Miettes

Lisant le Journal de Jules Roy ¹, je vois que le 28 octobre 1932, il note que son ami René-Louis Doyon « n’aura pas encore le prix Goncourt qui va aller au gros roman de Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit. » Et d’ajouter : « Doyon n’en a pas d’amertume. Du moins en apparence. Il me dit que l’auteur de ce bouquin méritera même le prix. » On a ainsi la confirmation, si besoin en était, qu’un mois avant l’attribution du Goncourt, Céline apparaissait vraiment comme le favori .

On sait que l’actuel Président de la République française a une dilection particulière pour Céline. Il est plus étonnant de voir celui-ci cité sous la plume d’un de ses prédécesseurs. François Gibault m’envoie la copie d’une page du dernier volume des mémoires de Valéry Giscard d’Estaing : « Je commence  à écrire  ce livre le dernier jour de l’année, le 31 décembre 2004. Louis-Ferdinand Céline avait ouvert le récit de ses souvenirs par une  jolie formule : «  Je suis né le 21 mars :  le printemps c’était moi ! » ².   On voit que  Giscard n’est  pas vraiment  un familier de l’œuvre, Céline n’étant pas né le jour de l’équinoxe de printemps et Mort à crédit n’étant pas vraiment un « récit de souvenirs ». Si la citation avait été correctement reproduite, l’une des deux erreurs au moins aurait été évitée : « Je suis né en mai. C’est moi le printemps. »

J’apprends la mort de Claude Adam à l’âge de 88 ans. Il fut longtemps secrétaire général de l’Union des Intellectuels Indépendants auprès de Me Jacques Isorni, avant d’en devenir le président très actif pendant une vingtaine d’années.  Pour moi, son nom a toujours été associé à celui de Charles de Jonquières (1906-1975) dont il fit d’ailleurs l’éloge dans un entretien accordé à André Figueras ³. En 1950 Jonquières fut, en effet, l’un des fondateurs de cette association désireuse de susciter une amnistie en faveur des écrivains et journalistes condamnés après la Libération. Il s’était fait éditeur pour pouvoir publier des livres non-conformistes, à la fois anti-gaullistes et hostiles à l’épuration. C’est ainsi que, par l’entremise de Jean-Gabriel Daragnès,  il publia,  en décembre 1948, Foudres et flèches. Un  exemplaire de cet ouvrage fut imprimé « sur papier boucherie en l’honneur du général de Gaulle » (!)  4.

Alors que Céline n’a écrit que deux pièces de théâtre, il n’aura jamais été autant présent sur les planches que ces dernières années. Tous ses écrits se prêtent apparemment à ce genre d’exercice. Ainsi, en juin dernier, Marc Chouppart, ancien pensionnaire de la Comédie-Française, a lu sa thèse de médecine consacrée à Semmelweis devant un public conquis. Coïncidence : cela se passait à Versailles cité, comme on sait, dès la première phrase de ce superbe texte.

  1. Jules Roy, Les années déchirement. Journal, 1925-1965, Albin Michel, 1998, p. 34. Sur René-Louis Doyon, voir notamment le n° 256 du Bulletin célinien, pp. 21-23.
  2. Valéry Giscard d’Estaing, Le pouvoir et la vie. Choisir (tome III), Compagnie 12, 2006, p. 15.
  3. Cet entretien, sur cassette-audio, est encore disponible (10 €, franco).  À commander à M. Olivier Figueras, c/o Présent, 5 rue d’Amboise, 75002 Paris.
  4. Dans son Dictionnaire Céline, Philippe Alméras cite une philippique de Céline adressée à Charles de Jonquières et rappelle que celui-ci ne se soucia apparemment pas de régler les droits d’auteur à l’écrivain exilé. Le tirage fut de 1000 exemplaires numérotés.
  5. Il y eut quatre représentations (les 3, 13, 24 et 30 juin) au Conservatoire national de région, à Versailles. L’entrée était libre. Adaptation : Cathy Castelbon.