Sommaire : La parole aux lecteurs – Bagatelles pour un pensum – Des tags et des cendres – Entretien avec Jean-Paul Louis
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Riposte
Dans ce numéro, nous revenons sur l’ouvrage Céline, la race, le Juif qui marquera une date dans la névrose anticélinienne. Grâce à un battage médiatique peu commun (deux émissions télévisées sur la chaîne nationale et plusieurs articles dans la grande presse, du Monde à L’Express en passant par Le Figaro et L’Obs), ce pavé (1 kg 310) s’est vendu à près de 3.000 exemplaires, ce qui est appréciable compte tenu de son prix élevé. Il est plaisant de constater que plusieurs journalistes ont opté pour la formule de l’entretien (parfois complaisant), évitant ainsi de s’infliger la lecture d’un millier de pages souvent indigestes. Avec l’autorité qui est la sienne, Pierre Assouline, lointain successeur de Lucien Descaves à l’Académie Goncourt, a dit ce qu’il fallait penser de cette entreprise ¹. Sous un titre choc, Grégoire Leménager, lui, a donné la parole aux céliniens suspectés par les auteurs d’une trop grande empathie avec leur écrivain de prédilection ². Il est à souligner que pas un seul céliniste (appelons ainsi ceux qui travaillent sur le sujet) ne cautionne cette initiative qui se présente, excusez du peu, comme « le livre de référence que l’on attendait sur le cas Céline » ³. Ainsi, Régis Tettamanzi s’est déclaré gêné par la démarche du couple célinophobe : « Il faut un certain aveuglement à la littérature pour lire la trilogie allemande comme de la propagande. Aucun personnage n’en sort indemne ! (…) Comme chez Thomas Bernhardt, autre pessimiste absolu, il y a dans ce travail formel un humanisme en creux : Céline parie sur la capacité du lecteur à le comprendre ». David Alliot, lui, met le doigt où ça fait mal : « Ce qui emmerde les anticéliniens, c’est qu’un génie littéraire pareil ait pu se fourvoyer à ce point. Il ne rentre pas dans les cases. » Quant à Henri Godard, il fait preuve de la hauteur de vues qui lui est propre : « En dehors de ses distorsions et de son caractère obsessionnel, la question posée par ce livre est celle de l’existence d’une valeur propre à la littérature. (…) Pour quiconque attache de l’importance à la création artistique dans l’état actuel de notre civilisation, plutôt que d’anathémiser Céline il faut le lire et réfléchir sur lui, parce qu’il est, sous ses deux faces, un cas limite. » Frédéric Vitoux, autre célinien pionnier, conclut : « Nous n’avons plus besoin de procureurs, nous avons besoin d’historiens. » On a envie d’ajouter : d’historiens patentés.
Argument suprême pour ces détracteurs de Céline. La preuve qu’il n’est pas un écrivain d’envergure réside dans le fait que ni Genette, ni Pavel, ni Bourdieu ne se sont intéressés à lui. D’autant que Roland Barthes, rappellent-ils, « se disait exaspéré par ses “tics” d’écriture » (!). Les auteurs n’imaginent pas un seul instant qu’il arrivera un temps où ces érudits seront bien oubliés alors que Céline sera toujours lu et étudié.
En attendant, cet ouvrage risque bien d’avoir un fâcheux effet collatéral : quels étudiants vont désormais se risquer à entreprendre une thèse sur un auteur aussi sulfureux ? Et quels magisters accepteront de diriger des travaux sur lui ? Dans les années à venir, on peut s’attendre à une forte régression dans le domaine universitaire où l’on observe déjà depuis une décennie, doxa oblige, une sensible décrue.
- Voir dans ce numéro, p. 8. Merci à Pierre Assouline de nous avoir autorisé à reproduire son article.
- Grégoire Leménager, « Polémique. Les céliniens sont-ils des salauds ? », L’Obs, 2 mars 2017. Signalons que le dossier de presse peut être lu sur le site de Matthias Gadret, « Le Petit Célinien » : http://www.lepetitcelinien.com
- Satisfecit extrait de la quatrième page de couverture qui vante aussi « une vision “décapée” » [sic].
Vient de paraître
Matthieu Galey
Il est des embarras très télégéniques. Lorsque François Busnel demande à Annick Duraffour si elle estime que Céline est un écrivain génial – ce qui n’apparaît pas après la lecture du livre qu’elle cosigne avec P.-A. Taguieff –, elle bredouille : « …Euh, si, …enfin on peut y réfléchir… » pour ajouter ensuite que ce n’est pas un très grand écrivain mais tout de même un grand écrivain, ou plutôt un grand styliste, mais qu’il faudrait néanmoins s’interroger sur la place à lui accorder dans la littérature. Que de contorsions à reconnaître l’importance de son œuvre ! C’est que sa détestation de Céline l’amène à contester cet « écrivain génial » qu’on lui envoie à la figure sur un plateau de télévision.
Les minauderies télévisuelles de cette agrégée de lettres constituent un contraste singulier avec l’article que Matthieu Galey (1934-1986) écrivit à la parution du Pont de Londres. Et qui est reproduit en annexe de son Journal (posthume) qui vient d’être réédité. Ce demi-juif homosexuel était loin d’être un admirateur éperdu de Céline. Ses goûts le portaient vers d’autres horizons. Mais c’était un critique perspicace à qui il ne serait jamais venu l’idée de dénier à l’auteur de Voyage son apport à la littérature contemporaine : « On peut faire semblant de l’ignorer, mais on ne peut pas l’oublier, ce Céline. Après lui, toute œuvre “traditionnelle” vous a un petit air d’Ancien Régime qui ne pardonne pas. » S’il fut moins séduit, comme d’autres critiques de l’époque, par les romans intermédiaires, il ne manque pas d’évoquer dans cet article « l’éblouissant D’un château l’autre » et « Nord, autre fabuleux chef-d’œuvre ». Surtout, il note pertinemment que Céline n’est jamais là où on l’attend. Galey a bien vu, qu’à l’instar de certains peintres, il renouvelle constamment sa manière : « L’artiste travaille sans filet. Céline est un joueur qui remet sur la table, à chaque fois, tous ses gains : quitte ou double. » Autant dire que ce n’est pas dans le bouquin du tandem Taguieff-Duraffour que vous trouverez pareille observation.
Cela étant, en dépit de son talent, Matthieu Galey n’a pas laissé une trace comme critique. À la différence de ses confrères (Frank, Matignon, Rinaldi,…), ses chroniques (littéraires et dramatiques) n’ont jamais été éditées en volume. Ce qui restera de lui, c’est son Journal, édité après sa mort et réédité cette fois intégralement. Il avait en effet subi des coupures pour ne pas déplaire à certains auteurs et dirigeants de la maison Grasset (à laquelle il appartenait comme membre du comité de lecture et qui publia son journal à la fin des années 80). Les passages alors caviardés sont reproduits en italiques et ce n’est pas triste. C’est même souvent un régal : Galey avait le sens de la formule et un regard constamment narquois. Comme Léautaud, le fait de côtoyer la gent littéraire lui offrit la possibilité de dresser des portraits acérés. Il a en plus le sens de l’ellipse et, par certains côtés, son journal fait penser à celui de Jules Renard, le compliment n’est pas mince. Jugez en plutôt par ces médaillons. Roland Barthes : « Une tête d’oiseau qui s’empâte vers le bas : le profil de Louis XVI » ; Marguerite Yourcenar à Venise : « Le premier jour, par hasard, je bute sur une montagne de châles et de couvertures. » ; Michel Tournier : « Visage oriental, avec la finesse et le mystère d’un Clouet. » Lorsqu’il est atteint par la maladie de Charcot qui l’emportera à 52 ans, son journal prend des accents poignants mais toujours empreints d’une terrible lucidité sur les autres et sur lui-même.
• Matthieu GALEY, Journal intégral, 1953-1986, préface de Jean-Luc Barré, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 985 p. (30 €). L’article sur Céline est paru en mars 1964 dans l’hebdomadaire Arts.
• Annick DURAFFOUR & Pierre-André TAGUIEFF, Céline, la race, le Juif (Légende littéraire et vérité historique), Fayard, 2017, 1175 p. (35 €)
Vient de paraître
Patrice Espiau
Il y a six ans, il avait eu l’initiative de rédiger, en collaboration avec une bibliographe professionnelle, l’inventaire de sa collection. Il l’avait naturellement conçu comme un hommage à Céline mais aussi aux céliniens, auteurs de tant ouvrages sur son auteur de prédilection : « Il me semble aujourd’hui nécessaire de témoigner en leur faveur, et décrire cette bibliothèque d’amateur est un modeste hommage de lecteur, à l’immense travail accompli par ces hommes et ces femmes, dont les pionniers ouvrirent une voie qui s’élargit avec les générations suivantes. »
Toute collection privée est appelée, tôt ou tard, à être dispersée. C’était d’ailleurs le vœu de Patrice qui ajoutait : « À présent, laissons le marteau battre la mesure, afin que ces patronymes connus, méconnus, oubliés ou à connaître, scintillent sous le meilleur feu des enchères, et qu’enfin leur soit accordée une gratitude triomphante ! ». Ces lignes enthousiastes révèlent sa personnalité modeste, s’effaçant derrière ceux qu’il estimait. Le plus bel hommage qui lui sera rendu consistera précisément en l’édition d’un beau catalogue de cette bibliothèque d’un amateur ô combien érudit. L’une de ses dernières joies fut de recevoir une dédicace de Marc Hanrez qu’il avait souhaitée pour en truffer la monographie parue en 1961 dans la collection « La Bibliothèque idéale ».
Mais Patrice ne se caractérisait pas seulement par sa passion célinienne. Il faudrait aussi évoquer son amour de la peinture, sa fidélité en amitié, son humour, son courage face à la maladie et surtout sa dévotion pour sa chère maman dont il s’occupa jusqu’à la fin avec une sollicitude admirable. C’était un homme de qualité dont le souvenir me restera cher.