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Vient de paraître

2017-07-BC-Cover

Sommaire : Léon Daudet et Céline – La rencontre Nabe-Godard – Leningrad vue par Pierre Brisson et Céline – Jean Borie, un universitaire qui aimait Céline – Critique de Rigodon par Georges Anex (1969)

Voltaire

Trois correspondances d’écrivains font ma joie : Voltaire, Flaubert et Céline. Ce n’est guère original, je le concède. Aux amateurs du premier cité qui ne pourraient s’offrir la douzaine de volumes de la Pléiade  proposant (une partie de) cette masse épistolaire, je recommande la sélection de 260 lettres (sur un corpus de 15.000 !) que propose Gallimard pour une dizaine d’euros. Elle est due à Nicholas Cronk,  directeur de la “Voltaire Foundation” (Université d’Oxford).  Un pur régal d’intelligence et de fantaisie ! Nul doute que ce volume eût enchanté Céline. « Voltaire me fait jouir », affirmait-il. Il le lisait dès l’âge de vingt ans. Et il le lira à nouveau en réclusion, s’identifiant même à l’ermite de Ferney : « Il est consolant de lire les lettres de Voltaire c’est une perpétuelle fuite devant les gendarmes seulement de château en château, toute sa vie un chien traqué. »  Le mot de Voltaire visant la France que Céline cite en exil de manière récurrente (« Nation légère et dure ») est  d’ailleurs issu de  la correspondance. Il cite aussi des formules extraites du Dictionnaire philosophique, dont celle-ci : « Il est triste que souvent, pour être bon patriote, on soit l’ennemi du reste des hommes ». On devine qui est, selon lui,  le bon patriote…Si Voltaire incarne pour Céline le beau style et les « phrases bien filées », il ne l’en admire pas moins tout comme il révère d’autres classiques, tels Chamfort ou La Rochefoucauld. Sur les interférences Voltaire/Céline, il faut lire l’étude de Marie-Christine Bellosta  qui a  montré que Voyage au bout de la nuit  constitue une réécriture moderne de Candide ¹. On y retrouve notamment le thème du voyage initiatique et la candeur du personnage principal qui va se déniaiser au fil de ses expériences pour devenir enfin un être averti. Dans son étude « Les Classiques Céline », Marc Hanrez consacre un chapitre à Voltaire. Voici sa conclusion : « Si Céline, à proprement parler, n’est pas disciple de Voltaire, il est du même avis que lui sur beaucoup de choses. Quand Voltaire dit, par exemple : qu’il faut purifier l’air de Paris et faire inoculer la population ; que l’homme est né d’abord pour se réjouir ; que les critiques sont des moucherons parasites et merdeux ; que l’école est une calamité pour les enfants ; que les bêtes ont une âme et que certaines sont meilleures que nous ; que le sentiment domine en vérité la pensée ; que les Français sont frivoles et notablement cruels ; que la folie est la maladie la plus difficile à saisir ; que toute société se partage en oppresseurs et opprimés ; que la danse est une activité digne de l’honnête homme ; et que l’écrivain qui trace un chemin nouveau est toujours persécuté : quand Voltaire exprime tout cela, on croirait qu’il le souffle à Céline ! ² ». Mais si on a souvent comparé les deux écrivains, c’est en raison de leur antisémitisme commun. Feu René Pomeau, grand spécialiste de Voltaire, préférait parler d’« antijudaïsme », le point de vue de son auteur de prédilection étant essentiellement religieux. La différence réside surtout dans le fait que la gloire de l’un ne souffre guère de cette singularité alors qu’on n’a de cesse de réduire l’autre au péché irrémissible.

• VOLTAIRE, Lettres choisies (textes choisis, présentés et annotés par Nicholas Cronk), Gallimard, coll. « Folio classique », n° 6268, 2017, 708 p. (9,30 €)

  1. Marie-Christine Bellosta, Céline ou l’art de la contradiction. Lecture de Voyage au bout de la nuit, CNRS Édition, 2011, 318 p. (rééd.). La première édition date de 1990.
  2. Marc Hanrez, Le Siècle de Céline, Dualpha, coll. « Patrimoine des lettres », 2006, pp. 221-234.

Vient de paraître

2017-06-BC-Cover

Sommaire : Massin et Céline – Deux Molly et même trois – Confessions d’une dompteuse de mots – Avec Céline en Afrique – Une (nouvelle) histoire de la Collaboration – Julien Hervier nous écrit – Dernières nouvelles du caveau – Céline dans la Revue des deux mondes.

Jean Rouaud

Il faudrait un jour consacrer une  étude substantielle à la détestation que suscite Céline chez certains écrivains contemporains. Pas du tout à cause des pamphlets, comme ils aimeraient nous le faire croire. Non, il s’agit manifestement d’autre chose. La jalousie y a sans doute sa part. Un bon exemple est Jean Rouaud (Prix Goncourt 1990) qui signe chaque semaine un billet dans un quotidien jadis stalinien mais toujours communiste : L’Humanité. Dans une récente chronique, il s’indigne de la mansuétude dont on fait preuve envers Céline alors qu’il « réclamait l’extermination des juifs » [sic] ¹. Et se gausse de la défense de l’écrivain qu’il prête à certains de ses lecteurs (alors que c’était, en réalité, celle de Céline lui-même) ² : « Allons, on sait bien que c’était une étourderie, une bagatelle, et que la vraie raison de sa condamnation, c’est le Voyage. » Et de commenter : « Céline blanchi au bénéfice du style ? Le style comme super détachant ? Comme agent amnésique ? » ³ C’est naturellement idiot. Il ne s’agit pas de blanchir Céline  mais d’épingler ceux qui, profitant de sa mise en accusation sur le plan éthique, en profitent pour, dans la foulée, nier sa valeur d’écrivain 4. Céline obsède Rouaud. Dans sa chronique parue la semaine suivante, il revient sur le sujet et dit voir en lui un dissimulateur (!) utilisant le « style comme camouflage ». Il conclut sa chronique en le traitant de « faux raffiné » et, dérisoire quolibet, de « Céline Verdurin » 5. Mieux : il donne raison à André Breton qui s’était plu à l’attaquer la veille de son procès. C’est que le pape du surréalisme avait été choqué par l’un des plus beaux passages de Voyage (les confidences du Sergent Alcide à Bardamu) dans lequel il ne voyait qu’une « flatteuse présentation d’un sous-officier d’infanterie coloniale » 6. Tant de bêtise confond.

Il faut avouer que cette détestation a quelque chose de fascinant. Le meilleur est encore à venir : il y a quelques années, un lecteur du BC invita Rouaud dans une classe de littérature. Outre son côté prétentieux et suffisant, ses flèches décochées à l’auteur de Mort à crédit avaient surpris. Son interlocuteur ayant évoqué le Goncourt loupé de 1932, Rouaud avait, non sans fatuité, déclaré que, de toute façon, le Prix Goncourt avait toujours couronné de grands livres (sans doute songeait-il surtout au sien) et qu’il n’y avait aucune raison de penser que ceux qui ne l’avaient pas obtenu l’eussent mérité. Sous-entendu : Les Champs d’honneur, c’est tellement mieux que Voyage au bout de la nuit !

Il faut être juste. On peut comprendre Rouaud : cela doit être terrible de penser que, dès lors qu’on évoque les grands romans traitant de la première guerre mondiale, Voyage au bout de la nuit sera toujours cité alors que d’autres, même couronnés par le Goncourt, risquent d’être omis, voire oubliés.

  1. Ne nous lassons pas de redire, à la suite de François Gibault, que « Céline, mieux que tout autre, savait qu’il n’avait pas voulu l’holocauste et qu’il n’en avait pas même été l’involontaire instrument ». Dans une (autre) chronique, Rouaud ne craint pas d’utiliser l’expression « solution finale » à propos de Bagatelles. Cf. Jean Rouaud, « À vue de nez », L’Humanité, 21 mars 2017.
  2. « C’est pour le Voyage qu’on me cherche ! Sous la hache, je l’hurle ! c’est le compte entre moi et “Eux” ! au tout profond !… » (Préface à la réédition de Voyage au bout de la nuit, 1949).
  3. Jean Rouaud, « Le style, c’est chic », L’Humanité, 4 avril 2017.
  4. Quoiqu’ils s’en défendent, c’est ce que font Taguieff et Duraffour tout au long de leur livre.
  5. Jean Rouaud, « Céline selon Marcel », L’Humanité, 11 avril 2017.
  6. André Breton, réponse à l’enquête « Que pensez-vous du procès Céline ? », Le Libertaire, 27 janvier 1950. À noter que Breton attaqua à nouveau Céline à la parution d’Un château l’autre (cf. L’Express, 28 juin 1957, p. 31).

Vient de paraître

2017-05-BC-Cover

Sommaire : Hommage à Pierre-Robert Leclercq (1931-2016) – Ernst Jünger, témoin à charge peu fiable – Céline dans le Journal (inédit) de Dominique de Roux – Les hommes de Vichy et Céline – Trotsky et Céline – Hommage au petit-fils de Céline – François Gibault, poète

Nicolas Bonnal

C’est un original à la fois très cultivé et un peu déviant. Pas un spécialiste de Céline mais qui l’a lu de près. L’ouvrage est conçu comme un recueil d’une trentaine de textes assez courts sur des thèmes aussi variés que « Céline et l’hégémonie culturelle », « Céline et Jérôme Bosch », « Céline et la rage pacifiste », « Céline et la métapolitique familiale », « Céline et le retour du paganisme », etc.  L’originalité du livre est de laisser en priorité la parole à l’écrivain grâce à de nombreuses citations commentées de l’œuvre. Voici comment l’auteur présente lui-même son livre : « On ne prétend pas refaire la morale, ni au bombardier Céline ni au lecteur. On insiste sur la force du rire, la rage chaude de l’expression et on cherche à expliquer ce siècle incompris né de la Grande Guerre et de ses tranchées. »Si ce livre ravira des céliniens, gageons qu’il en hérissera d’autres. Lesquels seront inévitablement heurtés par certaines vues audacieuses : « Céline défend dans Les Beaux draps une vision sensible et enchantée du monde. Curieusement on trouve la même chez Alexis Carrel sans savoir si le grand savant, aujourd’hui déshonoré mais alors prix Nobel et ami des Roosevelt, l’a inspiré. »

Le livre s’ouvre par la relation d’une rencontre bouleversante avec Simone Gallimard alors frappée par le cancer. Directrice du Mercure de France, elle édita la première grande biographie de Céline : « Elle l’adorait. Ce fut un aveu rapide et brutal. Il me marqua beaucoup. Mais Gaston [son beau-père, ndlr] ne le lui présenta jamais. Un regret pour elle. » À Nicolas Bonnal elle exprima le souhait qu’il écrivît un  livre sur Céline. Mais celui-ci n’accrocha pas tout de suite. Déçu par Casse-pipe, le reste de l’œuvre le laissa interdit : « Tous ces points de ponctuation et ce style hoquetant ». La révélation eut lieu en Afrique du Sud où il lit Voyage au bout de la nuit alors qu’il subit une dépression carabinée : « L’Afrique américanisée sur fond de système croulant avec des blancs aussi inertes et abrutis (tout en étant fascisés partout) que ceux décrits par Céline, tout cela m’acheva. Mais j’avais enfin lu le Voyage et compris que la vérité de ce monde c’est la mort. C’est dur à vingt-six ans. Le rire venait des pamphlets, la tragédie des romans, donc de la réalité. ».

Écrit à la hussarde, le livre ne s’embarrasse pas de références (ni d’italiques pour les titres des œuvres). On cite Céline à l’envi sans jamais indiquer la source. Pas la peine, doit se dire l’auteur  : les passionnés identifieront sans problème. Limite du livre : n’étant pas un spécialiste de Céline, l’auteur a tendance à avaliser certaines allégations erronées, dont celles de  Lucette qui, pour dédouaner son mari, affirma jadis que Les Beaux draps furent écrits en 1939 et publiés l’année suivante. C’est néanmoins un livre pour céliniens fervents, ceux qui adhèrent à la plupart des préoccupations de l’écrivain. Mais c’est aussi un livre destiné aux béotiens qui souhaitent en savoir plus sur un écrivain qui fait l’objet d’attaques redoublées plus d’un demi-siècle après sa disparition. Bonnal passe toutes les thématiques céliniennes en revue et les commente par des phrases courtes et définitives qui s’apparentent à des crochets du droit. On ne souscrit pas nécessairement à l’intégralité de l’exégèse mais on ne peut qu’applaudir l’auguste qui excelle, nonobstant quelques approximations, à mettre en valeur le chef du grand Guignol’s band.

• Nicolas BONNAL, Louis-Ferdinand Céline. La colère et les mots, Avatar Éditions, coll. « Fahrenheit 451 », 2017, 323 pages, nombreuses photographies de Céline.