous serons quelques uns à regretter qu’il n’appréhende l’œuvre qu’à travers le prisme du racisme et qu’il porte sur l’auteur un regard totalisant dénué de toute ambivalence. Philippe Muray lui décernera le titre de « doyen de la Confrérie des célinophobes ». La biographie qu’Alméras publie l’année du centenaire y fut pour beaucoup. Henri Godard ne sera pas moins sévère: « Il n’y est question que d’un individu qui n’a jamais pensé qu’à propager son credo raciste, utilisant à l’occasion pour cela la voie indirecte ou camouflée du roman. » C’est pourtant grâce à Godard qu’Alméras décrochera la mention convoitée à l’issue de sa soutenance de thèse de doctorat d’État sur les idées de Céline ². Mais si le doctorant fit preuve d’une approche obnubilante de Céline, son admiration pour l’écrivain est réelle. Encore donne-t-il l’impression de n’admirer en lui que le génie verbal. C’est ne pas voir l’ampleur d’une œuvre qui ne se résume pas à la phobie du métissage. Il demeure qu’il fut l’un des rares chercheurs à analyser les tenants et aboutissants de cet antisémitisme, rappelant que le pamphlétaire ne scandalisa nullement la majorité de ses contemporains contrairement à ce qu’on en a dit ³.Né en 1930, Philippe Alméras est arrivé à un âge où l’on écrit ses mémoires. Dont acte. Un volume de près de 500 pages vient de paraître sous un titre flamboyant, Mémoire d’un siècle et de deux continents. On y voit que son existence fut bouleversée par la mort accidentelle de son père alors qu’il n’avait que sept ans. Nul doute que les épreuves qui s’ensuivirent forgèrent sa personnalité. Avant de devenir le docte universitaire que l’on connaît, Alméras navigua durant une décennie dans le journalisme. C’est peut-être à cette formation qu’il doit de s’exprimer de manière intelligible et carrée, aspects peu communs dans le monde universitaire. Figure controversée de la Célinie, Philippe Alméras aura écrit pas moins d’une demi-douzaine de livres sur le sujet. Il évoque à nouveau sa traversée célinienne dans cet ouvrage mais aussi ses autres travaux (l’Algérie post-coloniale, Pétain, de Gaulle, Montherlant 4 ,…) et les péripéties qui accompagnèrent la fondation du Centre d’études franco-américain créé voici quarante ans en Normandie. Cette vie passablement bousculée nous est contée sur un ton invariablement caustique. On ne s’étonnera donc pas que ses pairs célinistes soient traités de la sorte.

• Philippe ALMÉRAS, Mémoire d’un siècle et de deux continents, Les Éditions de Paris / Max Chaleil, 2016, 480 p. (19 €)

  1. L’évolution du langage romanesque de Louis-Ferdinand Céline, University of California [Santa Barbara], 1971.
  2. Les idées de Céline, Université de Paris VII, 1987. Du même auteur, voir Voyager avec Céline, Dualpha, coll. « Politiquement incorrect », 2003.
  3. Je suis le bouc. Céline et l’antisémitisme, Denoël, 2000.
  4. Parmi ses livres, généralement peu lus par les céliniens, citons Un Français nommé Pétain (1995), Journal noir de l’Algérie indépendante (2001), De Gaulle à Londres (2001), Vichy, Londres, Paris (2002).